Depuis des années, au centre de Buenos Aires, le Merval est devenu le lieu de retrouvailles de la diaspora française et de locaux férus de ballon rond. Avant de se parer en bleu-blanc-rouge, rencontre avec Adrien le Sochalien, Robin le Lensois et Emilien, le Parisien, le trio de galos qui fait vivre le bar. Des fous de foot qui ont déjà emmené leur copine argentine à Bollaert et Bonal. Entre moqueries, danses avec les flics et crises de couples leur France - Argentine ne fait que commencer.

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LO : Comment avez-vous réagit lorsque l'affiche France – Argentine s'est confirmée ?

Robin : Merde. Fait chier. C'est chaud.

Emilien : On s'y attendait un peu, c'était la même situation il y a quatre ans, mais les deux équipes avaient terminé premières de leur groupe. Quand on a vu l'Argentine planter contre l'Islande, on s'est dit ça y est, cette année, on y a droit.

Adrien : Cette fois-ci, c'est la bonne. Depuis le tirage, j'espère qu'on va se rencontrer, ça fait trop longtemps qu'on ne s'est pas affronté en Coupe du monde.

Et comment allez-vous vivre ce match entre votre pays d'adoption et la France ?

R : Sur le plan des affaires, c'est pas l'idéal. On avait tout intérêt à ce que les deux équipes aillent le plus loin possible. Par contre, en termes d'ambiance, c'est génial. Je vis ici depuis douze ans et c'est un truc à vivre au moins une fois dans sa vie, d'autant qu'on n’est pas sûr que ça se représente avant un moment…  

A: C'est un beau match pour nous. Je vis avec mes potes argentins depuis dix-huit ans et c'est très cool de pouvoir se chambrer un peu. Même si je sais très bien que si la France gagne, je ne vais pas pouvoir les voir ou leur écrire avant mardi car ils seront dégoûtés.

R: C'est très marrant oui, on reçoit quelques messages des familles de nos copines argentines, des potes... C'est certain que si la France gagne, les Argentins nous feront la gueule pendant deux trois semaines, mais si elle perd, on en a pour deux ans de moqueries. Pour l'avoir déjà vécu avec le rugby, plus jamais ça !

« Ça les emmerde moins de perdre contre nous que contre l'Allemagne, le Brésil ou bien sûr les Anglais »

Comment sentez-vous les Argentins avant le match ?

R : Depuis le début du Mondial, ils n'ont pas une grande confiance en leur équipe. Ils vannent moins que ce qu'ils l'auraient fait avant, même si dans le fond, ils pensent tous qu'ils vont nous battre.

E : Les Argentins sont très volatiles. Avant le match contre le Nigéria, il fallait buter tous les joueurs, Messi était nul et deux jours plus tard, ils se croyaient presque champion du Monde et sur Facebook, Messi est redevenu Dieu sur terre. Tout va très vite ici.

A : Je pense qu'ils sont déjà soulagés de pas être passés pour des cons en passant le premier tour donc que s'ils perdent contre la France, ils ne verront pas ça comme quelque chose de honteux. Dans le fond, ça les emmerde moins de perdre contre nous plutôt que contre l'Allemagne, le Brésil, fantasme de tous les Argentins ou bien sûr les Anglais. On sent aussi que leurs trois finales consécutives perdues pèsent.

Comment était l'ambiance à Buenos Aires lors de ces trois défaites ?

E: Je bossais pour la finale la Copa America Centenario, perdue contre le Chili. Après la séance des tirs-aux-buts, les Argentins étaient totalement anéantis. Le seul content dans le bar, c'était Robin, bourré comme un coing qui souriait .

R : Je voulais juste les emmerder un peu.

A : Moi j'étais là pour la finale du Mondial 2014 contre l'Allemagne. Le bar était plein à craquer, c'était impossible de sortir fumer une clope, impossible de bouger. Pendant le match, la vie s'est arrêtée et à la fin du match, le bar s'est vidé avec une grande tristesse. Puis, tout le monde s'est dirigé vers l'avenue 9 de Julio et s'est mis à chanter, à faire la fête. C'était vraiment sympa comme ambiance, les gens ont mis de côté leur peine pour célébrer le parcours de leurs joueurs.

R : Je me souviendrai toujours de l'ambiance indescriptible sur le but de Götze. Un silence glacial a traversé Buenos Aires, on se serait cru sur une île déserte. Puis, à la fin du match, une marée humaine impressionnante se dirigeant vers l’Obélisque. La fête a rapidement dégénéré. Je mangeais dans un restaurant et j'entendais les sirènes de police, sans trop comprendre. Quand je suis sorti les barras bravas et quelques excités avaient démonté le centre-ville.

Et samedi, comment pensez-vous que sera l'ambiance ?

R: Ici, il y aura aucun problème, on va la jouer neutre au bar pour nos habitués argentins, mais ce sera bon enfant avec beaucoup de Français. C'est une grande première depuis quarante ans, mais je pense que l'ambiance restera cordiale, quel que soit le résultat.

E : Il faut juste bien se comporter en cas de défaite : respecter leur tristesse et ne pas les provoquer.

« Une victoire en Coupe du monde ici... Ce serait une fête mémorable, une race de 48 heures »

Et avec vos copines argentines, comment ça se passe ?

E: On s'est séparés !

