Basé à 2 500 mètres d’altitude dans la ville de Cochabamba, le club de Jorge Wilstermann est indissociable du paysage footballistique bolivien. De sa création en 1953 à son dernier titre de champion en juin 2018, retour sur les 70 ans d’histoire du club aviador.

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Décollage inattendu

Cochabamba, 1949. La compagnie aérienne bolivienne Lloyd Aéreo Boliviano (LAB) décide de créer un club sportif et culturel représentant avec honneur la LAB, référence aéronautique nationale de l’époque. Dans un premier temps, cette nouvelle section propose à ses employés de participer à des tournois d’échecs, de tennis ou de football. jorgewilstermannL’année suivante, en 1950, le club organise son premier tournoi interne de football. Les étudiants représentant l’école technique d’aviation remportent cette compétition interne avec maîtrise et facilité. Peu à peu, cette jeune équipe talentueuse attire les curiosités et reçoit plusieurs invitations pour jouer des tournois dans d’autres villes voisines. Le football commence à devenir une affaire sérieuse au sein même de la compagnie d’aviation et les dirigeants réfléchissent à inscrire leurs joueurs, toujours employés de la LAB, dans les championnats officiels organisés par la fédération. Ainsi, l’année suivante, un accord est trouvé avec le club de football San José de la Banda qui utilise une grande partie des joueurs du Club LAB pour évoluer dans le championnat de l’Association de Football de Cochabamba (AFC). San José de la Banda termine champion et les dirigeants de la compagnie aérienne prennent conscience de la valeur de leurs joueurs. Cadres, employés et ouvriers de la Lloyd Aéreo Boliviano décident de se réunir avec l’idée de former un vrai club de football, une entité à part, dissociée de la compagnie aérienne. Les dirigeants sont déjà connus et l’équipe est déjà formée : reste seulement à trouver un nom. La volonté des membres de ce nouveau club de football est de faire honneur à ses origines en devenant un digne représentant du monde de l’aviation. Ainsi, le 6 février 1953, le commandant Walter Lehm suggère le nom de « Club Jorge Wilstermann » en hommage à son ami et icône de tous, Jorge Wilstermann, premier pilote civil bolivien décédé en 1936 après un tragique accident d’avion.

Jorge Wilstermann était le petit fils d’un immigré allemand et le fils d’un ancien mécanicien de la Lloyd Aéreo Boliviano. Après avoir fêté ses 18 ans en 1928, il avait suivi des cours dans l’école des mécaniciens et pilotes commerciaux de la Lloyd Aéreo Boliviano, compagnie avec laquelle il travaillera jusqu’à sa mort huit années plus tard. En plus du club de football, l’aéroport de Cochabamba porte également le nom du pilote tragiquement disparu. Dès le mois de mai 1953, le tout nouveau Club Jorge Wilstermann effectue ses débuts officiels au sein de l’Association de football de Cochabamba. Les joueurs évoluent avec les couleurs de l’aéroligne bolivienne (le céleste et le blanc) et terminent l’année champions du département ce qui leur permet d'accéder à l’étage supérieur. Les Aviadores enchaînent les bonnes performances au point d'être couronnés champion régional en 1954. Le Club Jorge Wilstermann jouit désormais d’une notoriété nationale et frappe à la porte du professionnalisme.

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Premiers envols

En 1955, le nouveau président du club Roberto Prada émet le souhait de voir Wilstermann rejoindre le système professionnel de football bolivien qui n’est alors occupé que par les clubs de La Paz. Jorge Wilstermann passe un test-match à La Paz face à Bolívar afin que les instances puissent juger du potentiel de cette équipe. Devant 11 000 spectateurs, le club de Cochabamba écrase Bolívar 6-3 avec cerise sur le gâteau, une chilena achevant définitivement l’équipe locale. Les journaux de l’époque sont enchantés par la prestation des hommes de Cochabamba durant ce match qui marquera les esprits et restera comme la rencontre amicale la plus importante de l’histoire du club aviador. Wilstermann a gagné le droit de rejoindre la cour des grands et quelques mois plus tard le club effectue ses débuts au sein du Football Professionnel Bolivien en arrachant un match nul 3-3 face à l’un des plus grands clubs boliviens de l’histoire : The Strongest (lire L’histoire d’un nom (24) : Club The Strongest). Wilster finira les saisons 1955 et 1956 à une honorable cinquième position. Après deux saisons parmi l’élite, les dirigeants décident de changer de couleurs à l’institution. La tunique céleste et blanche étant déjà utilisée par d’autres clubs professionnels, Jorge Rojas Tardio, président de l’époque, choisi le rouge, le blanc et le bleu : « j’ai choisi ces couleurs parce qu’elles correspondent à la force, à l’envie de tout donner sur le terrain et puis comme ça nous étions les seuls à utiliser ces couleurs dans le pays ». La saison 1957 correspond à la toute première édition du championnat de première division en Bolivie avec une compétition organisée au niveau national par la fédération. Avec dix victoires, un match nul et une seule défaite Jorge Wilstermann devient le premier champion national de l’histoire du championnat bolivien. Mieux, le club est de nouveau couronné en 1958, 1959 et 1960, faisant de lui l’unique tetracampeón national de l’histoire. Son titre de 1960 lui donne le droit de disputer une toute nouvelle compétition continentale : la Copa Libertadores.jairzinho

