21 juin 1994, Cotton Bowl de Dallas, Finidi déborde côté droit et offre un caviar à son avant-centre Rashidi Yekini, premier buteur de l’histoire du Nigeria en phase finale d’une Coupe du Monde. Yekini, buteur du Vitória Setúbal, lève les bras au ciel, enveloppe les filets, exulte. Une image pour l'histoire, un moment entré dans la légende. Le temps a beau chercher à vider les cellules mémorielles, l’image de l’Aigle nigérian s’imprime dans les cerveaux pour devenir indélébile. Souvenir d’un joueur que certains ont voulu faire oublier.

bandeauedition

Le Taureau de Kaduna

L’histoire de Yekini débute au nord du Nigeria, à Kaduna (Tijani Babangida ou encore Celestine Babayaro naîtront plus tard dans cette même ville). L’industrie textile et automobile sont parmi les piliers économiques de la ville. C’est ainsi que lorsqu’il sort de l’école à l’âge de quinze ans, alors qu’il vient de perdre son père, Yekini, qui fait également quelques petits boulots notamment dans la peinture automobile, débute véritablement son histoire de footballeur à l'UNTL (United Nigerian Textiles Limited) de Kaduna. Il est rapidement repéré par les Shooting Stars avec qui il explose, son mètre quatre-vingt-dix de puissance, de technique et de vitesse préfigurant les futurs buteurs du XXIe siècle. On ne le sait pas encore, mais Rashidi Yekini est une sorte de Ronaldo avant l’heure. Avec ses quarante-cinq buts en cinquante-trois matchs alors qu’il n’a que vingt-et-un ans, il mène son équipe en finale de la Coupe des clubs champions africain de 1984, finale perdue face au Zamalek avec au retour un penalty manqué et un csc assez mémorable.  

À la suite de cette finale, le club est dissous par le gouvernement en raison de la honte qu’il a généré au pays, Yekini rejoint alors Abiola Babes,. Il termine meilleur buteur du championnat et sa réputation ne cesse de croître. Membre de la sélection du Nigeria pour la CAN 1984, avec alors un statut de grande promesse, il est ensuite repéré par un géant ivoirien, Africa Sports avec qui il remporte un championnat et deux coupes et est sacré meilleur buteur. Sa progression linéaire ne peut le conduire que vers l’Europe, l’élu se nomme Vitória Setúbal. Bonne pioche. Le puissant Nigérian ravage les défenses portugaises. En quatre saisons, Yekini marque quatre-vingt-dix buts en cent huit apparitions, devenant le buteur que tout le Portugal redoute, terminant ainsi meilleur buteur du championnat en 1994 (vingt-et-un buts) un an après avoir claqué trente-deux buts en trente-quatre matchs de D2 portugaise qui ont permis aux Sadinos de retrouver l’élite et à Yekini d'être élu joueur africain de l’année. Sa gloire s’écrit en sélection où il n’a fait qu’avaler les différents paliers à franchir.

Super Eagle

Seul buteur de la sélection nigériane lors des JO de Séoul, deuxième meilleur buteur de la CAN 1990, meilleur buteur de la CAN 1992, qu’il termine à la troisième place, il écrase la CAN 1994 tunisienne se permettant le luxe de ne pas marquer en finale (bien que meilleur buteur de la compétition) et arrive fort du statut de meilleur joueur africain à la Coupe du Monde 1994 pour laquelle il a qualifié son pays (huit buts en phase de qualifications). C'est une évidence, le talent hors norme de Rashidi Yekini va enfin se révéler au Monde. Malheureusement, on ne le sait pas encore, mais cette Coupe du Monde américaine marque le début de sa chute.

Le 21 juin 1994, l’histoire s’écrit à Dallas, le Nigeria dispute la première phase finale de son histoire. Arrive donc cette fameuse 21e minute, ce débordement de Finidi, ce ballon qui lui arrive sur le pied gauche, cette fameuse célébration divine. L’image reste, intacte, immense. Elle est l’une des plus marquantes de l’édition américaine.

