29 mai 1966, América et le Torino entrent sur la pelouse d’une nouvelle enceinte aux dimensions phénoménales. 50 ans plus tard, l’Estadio Azteca est définitivement devenu un mythe.
Outil d'un rêve de Coupe du Monde
L’histoire du Coloso de Santa Úrsula débute au milieu des années 50. Alors que le Mexique organise le deuxième Campeonato Panamericano de Fútbol, compétition mêlant Amérique du Nord et Amérique du Sud, ils sont plus de 70 000 à se presser au CU pour assister au premier match du Tri l’opposant au Costa Rica. Autour du stade, ils sont près de 40 000, sans billets, à vouloir entrer, les autorités sont rapidement débordées. Cette compétition et l’ampleur de la ferveur populaire qu’elle suscite font naître des idées. Emilio Azcárraga Milmo fils du fondateur du groupe Televisa, entrevoit le potentiel et n’a plus qu’une envie, faire du Mexique un pays-hôte d’une Coupe du Monde. Son projet repose sur deux étapes : acquérir un club mexicain puis construire une enceinte encore plus imposante que le CU, alors plus grand stade du pays.
Le 22 juillet 1959, son père, Emilio Azcárraga Vidaurreta annonce l’achat du Club América et déclare : « Nous achetons América car notre objectif est d’organiser la Coupe du Monde 1970. Si nous n’étions pas impliqués dans le football, nous ne pourrions le faire. Je ne connais rien du football mais on m’a dit que le meilleur président est Guillermo Cañedo, que le meilleur entraîneur est Ignacio Trelles et que les meilleurs joueurs sont argentins et brésiliens. C’est sur ces bases que nous allons construire le futur América. » Ce qu’il ne dit alors pas c’est que l’idée du nouveau stade, vitrine d’une Coupe du Monde, a germé dans l’esprit de son fils grâce à Guillermo Cañedo. Pour que le projet se réalise, plusieurs socios sont appelés à la réalisation. Aux côtés d’Emilio Azcárraga Milmo, les propriétaires des clubs d’Atlante et Necaxa sont invités à prendre part, tous fondent le Fútbol del Distrito Federal S.A de C.V qui sera chargé d’administrer et financer le stade. Les équipes participent à l’effort de financement, 20% du prix de leurs entrées sont ainsi utilisés pour le futur géant.
Août 1962, en présence de Pedro Ramírez Vázquez et de Rafael Mijares Alcérreca, les deux architectes dont le projet a été choisi après un appel d’offre au cahier des charges très précis (plus de 100 000 places, une visibilité optimale qu’importe la position en tribune, une accessibilité parfaite, etc…), près de 64 000 m² de surface sont préparés sur la route de Tialpan, dans la zone de Santa Úrsula, ville encore entourée de zone rocheuses, là où s’étendaient encore les anciennes fermes de Coapa et de San Juan de Dios. C’est à une trentaine de kilomètres du volcan Xitle que la première pierre du futur grand stade est posée en présence du président mexicain Adolfo López Mateos et du président de la FIFA, Sir Stanley Rous. Plus de 800 travailleurs s’affairent chaque jour à faire émerger un futur géant. Francisco Reyes, aujourd’hui chef de presse du club résident, le Club América, se souvient : « Ma famille vit vraiment près de l'Azteca, j'ai donc pu voir comment il a été érigé. Avec mon regard d'enfant j'ai vu une partie de la construction du stade, c'était majestueux… Avec le temps c'est donc devenu un lieu très spécial pour moi. En tant que supporter j'ai pu y voir l'América des années 70, et voir comment le concept "Un grand stade pour une grande équipe" est devenu une réalité. »
En octobre 1964, alors que le Mexique est élu pays organisateur de la prochaine Coupe du Monde, le terrain est prêt, le chantier avance, immense, explose un budget initial de 95M de pesos (il coûtera près de 200M de pesos), tout est prêt un an et demi plus tard. Le 29 mai 1966, ils sont plus de 105 000 à assister à l’inauguration du colosse, géant dressé au milieu des haciendas aujourd’hui remplacées par une métropole qui n’a cessé d’absorber les environs. Sur le terrain, América accueille le Torino pour le premier match de football à l’Azteca. L’histoire retiendra que le premier buteur est brésilien, Arlindo dos Santos Cruz, le premier résultat un match nul 2-2.
