Né dans le quartier de La Boca avant celui qui deviendra son plus grand rival, River Plate ambitionne rapidement d’être plus qu’un club de quartier. Au point de finir par devenir l’un des plus grands du pays et du continent.

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Le 25 mai 1901 dans le barrio de La Boca, deux clubs qui entretiennent une rivalité amicale décident de fusionner pour grandir. Les ouvriers de la charbonnerie Wilson, qui jouaient soit pour La Rosales soit pour Santa Rosa unissent donc leurs efforts afin de trouver un club commun qui leur confèrera une identité unique. C’est ainsi qu’un premier nom est proposé, Juventud Boquense mais il ne fait pas l’unanimité dans un climat où le football reste à forte inspiration anglo-saxonne. C’est ainsi que la proposition de José Corpucci l’emporte, le club se nommera Club Atlético River Plate, hommage au Rio de La Plata dont River Plate est la traduction. Le premier président est Leopoldo Bard, médecin et futur député de l’UCR (Unión Cívica Radical) dans les années vingt. Le club adopte les couleurs du drapeau de la ville de Gênes (rouge et blanc), dont de nombreux de ses fondateurs sont originaires. Après avoir disputé son premier match face aux membres de la faculté de médecine – la légende veut que Bernardo Houssay, premier Prix Nobel de physiologie ou de médecine latino-américain inscrit deux buts –, le club élit domicile à la Dársena Sud, à quelques encablures de là où Boca se posera quelques années plus tard, mais va progressivement migrer vers le Nord, s’éloignant du barrio de La Boca. Car les ambitions de River Plate s’étendent au-delà du quartier et ce, dès les premières années. ferreyraJosé Bacigaluppi, président de l’institution dans les années déclarera « River n’est pas un club de quartier, il est le club d’une ville ». Sous sa présidence, le club déménage du côté de Recoleta, louant le terrain sur lequel il va construire son stade, l’Estadio de Alvear y Tagle, qui accueillera ainsi le Real Madrid en tournée sud-américaine puis le Campeonato Sudamericano de 1929 notamment. La location dure plusieurs années, les tarifs augmentant (le loyer passe de 500$/mois au début à 3530$/mois en 1935 lors du dernier contrat). Entre temps, Antonio Vespucio Liberti prend les rênes du club. Celui qui restera à la tête du club plus de 20 ans (pas de manière consécutive) entretient une amitié avec Alberto J. Armando, président de Boca Juniors. Ensemble, ils partagent l’idée de clubs comme étant des entreprises de spectacle, Liberti pousse le concept avec son River à l’entrée du professionnalisme.

Millonarios, Máquina et Gallinas

N’ayant glané qu’un titre de champion durant la période amateur, River profite de l’arrivée du professionnalisme pour accélérer. Liberti va alors être l’un des premiers à investir dans les joueurs : en 1931, Carlos Peucelle arrive à River pour 10 000 pesos, l’année suivante, Bernabé Ferreyra arrive pour 35 000 pesos. Le transfert marque les esprits, River Plate révolutionne le marché et devient le club des Millonarios, des millionaires. Le club décroche son premier titre en 1932, les années suivantes sont celles de la montée en puissance grâce notamment à l’émergence de joueurs tels qu’el Charro Moreno et Adolfo Pedernera qui se joignent au duo de feu. River décroche le titre en 1937, l’année suivante, le club a migré davantage au Nord, vers les quartiers plus huppés de Belgrano encore clairsemés à l’époque, pour s’y poser définitivement en prenant la place du vieil hippodrome de Bajo Belgrano (l’hippodrome de White) pour poser les pierres de son Monumental. Il l’inaugure face aux frères de Peñarol, la croissance continue, l’immensité du Monumental illustrant la grandeur des ambitions de Liberti pour son club, les Millonarios vont laisser place à un autre surnom : La Máquina. Elle se forme dans les années quarante sous la direction de Renato Cesarini puis de Carlos Peucelle, et reste comme l’une des meilleures équipes que l’Argentine a connues et décroche les titres de 1941, 1942, 1945 et surtout termine à une exception près, toujours au minimum deuxième du championnat entre 1941 et 1949. Cette machine décroche 10 titres dans cette période, compte dans ses rangs des joueurs entrés dans la légende comme Adolfo Pedernera, son cerveau, Ángel Labruna, meilleur buteur de l’histoire de River, Felix Loustau, l’un des meilleurs si ce n’est le meilleur ailier gauche enfanté par l’Argentine, Juan Carlos Muñoz, son pendant à droite ou encore José Manuel Moreno considéré par bien des suiveurs comme le meilleur joueur argentin de l’histoire avant Diego et Leo. On trouve aussi des joueurs comme Amadeo Carrizo qui révolutionne le poste de gardien de but, mais aussi vers la fin un certain Alfredo Di Stefano. La Máquina fait place à son héritière, la Máquinita qui continue d’écraser le football local des années cinquante : champion en 52, 53, 55, 56, et 57, River Plate effectue à son tour sa tournée européenne, ne perdant qu’un match et devenant la première équipe argentine à s’imposer en Angleterre (face à Manchester City). La fin de la Máquinita fait place à une période de creux. De 1958 à 1974, River ne remporte aucun titre et pire, devient les Gallinas.

