Luis Cubilla nous a quitté le 3 mars 2013 à Asunción, ville qui l’avait adopté grâce aux titres apportés au Paraguay. Des titres, le Negro Cubilla en a remportés en cascade, de la première Coupe des Champions d’Amérique de 1960 gagnée contre Olimpia, à la Copa Libertadores de 1990 gagnée en tant qu’entraîneur d’Olimpia. Entre temps, une litanie de voyages, d’histoires, de buts et de légendes. Retour sur la carrière de l’un des plus grands attaquants sud-américains de l’histoire.

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Épisode 3 : histoire d’amour à Asunción

Luis Cubilla n’est pas un caractère facile. Sur le terrain, il était bon parce que comme le dit la revue Túnel, il n’avait honte de rien et avait une confiance absolue en lui à l’heure de demander la balle et d’éliminer son adversaire. Il en est aussi conscient lui-même, qui déclare après la Coupe du Monde 1970 : « Je sais que j’ai l’air antipathique. Je suis un homme de peu de mots et j’ai peu, très peu d’amis ». Polémique et prétentieux, il sait l’être. Il sait aussi faire appel à ses amis dans l’armée pour qu’il puisse revenir en sélection après avoir manqué un camp d’entraînement. Cubilla est tout cela et il l’est encore à trente-six ans quand il joue avec Defensor, mais qu’il signe déjà un contrat pour après la fin du championnat avec Nacional. Il y remplace Luis Ubiña qui a assuré l’intérim le temps que le monstre gagne le titre avec le Defensor. Nous sommes toujours en 1976 et après le championnat se joue la Liga Mayor. C’est avec ce tournoi que Cubilla fait ses débuts en tant qu’entraîneur. Nacional remporte ce « petit » trophée et Cubilla est confirmé pour la Liguilla pre-libertadores. Defensor gagne ce tournoi et Peñarol bat Nacional avec deux buts de l’inévitable Morena. Troisième, Nacional n’obtient pas le billet pour la tant désirée coupe continentale et Cubilla est remplacé par l’Argentin Pedro Dellacha. En 1978, il arrive sur le banc du Danubio, le temps de qualifier le club pour la première Copa Libertadores de son histoire en s’imposant deux fois en trois jours contre Nacional, exploit notable pour le Danubio qui est alors un « petit » club. L’équipe termine dernière de son groupe derrière Peñarol, le Deportivo Cali et Junior, et l’année suivante, Cubilla s’en va au Paraguay. Avant de partir, il déclare : « Je pense que le poste de directeur technique ne doit plus exister et doit laisser sa place à l’entraîneur. Ce sport s’est modernisé et sa technicité exige une connaissance profonde d’une montagne d’aspects qui étaient avant ignorés ».

L’Olympe

Fin 1978, Cubilla signe pour une vieille connaissance, le club paraguayen d’Olimpia. Le club a alors déjà participé à douze éditions des vingt éditions de la Copa Libertadores, dominant totalement le football paraguayen. Il a même participé à la première finale contre Peñarol, remporté par le club de Cubilla, auteur du but de la victoire au Paraguay. Mais depuis, le club doyen a plus de mal, comme tous les autres clubs de pays, car ce sont les Uruguayens, Argentins et Brésiliens, qui ont remporté tous les titres depuis la création de la coupe. Le président d’Olimpia, Osvaldo Domínguez Dibb, part donc chercher un entraîneur gagnant en Uruguay, et tout le monde lui parle sur place d’un joueur devenu entraîneur, gagnant parmi les gagnants : Luis Cubilla. Le président vend à Cubilla un club structuré, multiple champion du Paraguay. Cubilla s’engage, mais il déchante en arrivant : il débarque dans un club qu’il trouve semi-amateur. Au moins, il est sur la même longueur d’onde politique que Domínguez Dibb : ce dernier a fait fortune au Paraguay pendant la dictature d’Alfredo Stroessner, il est proche du pouvoir à tel point que son frère est marié à la fille du général.cubillaolimpia