Sept clubs de sept pays participent à la Copa Libertadores 1961. Le champion d'Argentine, de Bolivie, du Chili, de Colombie, du Paraguay et d'Uruguay ainsi que le vainqueur du Taça Brasil, (le championnat du Brésil n'ayant été créé que plus tard en 1971) prennent part à cette nouvelle épreuve. Les fédérations de l'Équateur, du Pérou et du Venezuela avaient décidé de ne pas envoyer de clubs disputer le tournoi. Le tirage au sort offre à Wilstermann la chance de disputer le premier match de Copa Libertadores de l’histoire. Face aux Uruguayens de Peñarol, Wilster ne fait pas le poids et est balayé 7-1 à Montevideo (but de Máximo Alcócer). Au match retour, les Boliviens relèvent la tête et obtiennent un match nul à domicile face au futur vainqueur de l’épreuve (1-1). L’année suivante lors de l’édition 1962, Wilster affronte au premier tour les Colombiens de Santa Fe. Vainqueur 3-2 au match aller au stade Félix Capriles, les Boliviens calent au match retour à Bogotá (1-0 sur un csc). À l’époque, les tirs au but n’existent pas et c’est une pièce de monnaie qui scelle le sort de Jorge Wilstermann. Cette première génération en or du club se voit quand même récompensée au niveau continental lorsqu’en 1963 la sélection bolivienne remporte son unique Copa America, jouée à domicile. Parmi ses titulaires, la Verde compte six joueurs du club : Lopez, Villarroel, Herbas, Zabalaga, Alcócer et Garcia, tous les deux buteurs lors du match décisif face au Brésil remporté 5-4 à l’Estadio Félix Capriles de Cochabamba. Après la victoire de la sélection en 1963, c’est l’autre club professionnel de la ville, Aurora, qui remporte le championnat bolivien. Les voyages effectués en Copa Libertadores laissent le club en situation financière délicate. Wilstermann réussira quand même à obtenir trois nouveaux titres de champion en 1967 et surtout lors des saisons 1972 et 1973 grâce à un bon recrutement réalisé à l’extérieur du pays.

Pour le meilleur et pour le pire

En 1980, une nouvelle direction intègre le club avec l’objectif de faire des Aviadores l’équipe numéro 1 du pays. Pour cela, le président Salazar frappe très fort en recrutant le Brésilien Jairzinho, buteur en finale de Coupe du Monde dix ans plus tôt face l’Italie (4-1). Âgé de 36 ans, Jairzinho est toujours international brésilien et, entouré par d’autres internationaux boliviens, il permet au club de réaliser la meilleure saison de son histoire. Avec Jairzinho, auteur de 17 buts, le jeu de Wilstermann devient séduisant, surprenant. Aujourd’hui encore, l’équipe de 1980 est considérée comme la meilleure de l’histoire du football bolivien. En 1981, le club se renforce davantage avec les Paraguayens Aveiro et Olmedo et le Brésilien Bendelack. Le club remporte un nouveau championnat et sa participation à la Copa Libertadores 1981 fut le meilleure de son histoire, ne s'arrêtant qu’en demi-finale face au Flamengo de Zico, futur vainqueur de la compétition (lire L'histoire d'un nom (20) : Clube do Regatas do Flamengo) . Depuis cette épopée continentale, le club a enchaîné les déceptions, se contentant de quelques coup d’éclat comme lors des titres obtenus en 2000, 2006 et 2010. Jorge Wilstermann change de statut et son image de club respecté se dégrade peu à peu, Wilster devient un club ordinaire du paysage footballistique bolivien, dominé par les clubs de La Paz et de Santa Cruz. Les difficultés financières que connait le club ne lui permettent pas d'enchaîner les résultats qui sont ainsi irréguliers au fil des saisons. Le pire arrive en 2010. Champion lors d tournoi Apertura, Wilstermann, déjà qualifié pour la Copa Libertadores 2011 grâce à son couronnement, se laisse glisser dangereusement au classement du tournoi Clausura 2010. Finalement, après un tournoi affligeant, le club se retrouve avant dernier et se voit relégué pour la première fois de son histoire en deuxième division bolivienne, pour 1 point. Ainsi, les joueurs de Cochabamba participent en 2011 à la Copa Libertadores tout en disputant en parallèle le championnat amateur de seconde division bolivienne. Lors de la phase de groupe du tournoi continental, les Aviadores réussissent à obtenir quatre points grâce à une victoire face au club mexicain des Jaguares et à un match nul à domicile face aux Équatoriens de Emelec.

Le renouveau

Finalement, le club ne reste en seconde division qu’une année et retrouve l’élite après avoir écarté Guabirá lors d’un troisième match d’appui très disputé. Les résultats sont timides et au fil des années Jorge Wilstermann se restructure peu à peu. En 2016, le club signe son retour au premier plan en étant couronné champion de Bolivie. Depuis, l’équipe de Cochabamba n’a jamais quitté les premières positions du tournoi bolivien. Championne en titre grâce à une finale épique remportée face à The Strongest en juin 2018 (1-2 et 2-1 puis 2-2 (3-2 t.a.b.) en match d’appui), Jorge Wilstermann s’est même offert un périple continental en 2017. Après avoir commencé par se venger de Peñarol à domicile (6-2), Wilstermann est sorti second de sa poule derrière Palmeiras et s’est offert le luxe d’éliminer en huitième de finale l'Atlético Mineiro de Fred et Robinho (1-0 et 0-0). En quart de finale, les Boliviens croyaient avoir fait le plus dur en écrasant un bien pâle River Plate lors du match aller (3-0). Finalement, le rêve de voir le club atteindre pour la seconde fois les demi-finale fut anéanti lors du match retour (défaite cuisante 8-0 au Monumental). Quoi qu’il en soit, Jorge Wilstermann est de retour. Qui aurait cru qu’un aviateur bolivien disparu tragiquement en 1936 ferait autant parler de lui au vingt et unième siècle ?

Thomas Allain
Thomas Allain
Breton exilé à La Paz. Correspondant en Bolivie pour Lucarne Opposée