Ancien de la maison Newell’s, Lucas Bernardi a débuté sa carrière d’entraîneur sur le banc de la Lepra. Passé ensuite par Estudiantes, Arsenal, Godoy Cruz et Belgrano, il raconte le football argentin actuel. Entretien.

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Comment expliquer la qualité de la formation aux Newell’s ?

C’est avec l’arrivée de Griffa au club que tout a changé. La recherche de jeunes talents, une formation de très haute qualité et Newell’s a rapidement fait un saut qualitatif avec beaucoup de joueurs qui sont ensuite partis en Europe. Encore aujourd’hui, cette tradition de la formation persiste et quelques-uns pourraient suivre le chemin de leurs ainés. Mais moins qu’avant, parce que ce modèle de Newell’s s’est répandu. C’est le revers de la médaille quand tu innoves. Tout le monde t’admire mais tu ne restes pas longtemps unique.

Bielsa ?

Je l’admire. Je le connais, je sais sa passion du travail, sa façon de faire, son amour du football. C’est quelqu’un qui a énormément compté en Argentine, notamment par sa façon de renouveler le travail de l’entraineur. Tout le monde peut être critiqué, forcément, mais lui a prouvé sur le terrain. Beaucoup. Et tu as la façon dont les joueurs qu’ils a entrainés et les personnes qu’il a influencées parlent de lui. L’important, c’est ce que pensent ces gens-là. Comment il les a fait progresser, et à quel point ils s’en rendent comptent. L’extérieur, les critiques, c’est n’importe quoi.

Vous avez déjà connu plusieurs expériences sur le banc mais aucune saison complète. Comment expliquer ce football si impatient ?

Ici, le temps est très court. Si tu gagnes tu es bon, si tu perds tu es nul. C’est un pays très passionné. On vit par le football. Et cette passion a besoin de résultats. Les supporters sont impatients. C’est difficile pour les dirigeants, qui ont tendance à ne pas soutenir assez leurs entraineurs et à tenir leur parole quand un entraineur arrive. Mais c’est le jeu et tout le monde est prévenu.

Comment un entraineur peut-il trouver l’équilibre entre projet de jeu et résultats rapides ?

Il faut s’adapter. Comment, je ne sais pas, il n’y a pas de solution miracle. Ça dépend de chaque club, de chaque situation. C’est difficile de trouver la façon. Des clubs essayent de construire une équipe avec des jeunes, d’autres avec des grands noms, chaque équipe est unique. L’entraineur doit être un homme de compromis et de très grande écoute. Chaque club a sa vision et l’entraineur doit essayer de la faire vivre et vite, sans avoir tous les pouvoirs. Le jour où tu ne peux plus vivre avec la passion du foot malgré la frustration, tu dois arrêter de t’asseoir sur le banc. Pour avoir un effectif à ton envie, il faut de l’argent. Et certains clubs n’en ont pas. Il faut aussi du temps. Et aucun club n’en a. Et c’est là que tu vois le parcours des très grands entraineurs. Ceux qui ont d’abord su passer par des petites équipes, ont plutôt réussi, changé d’envergure et aussi eu du succès chez des plus grosses équipes. Ils ont su s’adapter partout, et il faut avoir beaucoup de respect pour ça. Il n’y a que par de modestes succès initiaux que tu peux, à terme, espérer construire ton équipe et proposer un football vraiment à ton image.

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Pourquoi la génération Heinze/Gallardo n’a pas encore débarqué en Europe ?

Je pense que cette génération veut, un jour, aller en Europe. Ce sont d’anciens joueurs connus, leur nom résonne encore en Europe et leur parcours est suivi avec attention. Ce qui manque pour qu’ils sautent le pas ? Pas grand-chose. L’Europe regarde l’Amérique du Sud. Il manque sûrement les occasions. Mais je pense que cela arrivera.

Comment les petits clubs argentins peuvent-ils garder leurs pépites ?

Les garder, c’est difficile, voire impossible. Pour être compétitif, il faut faire une très bonne formation. Je pense que c’est similaire avec la situation en France. Quelques équipes ont de l’argent mais le reste doit faire avec les moyens du bord pour lutter. Et la formation est un moyen pas si coûteux pour sortir des talents et de bons joueurs qui pourraient rester un temps au club. Le championnat argentin a cette particularité que beaucoup d’équipes semblent quasiment au même niveau et la compétition est intense. Alors comme la répartition des forces varie souvent, certains jeunes peuvent rester un peu plus. Mais avec les grands noms de clubs et l’argent qui va avec, comment garder un joueur une fois passée la vingtaine ?

Que penser de l’action de la fédération argentine avec les jeunes ?

Maintenant, doucement, cela va moins mal. Ce n’est pas encore le mieux qu’on puisse espérer, mais depuis deux ans ça s’arrange. D’anciens joueurs sont impliqués avec les jeunes joueurs. Placente et Aimar sont à la Coupe du Monde U17 et font un travail qu’il faudra suivre.

Ce n’est pas un projet qui vous intéresse ?

Si, mais de loin pour l’instant. Je suis surtout curieux et attentif aux prochains grands joueurs que donnera le football argentin. C’est un pays avec un grand futur, sur lequel on doit travailler. On a été très en retard, par rapport à l’Espagne ou à la France par exemple. L’Argentine a pris un gros coup d’arrêt et je suis content que Placente et Aimar soient là.

 

Propos recueillis par Nicolas Basse de Serie A Mon Amour pour Lucarne Opposée. 

Suite de l'interview où il évoque sa carrière européenne notamment à retrouver chez Ultimo diez  

Nicolas Cougot
Nicolas Cougot
Créateur et rédacteur en chef de Lucarne Opposée.