L’histoire a été comptée sur Lucarne Opposée et expliquée par l’un des membres de ce River Plate dans le LOmag n°4. Elle se déroule le 20 mai 1966 lors du match d’appui pour la finale de la Copa Libertadores, la première finale pour River, disputée face à Peñarol. Elle voit les joueurs de Césarini mener au score à la pause, chambrer les Carboneros en seconde période… avant de totalement craquer. Spencer à deux reprises, Abaddie et Rocha, Peñarol retourne le Millo et s’impose après prolongation, décrochant ainsi sa troisième Libertadores quand River devra encore patienter. Neuf jours plus tard, River joue Banfield, certains hinchas du Taladro lâchent une poule blanche affublée d’un ruban rouge, les Gallinas venaient de naître. Avec elle, une malédiction continentale.

Talon d’Achille continental et descente aux enfers

Car si Boca va rapidement cultiver son goût prononcé pour tout ce qui est compétitions internationales, River va devoir attendre le milieu des années quatre-vingts pour enfin connaître le sentiment procuré par le fait de soulever une coupe continentale. Auparavant, les campagnes continentales ont rarement déclenché un grand engouement. Il y a eu l’épopée de 1966 décrite ci-dessus, il y a celle de 1976, perdu de nouveau lors d’un match d’appui face à Cruzeiro et trois demi-finales. Il faut donc attendre 1986 pour que River décroche sa première Libertadores. Alors que le club sort juste d’une crise sans précédent (les dettes immenses vont par exemple conduire à une grève des joueurs en 1982), il voit émerger un jeune uruguayen nommé Enzo Francescoli qui, aux côtés des Pumpido, Ruggeri, Gallego, Alonso et autres Funes, va décrocher le titre de champion d’Argentine mais surtout s’en aller chercher la première Libertadores de l’histoire du club en sortant tour à tour Peñarol, Montevideo Wanderers et Boca en phase de groupe, puis Argentinos Juniors et Barcelona lors du deuxième tour avant de s’imposer à l’aller comme au retour en finale face à América Cali. C’est ce même adversaire que River retrouvera dix ans plus tard pour sa deuxième Libertadores, toujours avec Francescoli comme leader sur le terrain, mais sous les ordres de Ramón Díaz et avec de jeunes pousses pleine de talent comme Matías Almeyda, Ariel Ortega, Marcelo Gallardo ou encore Hernán Crespo. Il faudra ensuite attendre près de vingt ans pour voir River soulever de nouveau la Libertadores, sous les ordres de Marcelo Gallardo qui a changé le club. Car si River peine sur le plan international avec ses trois Libertadores, son Intercontinentale (de 1986), l’arrivée sur le banc de l’ancien meneur de jeu Marcelo Gallardo a tout bouleversé. Habitué à glaner régulièrement des titres de champion national, River Plate en compte désormais trente-six, le dernier en 2014, à l’arrivée d’el Muñeco le club devient surtout une machine à trophées internationaux : Sudamericana 2014, Libertadores 2015, deux Recopa Sudamericana, une Suruga Bank, en quatre saisons, le club rempli son armoire à trophée comme rarement dans son histoire. Mais entre les joies, le Millo a surtout connu l’enfer, celui que ses rivaux de Boca n’ont jamais connu : la relégation en Primera B, l’autre énorme épine plantée dans son pied.

