Après avoir connu l’Asie et l’Europe, Christian Bekamenga a posé ses valises à Potosí. Et depuis les sommets de l’Amérique du Sud, le Lion camerounais a repris goût au football.

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Les gens connaissent ton parcours français, mais ne savent peut-être pas que ton histoire professionnelle a débuté en Asie. Comment avais-tu atterri en Malaisie et Indonésie.

Oui, j’ai commencé à jouer en Malaisie, j’étais allé là-bas avec un tuteur, un monsieur que je connaissais au Cameroun, qui est devenu par la suite mon agent en Malaisie et en Indonésie. Il nous avait proposé d’aller faire des essais en Malaisie et pour un Africain, voyager c’est comme un rêve, on ne pouvait pas refuser. C’était une opportunité à saisir, on y est allé nombreux, on est deux ou trois à avoir réussi, les autres sont rentrés. C’est comme ça que ma carrière a commencé.

Tu étais tout jeune, dix-huit ans…

Oui, je ne savais rien, je ne parlais pas anglais, c’était très très dur. Pour tout dire, les premiers clubs où je suis allé, ça n’a pas marché, j’ai eu un autre essai et ça a fini par fonctionner.

Quitter le Cameroun à dix-huit ans, pour aller en Malaisie, sans la langue, pour l’intégration et ouvrir des portes, c’est compliqué. Il fallait s’accrocher non ?

C’était très difficile. On se dit que dans ces pays, vous avez une chance sur dix mille de revenir en Europe. C’est une chance que j’ai pu saisir, mais en partant là-bas, je ne savais pas où j’allais. Il fallait que je joue au foot, j’étais orphelin de père donc il fallait que je laisse ma place pour les études à mes petits frères et mes petites sœurs. C’était l’opportunité à saisir. Mes débuts n’ont pas été faciles, mais on s’adapte. Je suis un Lion, les Camerounais s’adaptent à tout !

C’est ce que j’allais dire car ça a vite décollé…

Quand vous savez que vous avez des gens qui comptent sur vous derrière, la famille, ça donne beaucoup de force. C’est ce qui fait la force des Africains, ils savent que quand vous sortez, c’est toute la famille qui compte sur vous.

Tu me disais que les chances d’arriver en Europe en venant de ces pays sont faibles, comment cela s’est fait pour toi ?

J’ai eu de la chance. Je commençais à jouer et en 2007-2008 il me semble, je suis parti en vacances et le sélectionneur des U23 connaissait bien mon agent, il me donne alors une chance d’intégrer la sélection. C’est comme cela que j’y arrive en saisissant l’opportunité et la suite, on la connait. Je fais toutes les compétitions avec les U23, je gagne beaucoup de trophées où je suis meilleur buteur, on arrive à se qualifier pour les Jeux Olympiques. Pour dire vrai, on ne m’a pas repéré en Asie, on m’a repéré ici avec la sélection espoir. Ce sont les jeux africains, les qualifications, les compétitions que j’ai faites avec les U23 qui font en sorte que les équipes européennes s’intéressent à moi.

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Tu choisis Nantes, j’imagine que le saut est immense…

Oui parce que déjà, il y avait un grand frère du quartier qui était passé à Nantes, Salomon Olembé. Pour nous c’était un rêve de jouer à Nantes, c’était un club qui fonctionnait bien avec les Africains, les Camerounais qui y sont passés, Olembé, Djemba-Djemba, Ateba Bilayi, qui était de mon quartier. C’est un bon club, pour que ma famille puisse aussi me voir, parce qu’en Asie, c’était compliqué (rires).

Tu en gardes quel souvenir ?

De très bons souvenirs. C’était le moteur, le club qui m’a mis en lumière. J’ai connu de très bons moments, malgré une descente, mais c’est mon club, mon club de cœur, celui où je me suis le plus éclaté, où j’ai passé le plus de temps.

Après Nantes, tu vas connaître plusieurs autres clubs français avant de partir de nouveau à l’étranger. Il y a un club que tu gardes plus particulièrement en mémoire ?

