Au fil des vagues d’immigration, les différentes communautés venues s’installer en Amérique du Sud ont trouvé en le football un moyen d’intégration tout en conservant un motif d’identification. C’est l’exemple du Club Deportivo Palestino, fondé un 20 août 1920.

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La plus grande communauté au monde

L’histoire du Club Deportivo Palestino s’inscrit dans l’héritage des grandes vagues migratoires venues de l’ancien Empire Ottoman. De la Guerre de Crimée, qui voit une première vague de businessman et d’agriculteurs traverser l’océan, au début du XXe siècle qui voit le Chili installer des agences d’immigrations en Allemagne, en Suisse et en France pour permettre à la jeunesse palestinienne de fuir l’Empire Ottoman et notamment son service militaire, des milliers de personnes ont alors franchi l’Atlantique, transité vers Buenos Aires avant de traverser la Cordillère des Andes à dos de mules pour venir s’installer au Chili. C’est cette grande vague migratoire venue de l’Empire Ottoman qui voit les descendants de ces migrants surnommés Turcos encore aujourd’hui (lire Los Turcos : les Arabes et le football en Amérique latine). La majorité des nouveaux arrivants sont chrétiens et s’installent dans le barrio de Patronato à Santiago. Les arrivées se succèdent durant la Première Guerre mondiale, se poursuivent jusqu’au début des années cinquante, conséquence notamment de la Guerre Israélo-Arabe de 1948-1949. D’abord marginalisée, surtout dans les années vingt où le Chili traverse une lourde crise économique qui pousse, comme bien souvent en pareille situation, à faire des nouveaux migrants les responsables de tous les maux, la communauté palestinienne du Chili finit par trouver une vraie place dans le paysage social et devient, au fil des décennies, la plus grande communauté en nombre hors monde arabe.

Origines antérieures ?

Un simple tour sur le site officiel du club vous donne les éléments de sa naissance. En 1920, à plus de huit cents kilomètres de Santiago, lors d’Olympiades des communautés arabes, l’idée de fonder un club représentant la communauté palestinienne voit le jour. Le 20 août 1920, le Club Deportivo Palestino aurait ainsi été créé. Il semble pourtant que sa naissance est antérieure.

L’ONG Amal Chile, dont l’un des rôles est de promouvoir la culture palestinienne, a en effet dévoilé un document original et certifié déniché à la Bibliothèque Nationale : les statuts officiels de la fondation du Club Sportivo Palestina à Santiago. Ce document de quinze pages, daté du 25 mars 1916 qui fait notamment apparaître le nom des soixante-huit membres fondateurs avec, parmi eux, Salomón Ahues, Jorge Halabi, Elías Lama, Benedicto Chuaqui, Nicolás Saffie, Miguel Saffie et Juan Deik, plusieurs noms qui apparaissent ensuite dans le Palestino de 1920. Reste que ce document officiel est appuyé par une série de témoignages dont celui d’Eduardo Ayub, ancien joueur du club qui a participé à la fameuse Olympiade d’Osorno. Celle-ci n’aurait pas eu lieu en 1920 mais en 1950. Elle se nomme Primera Olimpiada del Frente Unido de la Juventud Chileno Árabe et fait participer plusieurs clubs venus des quatre coins du pays avec donc parmi eux le Palestino de Santiago qui finit par la remporter. C’est de cette épreuve que serait née la volonté du club de devenir professionnel. Qu’importe qu’il fût créé en 1916 ou en 1920, le club de la communauté palestinienne est désormais lancé. Deux ans plus tard, le CD Palestino entre dans le monde pro et laisse trente-deux ans (ou trente-six donc) d’amateurisme derrière lui mais aussi met fin à son premier principe : celui de ne laisser jouer que des joueurs issus de la communauté arabe.

Succès immédiats

Autorisé par la Asociación Central de Fútbol à participer à la Segunda División, Palestino ne perd alors pas de temps, décrochant le titre dès sa première saison. Le club parvient alors à attirer les grands noms à coups de carnet de chèque, gagnant le surnom de Millonarios, et provoque bien des débats lorsqu’il rapatrie notamment les frères Robledo, que tout le Chili voyait revenir au pays pour défendre les couleurs de Colo-Colo. Qu’importe, malgré les stigmatisations, les moqueries et les articles profondément à charge contre le club et ses dirigeants (avec quelques relents xénophobes), le Tino continue de se construire une équipe armée pour l’élite, continue d’attirer des joueurs. Parmi ces grands joueurs, un ancien Millonario version argentine, Roberto Coll. Ayant longtemps vécu dans l’ombre des offensifs de la Máquina de River, bien qu’en faisant tout de même partie, Coll arrive à Palestino après une pige en Colombie à l’époque du Dorado, la première époque dorée du football cafetero. Entraîné par Antonio Ciraolo et avec el Muñeco Coll comme star, Palestino décroche son premier titre majeur en 1955 avec le championnat chilien. Un succès sans lendemains.

Car il faut attendre près de vingt ans pour voir de nouveau Palestino occuper le devant de la scène. Là encore, il le fait grâce à l’arrivée de légendes dont le mythique Elías Figueroa. La légende du football chilien arrive au club sur un concours de circonstance. Alors à Porto Alegre, défendant les couleurs de l’Internacional, il invite le président Enrique Atal à manger. Au cours du repas, son épouse évoque son mal du pays et le président du Tino, qui n’a plus rien du Millonarios des années cinquante, lui indique qu’il serait ravi de l’accueillir. Figueroa fait alors en sorte de tout faire pour rentrer au pays, il y revient en 1977. Palestino change alors de dimension.