1970-86 : les Dieux du foot créent l’Azteca
Deux ans après avoir accueilli le tournoi Olympique de football qui a célébré la Hongrie, l’Azteca attend une Coupe du Monde pour entrer dans la légende de ce sport. Si l’Azteca est le théâtre de la première qualification du Mexique pour un second tour d’une Coupe du Monde, le penalty de Peña qui fait tomber la Belgique restant dans l’histoire du football aztèque, deux matchs font entrer l’Azteca dans l’imaginaire des amateurs de football, tous deux concernent l’Italie.
Le 17 juin, trois jours après avoir écrasé le Mexique et ainsi véritablement lancé sa campagne (la phase de groupe avec une victoire et deux nuls sans but dont un contre Israêl – lire Une histoire mondiale - Mexique 1970 – les Riva, Faccheti, Rivera, Mazzola et autres Bonninsegna écrivent la légende des Coupes du Monde lors de la demi-finale face à l’Allemagne. Après avoir ouvert le score d’entrée de partie par Roberto Boninsegna, les Italiens semblent filer vers la finale mais au bout du chronomètre, Karl-Heinz Schnellinger égalise. Les images de Beckenbauer bras en écharpe pour cause d’épaule luxée à 25 minutes de la fin marque les esprits en même temps que l’incroyable scénario de la prolongation qui voit l’Allemagne prendre les devants, l’Italie revenir puis se faire égaliser avant d’aller chercher la victoire 60 secondes après l’égalisation de Müller. Le match du siècle entre dans les consciences collectives autant que l’éclatante victoire du Brésil de Mário Zagallo emmené par les Pelé, Rivelino, Gérson et autres Jairzinho et Tostão n’en fasse autant lors d’une finale restée longtemps comme celle du plus gros écart entre deux finalistes. C’est à l’Azteca que le Brésil décroche sa troisième couronne, celle qui lui offre définitivement le trophée Jules Rimet, c’est à l’Azteca que Pelé met fin à son histoire mondiale. 16 ans plus tard, l’Azteca retrouve les lumières d’une Coupe du Monde et se voit touché par un autre Dieu.
1986, alors que la Coupe du Monde devait se dérouler en Colombie, les contraintes économiques font qu’elle atterrit finalement au Mexique, qui devient alors la première nation à accueillir une deuxième Coupe du Monde. Si le tremblement de terre a un temps inquiété quant à la tenue de la compétition, un second tremblement de terre aura lieu sur le terrain. Si l’Azteca s’embrase avec l’un des plus beaux buts de l’histoire d’une phase finale inscrit par Negrete face à la Bulgarie et qui offre un quart de finale au pays hôte (défaite 4-1 aux tirs au but face à l’Allemagne), l’Azteca entre définitivement dans la légende le 22 juin, le jour où un Dieu argentin écrit l’histoire. Annoncée favorite d’une rencontre dont l’enjeu dépasse le simple cadre du football, l’Argentine va dompter l’Angleterre à l’Azteca des pieds et de la main de son dieu Maradona. Le pibe de oro devient le plus grand génie autant qu’il devient le plus grand vilain de l’histoire du football mondial en enchaînant un but de la main avec un slalom de légende quelques instants plus tard. Ce doublé marque des générations. Francisco Reyes est au stade ce jour-là. Il se souvient encore : « Sur le but de la main de Diego Maradona, j’étais derrière le but, un peu sur la gauche et il nous avait tous semblé qu’il avait mis la tête devant Peter Shilton. Voir Diego Maradona que vous diriez « petit » (en français dans le texte), contre un Shilton connu pour sa force et pour sa capacité à dégager quand il sortait. C’était incroyable, comment avait-il pu le battre ? Le lendemain – il n’y avait pas de réseaux sociaux, sinon on aurait su –, un journal de l’époque, El Heraldo de Mexico, publie sur sa une que le but était de la main. La photo a gagné un prix international car elle montre clairement le moment où Maradona touche la balle du poing. Et là, tout le monde a réalisé. C’était un mensonge, il a mis la main ! ça a alors été un scandale. Mais je me souviens aussi de ce but qu’il marque en partant dans son camp. Ouah ! Le stade a explosé. C’était un midi, il s’est mis à pleuvoir de la bière mais aussi des fleurs, il pleuvait des pétales de fleurs car ce but était un poème. C’était une chose merveilleuse. La technique dont il faisait preuve, la façon de conduire le ballon, de le garder et comment il a conclu. C’était incroyable. » El D10S s’est posé sur terre ce 22 juin. Trois jours plus tard, toujours à l’Azteca, il élimine à lui seul la Belgique au terme d’un match encore plus abouti avant, le 29 juin, encore à l’Azteca, d’aller chercher la deuxième couronne mondiale d’une Argentine toujours orpheline de son talent. L’Azteca marque une deuxième génération, il reste à jamais la scène d’une mythologie.