Rogelio Delgado se souvient pour Media Olimpia de l’arrivée de l’entraîneur : « Ce 10 janvier 79 Cubilla a commencé à planter cette graine de gagnant dans le vestiaire d’Olimpia. Il nous a dit : Je viens pour être champion de la Libertadores avec Olimpia ». Comme quand il affirmait trois ans plus tôt qu’il serait champion avec Defensor, Cubilla affirme qu’il va faire quelque chose de jamais vu jusqu’à présent. Il se fait remarquer par des répétitions d’actions et par un changement dans l’entourage du club : nutrition, vestiaires, jusqu’à l’intendance qu’il professionnalise. Delgado ajoute « il nous a injecté le virus du gagnant, qu’avec des efforts normaux et standards, on ne peut pas gagner des choses importantes ». Après la préparation, il insiste pour que l’équipe aille faire des matchs amicaux internationaux pour se préparer à ce contact international. Ses débuts en tant qu’entraîneur lors de la Libertadores se font le 23 mars, face à Sol de América. Olimpia enchaîne les victoires dans son groupe, composé également de Bolívar et de Jorge Wilstermann. L’équipe poursuit avec un deuxième tour « demi-finale » contre Guaraní et Palestino. Olimpia gagne les deux matchs à domicile et s’offre une place en finale pour jouer Boca Juniors. Le club vient d’être sacré en Libertadores en 1977 et 1978 et est grand favori de la compétition. Mais l’équipe de Cubilla a quelque chose de spécial, c’est la rencontre entre un caractère hors du commun et une équipe expérimentée qui veut apporter la gloire à son pays. Osvaldo Domínguez Dibb, président du club, se souvient pour D10 : « Alberto José Armando m’a offert une mallette avec quarante mille dollars en billet en échange d’une victoire de Boca. Je lui ai dit que mon pays n’avait pas besoin d’argent, qu’il avait besoin de gloire sportive ». La gloire n’a pas de prix.

À l’aller, Olimpia s’impose 2-0 sur des réalisations d’Osvaldo Aquino et de l’uruguayen Miguel Ángel Piazza. Les Paraguayens tiennent au retour le 27 juillet (0-0), dans un match engagé, violent, sur une pelouse aléatoire et avec de nombreux coups de poing échangés. Ce match nul offre au Paraguay sa première Libertadores, son deuxième grand titre international après la Copa América décrochée par la sélection vingt-cinq ans plus tôt. Cubilla, qui avait privé Olimpia du titre en 1960, remporte la Libertadores pour la quatrième fois, la première en tant qu’entraîneur. Il rejoint au panthéon Humberto Maschio et Roberto Ferreiro qui avaient également gagnés la coupe en tant que joueur puis en tant qu’entraîneur. Il est cependant le premier à le faire dans deux pays différents. Le club gagne tout cette année-là puisque le doyen paraguayen bat en Suède le Malmö FF en novembre (1-0, but d’Evaristo Isasi) puis bat de nouveau les Suédois en mars 1980 (2-1) pour remporter la Coupe Intercontinentale. La première du club, mais déjà la troisième pour Cubilla. Le club remporte aussi la Copa Interamericana contre le FAS d’El Salvador, vainqueur de la Coupe des Champions de la CONCACAF. Olimpia est enfin champion du Paraguay en 1979 et 1980 (le club réussit une série totale de six titres de 1978 à 1983). C’est non seulement une grande année pour l’Olimpia mais pour le Paraguay en général qui remporte la Copa América quelques mois plus tard. Mais après une seule année au Paraguay, Cubilla quitte Olimpia. Au départ, il est contre l’idée de passer plus d’un an dans un club après avoir réussi, ne voulant pas avoir à mettre sur le banc des joueurs qui lui ont apporté la victoire. Il rejoint d’abord les Argentins de Newell’s, mais cela se passe mal. D’abord retenu par le club, en août 1980, il trouve un accord avec son club de cœur pour l’entraîner en 1981. Cubilla revient à Peñarol.

Le peñarolense paradoxal

Peñarol peine à se remettre du départ de son buteur des années soixante-dix, Fernando Morena, mais Cubilla peut compter sur plusieurs renforts, dont certains qu’il a expressément demandé comme Miguel Ángel Piazza, qu’il a entraîné à Olimpia. Les débuts sont excellents avec une première phase de groupes de Copa Libertadores survolée devant Bella Vista et deux clubs vénézuéliens, le Peñarol de Cubilla ne perdant qu’un point. Le club est donc qualifié pour le deuxième tour mais le président Cataldi et Damiani préparent en secret le coup du siècle, un énorme investissement pour le club : Fernando Morena signe de nouveau à Peñarol le 3 avril 1981. Il doit cependant attendre le début du championnat uruguayen pour jouer, n’étant pas qualifié pour la Copa Libertadores 1981. Avec le retour de Morena, les buts de Ruben Paz, et une victoire lors du clásico de la phase retour, Peñarol remporte le titre à deux journées de la fin. En Libertadores, Peñarol perd les deux matchs contre Cobreloa (futur finaliste) lors de la deuxième phase de groupes. À la fin de la saison, le mandat de Cubilla est remis en cause. Il a échoué en Libertadores, mais est champion d’Uruguay. Surtout, son contrat coûte cher (quatre cent mille dollars pour tout le staff technique), alors que l’entraîneur historique du club et surtout de Fernando Morena est disponible : Hugo Bagnulo, l’homme qui avait lancé Cubilla en équipe première de Peñarol en 1957. Fin décembre, il est annoncé que le contrat avec Cubilla n’est pas renouvelé. Vingt ans après et en ayant un cinquième titre de champion d’Uruguay en cinq saisons au club, Cubilla quitte définitivement le club dont il est supporter.