Record d’invincibilité et Libertadores

Sous les commandes du défenseur central, le Tino se transforme en machine à victoire. En juillet 1977, le club débute une série de quarante-quatre matchs sans défaite qui ne prend fin que le 12 septembre 1978, signant alors la plus longue série de l’histoire du football chilien, record qui tient toujours. Grâce à cela, il remporte la Copa Chile 1977 et le championnat 1978. Dans ses rangs, outre Figueroa se trouvent des joueurs comme Rodolfo Dubó, Manuel Rojas ou encore la machine à buts argentine Oscar Fabbiani, trois fois meilleur buteur au pays de 1976 à 1978. Tous sont de la double aventure paraguayenne avec le club et la sélection en 1979.

Cette année-là, le CD Palestino participe à la troisième Libertadores de son histoire. Placé dans le groupe 4, le Tino atomise les Vénézuéliens du Deportivo Galicia et de Portuguesa et s’offre la première place en prenant le meilleur sur le compatriote O’Higgins. Ce parcours parfait (quatre victoires, deux nuls, aucune défaite, seize buts inscrits, deux encaissés, deuxième meilleur total derrière les Brésiliens de Guaraní) ouvre les portes de la deuxième phase, une vaste demi-finale au cours de laquelle les six qualifiés sont répartis en deux groupes. C’est sur cette route que Palestino tombe. Après deux nuls face aux Brésiliens, la bande à Figueroa se heurte au futur champion, l'Olimpia des Alicio Solalinde, Hugo Talavera, Roberto Paredes, Evaristo Isasi et autre Carlos Kiese. Tous sont présents dans l’équipe du Paraguay qui fait tomber le Chili de Figueroa et des autres représentants du Tino en finale de la Copa América la même année (lire Copa América Centenario : 1979, la folle année du Paraguay).

La décennie suivante est celle de l’anonymat et se termine par une relégation en deuxième division en 1988, la dernière à ce jour. Au cours des années quatre-vingt-dix, le digne représentant de la communauté palestinienne s’installe durablement dans le paysage de l’élite chilienne sans pour autant véritablement faire parler de lui, malgré une demi-finale de Copa Chile sous les commandes d’un certain Manuel Pellegrini et l’émergence de futures stars du football local comme Jaime Valdés et, après une belle année 2008 et un Clausura perdu en finale face au Colo-Colo de Lucas Barrios, attend la première décennie des années 2000 pour faire de nouveau parler de lui.

Le club d’un peuple porteur d’un nouveau football

En janvier 2014, c’est d’abord par les polémiques que Palestino fait son retour. En cause, le maillot floqué de numéros 1 représentant le territoire de la Palestine de 1948. Un message fort, un rappel s’il en était besoin de ses origines, de ce qui fait son essence. À l’époque le président Maurice Khamis Massú rappelle ce lien avec les terres dont il est issu. La polémique gonfle, dépasse les frontières chiliennes et voit le club condamné publier sur ses réseaux sociaux que « Palestino et ses symboles existent au Chili depuis 1920, 28 ans avant l’établissement de l’Etat d’Israël en Palestine. […] Pour nous, la Palestine libre sera toujours la Palestine historique, rien d’autre. »

Alors le club prend la plus belle des revanches, sur le terrain. En milieu d’année, Palestino attire sur son banc l’Argentin Pablo Guede. Avec lui, le Tino change de dimension, devient l’école du beau jeu, l’école de la révolution footballistique du continent (lire Pablo Guede, la nouvelle (r)évolution argentine). Et comme par magie, les résultats reviennent. Quatrième de l’Apertura, le Tino écrase la Liguilla, surpassant Huachipato en demies, atomisant les Wanderers en finale et retrouve une place en Libertadores après trente-six ans d’absence au lendemain d’une victoire 6-1.

Fidèle à ses principes, le club atteint la phase de groupe de l’édition 2015 de la Libertadores. Le plus grand représentant de la Palestine n’en finit plus de porter fièrement les couleurs d’une terre qu'il n'a jamais oubliée. Fierté de Mahmoud Abbas, le club voit ses matchs de Copa Libertadores diffusés au Moyen Orient par Al Jazeera qui en acquiert les droits, Bank of Palestine prend place sur le maillot et apporte un soutien financier, après avoir invité le champion de Palestine pour un amical à La Cisterna, le club recrute Shadi Shaban qui fera ensuite quelques apparitions avec l'équipe première. Preuve que malgré les treize mille kilomètres qui les séparent, le lien entre Palestino et la terre de ses ancêtres est toujours aussi fort.

La suite est faite de hauts de bas. En 2016, le Tino se hisse en quarts de finale de la Sudamericana, éliminé d’un but par San Lorenzo, et réussit alors sa meilleure campagne continentale. L’année suivante, Palestino est au bord du gouffre, sauvant sa présence en première division lors de l’ultime journée avec un nul à la maison, une fois encore face aux Wanderers. Un an plus tard, sous la conduite d’Ivo Basay et alors que l’une des idoles du club, Luis Mago Jiménez, Palestino met fin à quarante années sans titre en s’offrant la Copa Chile en sortant notamment la U en demies et remportant le clásico de colonias face à l’Audax en finale. Le Tino est depuis confortablement installé en première division et retrouve même les premières places ces dernières années, retrouvant par la même les compétitons continentales. Preuve s’il en est que le plus fier représentant de la Palestine dans le monde est plus vivant que jamais.

 

Article initialement publié le 20/08/2020, mis à jour le 20/08/2023

Nicolas Cougot
Nicolas Cougot
Créateur et rédacteur en chef de Lucarne Opposée.