Tous les clubs dans lesquels je suis passés sont des clubs que j’ai choisis que ce soit Laval, Troyes, Metz, Lens, même Carquefou. Ce sont aussi des bons clubs où j’ai fait des passages certains bons, d’autre moins bons. Ce sont des clubs qui reviennent bien. Troyes remonte, Lens et Metz font une belle saison. Ce sont des clubs dans lesquels j’ai aimé jouer.

Tu vas ensuite passer en Turquie puis surtout en Chine, à une époque où la Chinese Super League attire les grandes stars, alimente les mythes en Europe avec des clubs qui mettent des moyens. Comment as-tu atterri en CSL ?

Après ma belle saison en Turquie où je marque beaucoup de buts (NDLR : quatorze buts en vingt-huit matchs), j’ai été contacté par un agent chinois qui me disait que Liaoning cherchait un attaquant pour remplacer un attaquant blessé. Les places sont chères, il n’y avait que quatre places pour les étrangers. Mais avec les salaires qui allaient avec, il était impossible de refuser. J’avais un autre agent camerounais qui, paix à son âme, est décédé l’an passé à cause de la COVID-19, et qui a été le moteur de ce transfert en Chine. Il était en contact avec l’agent chinois et me propose à eux. Ils ont regardé mes vidéos et se sont montrés intéressés.

Tu l’as trouvée comment cette Chinese Super League de l’époque ?

C’était top. Il faut dire la vérité. C’est un autre niveau en termes d’infrastructures, il y avait beaucoup de grands joueurs, de très grands entraîneurs. Les infrastructures étaient top, déjà dans le club où j’étais.

On sentait déjà cette ambition de faire de la CSL un top championnat ? Tu penses qu’ils peuvent y arriver ?

S’ils continuent ainsi oui. Ils apprennent vite. Par exemple, s’ils viennent vous voir comme journaliste pour apprendre le métier, ils vont placer quelqu’un à vos côtés pour qu’il apprenne. Il ne va pas mettre deux ans pour le faire, en six mois – un an, il aura appris tout ce dont il a besoin et c’est parti. Pour le foot, c’est la même chose. Ce ne serait pas étonnant que d’ici six ans, en continuant comme ça, ça devienne un grand championnat. À mon époque, ils ont appris de grands entraîneurs étrangers. Si la Chine a pu devenir l’une des plus puissantes nations au monde, ce n’est pas le football qui va les en empêcher. Le football est différent, ils ne gagneront peut-être pas, ne seront peut-être pas les meilleurs, mais ils progressent très rapidement.

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Avant d’arriver en Amérique du Sud, on va rester un temps en Asie car tu viens de passer par un autre championnat en développement : le Bangladesh. Là encore, comment cela s’est fait ?

J’ai été contacté par un agent en Suisse et son ami vit au Bangladesh. Les deux m’ont proposé au club, Muktijoddha, le nom est un peu dur (rires). J’y suis passé trois mois, je ne connaissais pas le championnat…

…Il ressemble à quoi ? On a des membres de notre rédaction qui regardent de ce côté-là et ont suivi les arrivées d’excellents joueurs sud-américains notamment, voient qu’ils avancent au point de venir titiller l’Inde.

Oui, ils sont un peu comme l’Inde. Il y a de bons clubs dans ce championnat qui essayent d’attirer de bons joueurs. Il y a cinq ou six étrangers par équipe et ils essayent de développer le championnat grâce à eux. Malheureusement la crise sanitaire a tout stoppé. Là par exemple, les frontières sont fermées, c’est difficile d’attirer de nouveaux joueurs. C’est un championnat qui essaye de progresser. Je pense que ce sera plus intéressant une fois la crise passée.

Et c’est ainsi donc que tu es arrivé en Bolivie, au Real Potosí. J’imagine que tu avais des images en tête de ce qu’est le football sud-américain, mais le football bolivien plus particulièrement, tu en connaissais quoi ?

Rien du tout. Je n’avais jamais vu la moindre image de football bolivien. L’image que l’on se fait du l’Amérique latine depuis l’étranger, c’est Boca Juniors, c’est River Plate, l’équipe dans laquelle André-Pierre Gignac évolue maintenant, Tigres, et les clubs brésiliens. Mais je n’avais jamais vu un match du championnat bolivien, je ne connaissais pas les noms des clubs boliviens.