atnacIl retourne d’abord à Olimpia, où il est de nouveau champion du Paraguay (le cinquième du sextuplé du club), puis entraîne l’Atlético Nacional. Il en profite pour nommer aux commandes de l’équipe des moins de seize ans un jeune retraité, Francisco Maturana, après avoir essayé de le faire revenir comme joueur. Il commence avec une mauvaise série, le club cumulant cinq défaites pour deux victoires après sept matchs. Mais la stratégie de Cubilla prend alors et le Nacional accumule dix-neuf matchs sans défaite. Le soir, Maturana et Cubilla se retrouvent chez le monstre pour boire quelques whiskys et parler tactique, de Menotti ou de Bilardo. L’Atlético Nacional termine troisième, derrière l’América de Cali champion. Cubilla s’engage alors du côté de River Plate pour la saison 1984 en Argentine. Cubilla met sa patte sur l’équipe, place Enzo Francescoli en 8, ce qui déplaît fortement à l’Uruguayen, et réussit une bonne première partie de saison, le Torneo Nacional, atteignant la finale de ce dernier après avoir battu San Lorenzo en demi-finale. Mais l’équipe perd en finale contre Ferro Carrril Oeste avec notamment une défaite 3-0 au Monumental, et une défaite 1-0 au retour avec match arrêté à la mi-temps quand des supporters des Gallinas mettent le feu au tableau de score dans les gradins. Quand le championnat reprend, de nouveaux mauvais résultats font que Cubilla est viré et remplacé par le Bambino Veira.

Le nez de l’arbitre

C’est alors l’heure d’un autre retour pour Cubilla, qui est donc l’homme d’éternels retour. Après avoir entraîné Peñarol en 1981, il revient en 1985 en Uruguay pour entraîner Nacional. Il y remplace au milieu de la saison Ildo Maneiro, viré après une énième défaite contre Danubio, alors que l’équipe est à moitié en grève suite à des salaires impayés. Le Nacional de Cubilla perd son premier match, un clásico contre Peñarol et la tension monte au sein du club, le président Sienra allant jusqu’à recevoir des menaces de mort. Le 12 octobre, au stade Viera, Wanderers reçoit Nacional. Le Bolso gagne 1-0 quand, à la fin du match, l’arbitre siffle un penalty inexistant qui permet aux Bohemios d’égaliser. Le match a peine terminé, Cubilla se dirige vers l’arbitre Otello Roberto, pour l’insulter vertement et, après quelques échanges, lui envoyer un coup de tête qui envoie l’arbitre au sol avec fracture et déplacement de la cavité nasale. L’arbitre assistant balance son drapeau au visage de l’entraîneur pour tenter de les protéger. Cubilla est arrêté. Il n’est libéré que le lendemain. Roberto est opéré de la fracture puis suspendu vingt-et-un jours par l’AUF pour sa mauvaise gestion du match.

Alors que le club est en crise, les supporters et la direction défendent becs et ongles Cubilla, comme l’homme qui a défendu la cause du club jusqu’aux dernières extrémités. Cubilla avouera plus tard qu’à ce moment-là est ressorti l’être uruguayen qui sommeillait en lui. On parle un temps du licenciement de l’entraîneur, mais le président Sienra déclare : « Cubilla a tout notre soutien. Nacional a été volé d’une victoire. Cubilla a réagi parce qu’il a été insulté par l’arbitre ». Cubilla vit les matchs suivants depuis la tribune, il est finalement suspendu dix-sept mois. Incroyablement, il continue d’entraîner le club depuis les tribunes, l’équipe terminant finalement cinquième du championnat, ne se qualifiant pas pour la Libertadores 1986. Quelques mois après avoir été son arrivée, le contrat de Cubilla se termine. Il retourne à Danubio pendant deux ans et malgré sa suspension toujours en cours et aide à modeler l’équipe qui sera championne sans lui en 1988. De son côté, il retourne au club de ses principaux succès en tant qu’entraîneur : Olimpia. Il n’entraînera plus jamais en club en Uruguay, mais reviendra entraîner la sélection, à nouveau couronné de succès. Avant cela, il n’a qu’un objectif : gagner la Libertadores. Encore, et toujours.

Jérôme Lecigne
Jérôme Lecigne
Spécialiste du football uruguayen, Suisse de l'Amérique du Sud, Patrie des poètes Jules Supervielle, Juan Carlos Onetti et Alvaro Recoba