Une simple promenade dans les couloirs de l’Azteca vous permet de mesurer à quel point le stade est un acteur principal de l’histoire du football mondial. Lorsque vous pénétrez dans le tunnel qui mène au terrain, défilent devant vous des logos de clubs, des noms, des photos qui ont tous marqué ce sport et sont tous passés par Santa Ursula. L’Azteca est un mythe, il a surtout laissé un héritage immense au football. Du simple spectateur au joueur, l’Azteca a marqué. Francisco Reyes nous explique que sa « passion pour le football y est née. En 1970, mon père m’a amené voir Mexique – El Salvador. Le Mexique s’est imposé 4-0 et je suis resté impressionné par la ferveur des gens pour la sélection. C’est alors que le football est entré dans mes veines. »
Cet immense temple des rêves est inscrit dans l’imaginaire collectif. Jusqu’aux joueurs. Silvio Romero défend aujourd’hui les couleurs de l’América, l’Azteca est devenu sa maison à lui, l’Argentin : « beaucoup de choses se sont passées ici. Maradona y a joué et y a marqué ce but mythique dont tout le monde parle. C’est un stade important dans l’histoire de mon pays. » Son capitaine, Rubens Sambueza renchérit : « C’est un stade magnifique, l’un des plus grands au monde dans lequel le plus grand du monde, Diego Maradona, est sorti champion. Pouvoir jouer à l’Azteca tous les quinze jours est un privilège pour l’argentin que je suis, lorsqu’on marche dans le tunnel, on passe devant ses images de Maradona. C’est une motivation supplémentaire pour faire de grandes choses. »
Tel est l’Azteca, immense édifice trônant à Santa Ursula, théâtre géant à l’incroyable capacité d’offrir une visibilité parfaite où qu’on soit placé, temple du football que tout amoureux de ballon se doit d’aller visiter. Stade de l’América et de la sélection, il est la fierté du Mexique, le musée vivant des légendes passées et futures d’un sport devenu religion.
Le futur : un géant en perpétuelle évolution
Si les grandes histoires mondiales se sont écrites à l’Azteca, les plus belles histoires locales le furent aussi. Indépendamment des nombreux matchs ayant marqué l’histoire du football local, que ce soit avec América ou d’autres clubs, l’Azteca reste aussi pour les Mexicains le lieu dans lequel sa sélection a remporté la Coupe des Confédération 1999 face au Brésil de Ronaldinho au terme d’un autre match de folie (victoire 4-3), le lieu dans lequel devant plus de 98 000 spectateurs, une sélection u17 a fait tomber l’Uruguay en finale de sa Coupe du Monde de la catégorie en 2011.
Mais l’Azteca ne vit pas dans le passé. Mieux, il est aujourd’hui encore et toujours la plus belle vitrine du football mexicain. Alors qu’il célèbre aujourd’hui son cinquantenaire, l’Azteca est en travaux, première phase de projets de rénovation qui visent à en faire l’argument de vente numéro un de la candidature mexicaine pour l’organisation de la Coupe du Monde 2026. Il fait ainsi partie prenante d’un vaste projet nommé Foro Azteca qui vise à lui adjoindre une énorme plateforme commerciale à proximité, mêlant commerces et autres gymnases et transformer la zone en métropole dédiée au football mais aussi, même si d’après Emilio Azcárraga, fils de l’initiateur du projet des années soixante et aujourd’hui à la tête de Televisa, les deux parties de travaux, à l’intérieur et autour du stade, ne sont pas liés. Quoi qu’il en soit, l’Azteca a 50 ans ce jour mais n’a cessé de paraître jeune, vigoureux, moderne.
N’oubliant jamais son histoire mais cherchant à constamment continuer de l’écrire, celui qui peuple les mémoires collectives des amateurs de foot n’a ainsi pas fini de continuer à briller.
Propos recueillis par Simon Balacheff, Nicolas Cougot et Pierre-Marie Gosselin à Mexico.