En plus tu arrives à Potosí, à près de quatre mille mètres d’altitude…

Oui, c’est hyper difficile au début pour nous qui arrivons de l’étranger, de la France, quand il faut jouer à quatre mille mètres d’altitude. Je ne mentirai pas, les premières semaines étaient très dures, je me disais que je ne tiendrai pas un mois. Mais on dit ici qu’après un mois on s’adapte et j’avais l’impression qu’au fur et à mesure, ma respiration s’améliorait. Là, cela fait plus d’un mois que je suis là, je suis encore en période d’adaptation, mais je souffre moins.

Et pourtant, sur le terrain, ça a marché assez vite !

Oui. Parce que je savais que les Sud-américains aiment le foot, que ça n’allait pas être un championnat où ce serait uniquement tactique ou physique. C’est plus facile quand vous êtes dans ce type de championnat, ce n’est pas comme en France où toutes les équipes sont tactiques et physiques, ici ils aiment attaquer, aiment le foot. Là, on a eu un 5-4 (NDLR : Independiente Petrolero – Jorge Wilstermann). En France, c’est difficile de voir ce type de résultats…

La Bolivie est l’un des championnats où l’on marque le plus au monde après les Pays-Bas

Voilà. Ils aiment voir des buts. À 3-0, ça continue à attaquer. C’est aussi ce qui m’a motivé. J’ai joué avec quelques sud-américains, eux, ils aiment le foot, s’amuser, prendre du plaisir. Pour un attaquant, dans ce genre de championnat, c’est sûr que vous marquerez des buts.

L’amour du jeu, le bonheur de jouer presque sans calcul, c’est ce qui te marque ici en Bolivie ?

Ah oui. Quand j’étais en France, on me disait que l’attaquant est le premier défenseur, qu’il fallait défendre puis ensuite attaquer, avoir une grande concentration car je n’aurais qu’une occasion et qu’il faudrait marquer. Ici ce n’est pas le cas. Vous allez avoir quatre-cinq occasions, elles arrivent à tout moment, même en fin de match. C’est un championnat très offensif, les défenses ne sont pas aussi solides et cela rend les matchs ouverts. Tu prends du plaisir. Pour tout dire, à un moment, après le Bangladesh, j’avais perdu cette envie et là, depuis que je suis arrivé en Bolivie, la flamme renait.

bekamenga3En plus tu croises aussi des géants…

Oui, des équipes qui jouent la Libertadores. C’est motivant, tu as envie de jouer ces équipes.

Et autour du terrain, malgré les conditions actuelles, tu arrives à ressentir la passion ?

Ah mais ici ils vivent leur vie ! Par rapport à ce que j’ai connu au Bangladesh, ils vivent normalement. Les gens sont sympas, accueillants et vivent leur vie sans déranger qui que ce soit. On a même parfois l’impression qu’il n’y a pas de COVID-19 ici. Je ne suis pas encore sorti, mais on a l’impression de vivre dans un autre monde que l’Europe. On m’a demandé quand je reviendrai en France, j’ai répondu que je ne reviendrais pas tout de suite. Je suis bien ici.

Et avec le plaisir retrouvé, tu te fixes de nouveaux objectifs, des ambitions ?

Il est vrai que quand je suis arrivé, une fois que j’ai commencé à jouer, les objectifs n’ont plus été les mêmes. Aujourd’hui, mon but est de qualifier le club à une coupe continentale, Libertadores ou Sudamericana.

Tu me parlais de flamme qui renait, on voit que l’arrivée en Bolivie a tout relancé

Exactement. Aujourd’hui, je veux jouer ces compétitions, contre les meilleurs, les plus grands. L’avantage ici, c’est qu’on ne regarde pas l’âge, être bon sur le terrain, c’est tout ce qui compte. Le plus important est ce que tu fais sur le terrain, pas l’âge. Il suffit de voir Carlos Tevez à Boca qui a trente-sept ans et est toujours performant. On croise de nombreux joueurs qui ont été performants en Europe et le sont encore ici. Les championnats sud-américains ne regardent pas l’âge, juste si vous êtes suffisamment performant.

Nicolas Cougot
Nicolas Cougot
Créateur et rédacteur en chef de Lucarne Opposée.