Le 26 mai 2013, la finale du tournoi de clôture du championnat mexicain livre l’une des parties les plus vibrantes de l’histoire du football mexicain voire, soyons fou, du football en général. Un scenario digne des meilleurs Hitchcock que Moisés Muñoz, le principal protagoniste, vous fait revivre en exclusivité sur Lucarne Opposée.

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L’immense Estadio Azteca rugit, pousse ses protégés à l’exploit. Dans ses entrailles, trempée par la pluie diluvienne qui s’abat sans discontinuer sur Mexico D.F., la foule americanista et ses onze guerriers aigles y croient dur comme fer : à deux minutes du coup de sifflet final, le Club America peut encore égaliser et emmener Cruz Azul en prolongation de cette finale retour du championnat national.

Pourtant réduits à dix, les hommes d’El Piojo Herrera se jettent sur chaque ballon comme des morts de faim, à l’image du petit paraguayen Osvaldo Martínez qui gagne une touche à 35 bons mètres des cages. Miguel Layún s’en charge, transmet rapidement la chique au guarani qui centre directement pour Francisco Rodríguez, dont la tête est contrée par un défenseur cimentier. Corner. Moisés Moy Muñoz, dernier rempart des azulcremas, americanista pur et dur, monte apporter le surnombre et tenter le tout pour le tout.  Layún, encore lui, botte le coup de pied de coin au 3e poteau, mais le ballon retombe dans les pieds du colombien Mosquera, qui renvoie aussi le cuir dans le paquet. Cafouillage, Raul Jiménez arme une frappe de la ligne des six mètres, qui est contrée par une patte de lapin adverse. Second corner, il reste maintenant quarante seconde de jeu avant la fin du temps additionnel, Moy n’a pas pris la peine de revenir dans sa moitié de terrain et est resté dans la surface des bleus. Layún, décidément, s’y colle derechef et tape encore un peu fort. La balle vol haut dans le ciel de l’Azteca, se dirigeant vers la partie gauche de la surface de réparation, à l’endroit même où notre héros ganté bataille avec trois joueurs adverses. Tout en reculant, le portier mexicain place une tête plongeante peu académique mais pleine de rage. Malgré la tentative de déviation d’un cruzazulino, la balle transperce les bois de Chuy Corona. 2 à 1 pour l’America qui égalise au résultat global des deux matchs. L’Azteca explose, Moy lui-même n’en revient pas.

 

« Je ne pouvais pas le croire ! Quand j'ai frappé de la tête, je suis un peu tombé sur le côté en essayant de ne pas perdre le ballon de vue. Quand je vois qu'il rentre, que le ballon frappe les filets, je ne pouvais pas le croire. Mes coéquipiers sont venus me féliciter mais à ce moment, pour être honnête, là seul chose qui m'est passé par la tête (riant) c'était de retourner rapidement dans mes buts pour continuer le match, parce que j'ai tellement perdu la notion du temps que je pensais qu'il nous restait encore dix minutes à jouer, je pensais que l'on pouvait encore marquer le but de la victoire. Enfin, le match était presque fini, alors je voulais seulement revenir à mes cages pour éviter de me prendre un but du milieu du terrain sur l'engagement. Et puis j'ai réagi un peu, j'ai dédié le but à ma femme qui était dans les tribunes. Mais vraiment, ça a été un moment au cours duquel je ne savais pas quoi faire, jamais je n'avais imaginé marquer un but, je n'avais rien préparé, je n'avais pas de célébration préparée. La seule chose qui m'est venu en tête c'est de lever les mains et courir avec mes coéquipiers. »