A : Moi je cherche un nouvel appartement… On n’a pas encore décidé si on regardait le match ensemble, ça peut être un peu compliqué. Ensuite, je vis ici depuis presque vingt ans donc pour moi, que ce soit la France ou l'Argentine, quelque part, je serai toujours dans le Mondial. Au fond de moi, j'ai vécu 98 en France et j'aimerais bien vivre une victoire en Coupe du monde ici... Ce serait une fête mémorable, une race de 48 heures. Quand l'Argentine s'est qualifiée pour la finale il y a quatre ans, c'était vraiment la grosse fête dans tout Buenos Aires. Tout le monde était bourré sur l'avenue 9 de Julio, j'ai dansé avec un flic et bu des canons toute la nuit avec tous les gens que je croisais.

R : Tu n'as jamais eu besoin de ça pour la faire… Mais c'est sûr que si l'Argentine était championne du monde ce serait 98 puissance 10. D'autant que ça ferait du bien dans les têtes des Argentins et à l'économie du pays parce que c'est pas à la fête en ce moment.

Vous sentez moins d'engouement pour ce Mondial que pour les précédents ?

A : Oui, on le voit un peu dans tout. Les gens sont moins à fond derrière leur équipe, il y a beaucoup moins pubs à la télé. C'est mon cinquième Mondial ici et c'est clairement celui où il y a le moins de ferveur. En même temps, depuis les qualifications, c'est une souffrance pour les Argentins. Ils ont quand même failli être éliminés par l'Équateur… Et en même temps, il y a les problèmes politiques et économiques. Mais bon, s'ils battent la France, je pense que tout sera parti. Ils vont s'enflammer et c'est à ce moment-là où je coupe mon portable et change de numéro.

E: Le match fou contre le Nigéria a quand même fait vibrer tout le monde. Sur le but de Rojo, des cris ont surgi de toute la ville... Pour eux, le Mondial est lancé.

Et comment jugez-vous le niveau de l’Équipe de France ?

A: C'est chiant, on joue mal, mais on a de meilleurs joueurs.

R: J'ai l'impression qu'on a pas de collectif, que cette équipe n'a pas d'âme, les joueurs ne se connaissent pas assez. Quand je vois Pavard, Hernandez, M'Bappé ou Dembélé, ils n'ont pas beaucoup joué ensemble. Pour moi, c'est une équipe qui sera prête dans quatre ans. Je vois un match fermé et chiant avec Mascherano ou Varane qui fait une connerie et permet à l'autre de passer. Je sens que la France va se faire éliminer.

A: C'est quand même la plus belle affiche des huitièmes. Pour moi, ce sera le match référence pour l'équipe qui l'emportera. Je pense qu'on va avoir droit à un match ouvert, un peu foufou où les deux équipes vont essayer de jouer au ballon.

Que pensez-vous de la façon dont est traité Messi en Argentine ?

A: Il est parti très jeune, donc les Argentins lui en mettent plus facilement dans la gueule lorsqu'il passe à côté. Pour eux, il est plus étiqueté européen, Barça, donc quand il marque c'est Dieu et le lendemain s'il n'est pas exceptionnel, il se fait déglinguer. Je les trouve super durs avec lui…

R: En même temps, c'est Messi et en phase de groupe, à part son but il a rien fait.

Et celui réservé à Jorge Sampaoli ?

A : La presse a commencé à le critiquer depuis le début de la compétition, mais ce n'est rien à côté de ce qu'elle a mis à Maradona, Martino, Bauza…

R: Pour moi, le problème, c'est avant tout le bordel qui règne depuis des années au sein de l'AFA, aujourd’hui géré par Tapia, un vrai Don Corleone, Des rumeurs circulent sur le fait qu'il aurait fait signer un si gros et long contrat à Sampaoli pour le dégager après le Mondial et se partager les 16 millions. Je ne sais pas si c'est vrai, mais en Argentine, ce ne serait même pas choquant. Le football est devenu pourri, les formes de championnat changent chaque années…

A : Il te faut un bac +6 pour le comprendre. Le problème c'est que tous les clubs sont sur endettés, donc dès qu'ils ont un gamin pas mauvais, ils le vendent. S'ils pouvaient le faire dès 15 ans, ils le feraient. Et tous les six mois, les effectifs changent totalement.

R : Il faut voir aussi l'importance du football ici. Quand je suis arrivé, il y a en 2006, il y avait par ordre d'importance pour les Argentins : la religion, le football et la politique. La religion a étrangement disparu tandis que la politique a continué de monter et le foot est repassé devant tout. Aujourd'hui, Tapia et un ami du président Macri, lui-même ex-président de Boca. Le foot est ultra politique en Argentine.

A: Pendant le Mondial, c'est trois semaine de tranquillité sociales pour tout le monde, mais quoi qu'il se passe, à la fin de la compétition, le gens vont repenser à l'accord avec le FMI, l'inflation, les élections présidentielles dans un an...

Un prono ?

E:1-1, Argentine aux tirs au but.

R : 1-0 Argentine.

A : France : 1-0 passe de M'Bappé, tête de Giroud.

 

Propos recueillis par Ken Fernandez à Buenos Aires pour Lucarne Opposée

Ken Fernandez
Ken Fernandez
Journaliste tout terrain, je balade mon carnet et mon stylo au pays de Diego, à la recherche du nouveau Cavenagoal