Ce n'est que lorsque la caméra recule qu’elle prend une autre signification, bien plus sombre. On s’aperçoit alors que Yekini célèbre seul le premier but de son pays en phase finale d’une Coupe du Monde. Amunike, qu'il a devancé sur le centre, s'appuie sur le poteau et file rapidement. Finidi court à l'opposé. La raison est terrible. L’histoire est révélée bien plus tard par Sunday Oliseh (l'un des rares à venir le féliciter par la suite). Meilleur joueur africain, Yekini attire les jalousies de ses coéquipiers et « n’est pas assez malin pour y mettre fin ». Sa transe divine, c’est un cri, plus qu’un but, Yekini hurle à la face du monde sa colère, sa frustration. Plus tôt, Amokachi l'avait totalement oublié, Yekini lui offre pourtant le 2e but qui, pour le coup, est célébré par toute l'équipe. Ce premier but passe mal dans les rangs des Green Eagles. Yekini se retrouve isolé en sélection, pour le reste de l'épreuve, un complot interne vise à ne plus jamais lui donner le ballon, « Ye-king » se replie sur lui-même. Après la victoire face à la Bulgarie, le sélectionneur Clemens Westerhof a beau affirmer que « nous n’avons pas encore vu le vrai Rashidi Yekini, il arrive », jamais on ne le verra. Oliseh révèle par la suite que ses coéquipiers sont alors pour nombre d’entre eux totalement « jaloux de sa réussite »., lui, le footballeur africain de l’année, premier buteur du Nigeria et qui vient de décrocher un énorme contrat à l’Olympiacos. Deux ans plus tard, les meneurs du complot sont champions olympiques, premier titre mondial d'une sélection africaine. Yekini, absent, est brisé. La Coupe du Monde 1994, son ultime tremplin, il ne s'en relève pas. Son passage en Grèce est un échec, Il erre alors, suit un long chemin de croix en club et se voit privé de son dernier objectif, devenir le meilleur buteur de l’histoire de la CAN à la suite de brouilles politiques entre Afrique du Sud et Nigeria. Nouveau coup de couteau. On le retrouve vieillissant, mais sublime, lors de la Coupe du Monde française (le ciseau face à l'Espagne, c'est lui). Mais, lorsque son pays organise la CAN en 2000, il est trop vieux, plus dans le rythme.

L’Aigle sacrifié

Lâché par ses coéquipiers, Yekini l'est tout autant par sa fédération, par les médias. Une horrible campagne vise à le pousser vers la sortie, des promesses non tenues par ses dirigeants (Oliseh parle d'une maison qui lui a été promise en 1994) terminent le travail. Déjà friable, le joueur, l’homme, sombre encore plus. Sept ans de calvaire, de sa dernière pige à quarante-et-un ans, à son décès constaté alors qu’il n’avait que quarante-huit ans, deux ans après avoir refusé d’être l’ambassadeur de la fédération nigériane en Afrique du Sud, quatre ans après avoir vu Samuel Eto'o décrocher son rêve, celui d'être le meilleur buteur de l'histoire de la CAN, lui portant le coup fatal.

Yekini termine sa vie totalement seul. Dépression, paranoïa, frisant le trouble bipolaire, ruiné, il se terre chez lui, se coupe totalement du monde, on ne le reverra plus (si ce n’est par des témoignages tous plus inquiétants les uns que les autres). Personne ne vient l'aider. Rashidi Yekini, l'Aigle fauché en plein vol s’éteint le 4 mai 2012. Après avoir fini sa vie dans une indifférence quasi générale, sa mort rappelle sa légende. Sur son blog (post depuis dépublié), Sunday Oliseh est l’un des rares à honorer sa mémoire, mélange d’immense respect et de colère : « Rashidi Yekini est l’un des meilleurs joueurs africains, l’une des plus grandes légendes à avoir foulé cette terre. Il a (quasiment) qualifié à lui seul le Nigeria pour sa première Coupe du Monde. Il restera dans la livres d’histoire comme leur premier buteur de l’histoire du Nigeria en Coupe du Monde. Il était notre joueur vedette en 1994 lorsque le Nigeria a remporté la CAN en Tunisie. En 1993, il a été le premier Nigérian à être élu joueur africain de l’année, une récompense qu’il a décrochée à deux reprises. Il a marqué près d’un but tous les deux matchs avec le Nigeria. Avoir joué à ses côtés pendant plusieurs années ainsi qu’avec d’autres joueurs, je peux affirmer qu’il était largement le meilleur et le plus pur buteur que nous n’avons jamais eu. […] J’ai honte de voir comment un tel atout de notre nation a été traité par notre fédération et notre gouvernement. Lorsque vous voyez comment une telle légende a été ignorée par notre fédération. […] J’ai pleuré la nuit dernière parce que je n’ai jamais eu l’occasion de pouvoir lui dire merci ».

Avec trente-huit buts en cinquante-sept sélections, Yekini demeure le meilleur buteur de l’histoire des Green Eagles, devenus Super grâce à lui au milieu des années quatre-vingt-dix. Depuis, le Nigeria attend son successeur. Dernier en date, Emenike rêvait de le dépasser, mais a fini par trouver le costume trop grand, trop lourd à porter : « Rashidi Yekini’s shoes are still too big for me to wear ». Car oui, Yekini est une légende. Sacrifié sur l'autel des égos, rejeté par un monde du football qui oublie ses idoles, le premier Super Eagle est né un 23 octobre, comme Pelé. Alors qu’on célèbre le triste anniversaire de sa disparition, son souvenir est aujourd’hui plus que jamais nécessaire.

 
 

Article initialement publié le 23/10/2017, dernière mise à jour, le 4/05/2023

Nicolas Cougot
Nicolas Cougot
Créateur et rédacteur en chef de Lucarne Opposée.