Un véritable miracle de la part d’un homme qui, en plus de cela, revient de loin sur le plan personnel. Un tout petit peu moins d’un an auparavant, sur la route du retour d’un séjour à Morelia, sa ville natale, accompagné de sa femme et de ses deux enfants, Moy perd le contrôle de sa voiture. La famille Muñoz a, cette nuit-là, frôlé le pire. Fort heureusement tout ce petit monde s’en sort sans grave blessure.  « Ça a été un miracle que ma famille et moi soyons en bonne santé après cet accident si violent. Si dieu m'a laissé en vie, sur cette planète, dans ce monde, c'est pour faire quelque chose de grand, et cela ne concerne pas uniquement la question sportive mais également ce qu'est ma vie. Dans ma vie personnelle, en dehors du football, c'est une opportunité de continuer à faire de bonnes choses, de continuer à aider les gens, et ça je continuerai à le faire ! Car cela fait aussi partie de ce pourquoi Dieu m'a laissé sur terre. » Philosophe à ce sujet le solide gardien mexicain. Fort de cet exploit, Moy emmène donc ses coéquipiers et tout le peuple americanista en prolongation, puis au pénaltys, désormais tous emplis d’espoirs par ses prouesses.

« Mentalement, je crois que tout le monde en a tiré beaucoup de confiance. Quand j'allais voir mes coéquipiers, je lisais sur leur visage une grande sérénité, et pas seulement pour les tirs au but, mais aussi pour la prolongation. Je crois que pendant celle-ci on aurait pu plier le match, même avec un joueur en moins on aurait pu gagner le match à ce moment. Mais bon nous sommes allés aux tirs au but et quand nous y sommes arrivés, je savais qu’on allait gagner, car j'étais certain que mes coéquipiers allaient marquer et j'étais certain que j'allais en arrêter un. Sur cinq, je n'avais qu'à en arrêter un ! Avec ça, je savais que ça allait être suffisant, je sentais une grande sérénité chez mes partenaires pour tirer ces tirs au but. Sans aucun doute, ils allaient en marquer, alors je n'avais qu'à en arrêter un pour que nous soyons champions. »

Une nouvelle fois, Moisés ne va pas faillir : Javier Chuleta Orozco, défenseur de la croix bleu, prend ses responsabilités pour la première tentative de la série. Il choisit de frapper en force au milieu des cages. Moy avait pour sa part opté pour un plongeon sur sa droite, mais, dans un ultime geste reflexe, parvient à stopper la balle à l’aide de ses jambes. Moisés, dès le premier tir au but, vient de finir d’anéantir le moral des joueurs de Cruz Azul. Les cimentiers n’y sont plus, à l’image du second tireur, Alejandro Castro, qui glisse au moment de sa frappe et envoie la balle dans les tribunes. Dans le camp des Águilas, personne ne tremblera. Le Club America remporte son premier trophée national depuis 2005.

Une apogée pour Moy, qui gagne cette nuit-là, son surnom d’El Arquero del Milagro, le gardien du miracle : « Ça a été, sans aucun doute, le plus grand moment de toute ma carrière parce qu'il s'agit de mon premier titre avec l'équipe que j'aime le plus et, surtout, sur le terrain. Car oui j'avais déjà été champion avec Morelia, mais je l'avais été en tant que 3e gardien, je n'avais pas passé une seule minute sur le terrain. Bon, j'apprécie aussi beaucoup ce titre car c'était le premier, mais quand tu joues, que tu peux en profiter, quand tu sens que tu fais partie de cette équipe qui a gagné ce championnat, et surtout en marquant ce but de la tête dans les derniers instants, alors là tu l'apprécies bien plus encore. C'est une sensation indescriptible qui encore aujourd’hui me donne la chair de poule lorsque je m'en rappelle. Tout le monde a son anecdote, son histoire (à propos de ce but), les gens continuent de m'en parler dans la rue. Je crois que pour le restant de mes jours, je me souviendrais de ce moment, car c'est sans aucun doute le plus grand. »

Moisés, des miracles… C’est peut-être une histoire de prénom en fin de compte.

Propos recueillis par Simon Balacheff, Nicolas Cougot et Pierre-Marie Gosselin à Mexico.

Simon Balacheff
Simon Balacheff
Médiateur culturel, travailleur humanitaire et bloggeur du ballon rond tourné vers l'Amérique Latine. Correspondant au Brésil pour Lucarne Opposée