monumental

Tout débute pourtant par la joie d’un nouveau titre. Sous la direction du Cholo Simeone, River décroche le Clausura 2008. L’Apertura suivant est désastreux. Dernier au classement avec seulement neuf petits points (une victoire, six nuls, sept défaites), Simeone devient le premier et seul entraîneur de River à se classer à cette position et quitte le navire. River ne rebondit alors pas et termine le tournoi lanterne rouge alors que pendant ce temps, Boca remporte la triangulaire finale pour décrocher son vingt-troisième titre national. Le mode de relégation étant basé sur six tournois (on établit la moyenne de points pris par match sur trois saisons), cette dernière place va peser. Le Clausura suivant est terminé à la huitième place, à la table du descenso, River est alors sixième, encore hors de danger même si celui-ci commence à poindre. Plusieurs anciens reviennent au club à l’image d’Almeyda et Ortega mais rien n’y fait, la pression s’intensifie, les entraîneurs se succèdent. River termine quatorzième de l’Apertura 2009, le calcul est alors simple, le Millo doit alors enchaîner trois tournois à trente points pour éviter le risque d’une relégation. Entre temps, les soucis économiques pèsent sur le club, les soucis extra-sportifs plombent les relations au sein des dirigeants (avec le cas Ortega) et avec les hinchas (et le cas Fabbiani). Alors que Daniel Passarella est élu président du club devant Rodolfo D’Onofrio, River Plate termine treizième du Clausura. Il ne cesse de glisser au promedio, terminant 2010 à la douzième place et n’ayant alors plus aucune marge pour l’année suivante, River perdant les points acquis durant l’Apertura 2008. Le club aborde la saison 2010/11 à la dernière place du promedio. Pour cela, le club procède à un grand remue-ménage dans son effectif, Juan Pablo Carrizo, Mariano Pavone, Leandro Caruso, Carlos Arano, Josepmir Ballón, Jonathan Maidana, Walter Acevedo, Adalberto Román et Luciano Abecasis arrivent, Ángel Cappa qui avait succédé à Astrada en cours de Clausura précédent. Après un bon début, le club cale, Cappa est viré, Juan José López assure la fin du tournoi avec treize points pris sur dix-huit possible. La première partie de la mission est accomplie, River termine avec 31 points. Le tournoi suivant débute bien, jusqu’à une série de deux défaites et un nul. La pression s’intensifie comme jamais, elle pèse sur les épaules des joueurs à l’image de Juan Pablo Carrizo, le gardien qui accumule les erreurs dans ses buts. Sur les vingt-et-un points disponibles en fin de saison, River n’en glane que quatre. Il termine dix-septième et se retrouve à devoir jouer sa survie lors d’un barrage face à Belgrano. Le 22 juin 2011, au Gigante de Alberdi, JJ López aligne une équipe comprenant de nombreux jeunes du club. Le Belgrano de Ricardo Zielinski est sans pitié, il s’impose 2-0. Le match est interrompu par des hinchas de River, pour le retour, le club ne pourra compter sur Adalberto Román, Paulo Ferrari et Matías Almeyda suspendus. Quatre jours plus tard, Mariano Pavone ouvre le score d’entrée de partie, l’espoir d’une folle remontada parcourt les travées du Monumental. Guillermo Farré éteint tout espoir en seconde période, Pavone manque un penalty, le match ne se terminera pas, faute de garanties concernant la sécurité, pour la première fois de son histoire River Plate est relégué.

Si depuis les fantômes de la B sont toujours agités dans les travées de Boca dès lors qu’il s’agit de chambrer les ennemis à la bande rouge, la descente aux enfers de River se transforme en folle opération. Almeyda prend en charge l’équipe, de nombreux anciens rentrent d’Europe pour faire remonter le club. River remporte la Primera B avec dans ses rangs des joueurs tels que Fernando Cavenaghi, Alejandro Domínguez, Carlos Sánchez, Leonardo Ponzio et David Trezeguet. Demi-finaliste de la Coupe, il remonte immédiatement. Avec le retour de Ramón Díaz, le club retrouve les sommets : deuxième du Clausura 2013, après un Torneo Inicial 2103 raté, River est de nouveau champion lors du Torneo Final 2014. Le géant est définitivement de retour, l’ère Gallardo peut alors débuter. Depuis, River Plate a décroché dix titres majeurs, le dernier lors d'une finale pour l'histoire, celle qui lui offre la gloire éternelle face à son rival de toujours, Boca Juniors. En un battement de cil, River est ainsi passé de l’enfer au paradis.

Nicolas Cougot
Nicolas Cougot
Créateur et rédacteur en chef de Lucarne Opposée.