Lorsque vous n’avez jamais encore mis les pieds sur le sol argentin, l’approche d’un match qui sera votre premier a toujours une saveur particulière. Et lorsqu’ajouté à cela, votre première est un match San Lorenzo au Nuevo Gasometro, tout ce que l’on vous a déjà raconté au sujet du Ciclón et sa hinchada anime votre imagination.

C’est fort de ces images que nous montons dans le taxi, direction le Nuevo Gasometro pour l’un des chocs de la dernière semaine de championnat avant juillet opposant San Lorenzo, l’actuel leader qui entend bien le rester pendant la Copa América, et Belgrano, la solide surprise de Zielinsky. Le temps pour le chauffeur de nous demander si on est bien sûr de vouloir aller trainer dans le coin, ce dernier nous expliquant que « si nous avons nos accréditations pour le stade, lui n’en a pas pour aller et venir en toute sécurité dans le quartier », direction le stade. L’occasion sur la route de parler du Boca – River de la Libertadores (le chauffeur étant hincha de Boca), du climat de violence qui entoure les stades argentins et de l’hypocrisie qui accompagne son traitement et les solutions proposées.

Nous quittons alors Boedo et entrons dans un autre monde lorsque le Nuevo Gasometro apparaît à l’horizon. A gauche, une file de supporters se rendant au stade, à droite, les immeubles ont laissé place à des habitations de fortune. Bajo Flores n’est en fait qu’un vaste bidonville constitué de petits « immeubles » ressemblant à des Legos mal imbriqués construits par les habitants eux-mêmes (essentiellement des émigrés péruviens et paraguayens) et aux allures de coupe gorge. Après avoir pris soin de verrouiller ses portes, le chauffeur finit par nous déposer aux abords du stade, l’heure est enfin venue de découvrir l’atmosphère du Nuevo Gasometro.

L’ambiance est calme aux abords du stade, essentiellement en raison du contexte local, tout juste animée par deux bus bondés de supporters de San Lorenzo (quelques-uns étant même montés sur le toit), qui passent aux sons des chants d’amour pour le Ciclón. Nous entrons alors dans le stade. Première surprise, l’inclinaison des tribunes. Avec une telle pente, la proximité du terrain est grande, la visibilité parfaite. On a la sensation d’être juste derrière les coachs. Passé cet instant, le temps vient alors de tourner la tête vers la gauche pour voir la barra du Ciclón en action. Elle a déjà débuté ses chants. Jamais ils ne s’interrompront, ne variant qu’en intensité lorsque repris et appuyés par le reste du stade et donnant cet incroyable sensation que ce sont les tribunes qui imposent le rythme de la rencontre. Le choc des cultures est bel et bien là : les tribunes argentines vivent et qu’importe que le stade n’ait pas de toit, il fait un bruit énorme. Les deux équipes entrent sur le terrain, l’ambiance monte encore d’un cran, le « Campeon de América » comme aiment à le rappeler tout ceux qui sont présents au stade arrive à son tour sous les ovations de ses fans et aux sons des « Buffa, Buffa », le latéral argentin du club effectuant probablement son dernier match au club.

Le début de match est comme attendu, très équilibré. Les Piratas sont l’une des formations les plus cohérente et solide du pays et confirment leur bon classement autour d’un 5-3-2 caméléon destiné à bloquer les couloirs des hommes de Bauza. Mais San Lorenzo se procure les premières situations, Olave, toujours aussi insupportable pour les adversaires, fait le travail quand il n’est pas sauvé par son poteau ou ses coéquipiers. Mais le premier tournant arrive au quart d’heure lorsque Buffa fauche Velázquez et offre un penalty aux Piratas. L’ambiance monte d’un cran encore, les chants s’intensifient. Ils sont récompensés par l’énorme arrêt de San Torrico dont le nom est ensuite logiquement scandé par tout le stade.

Le duel s’équilibre. Le duo Zelarrayán – Obolo fait passer de mauvais moments à une défense de San Lorenzo au sein de laquelle l’axe Yepes – Caruzzo est impressionnant mais les occasions franches sont pour le Ciclón, la plus belle étant pour le ciseau de Cauterrucio sorti miraculeusement par Olave quand tout un stade voyait la balle au fond. 0-0 à la pause, la deuxième période sera du même acabit. San Lorenzo se procure les meilleures situations, Belgrano semble mieux contrôler la partie. Blanco manquera une nouvelle occasion pour les locaux avant de finir sous les insultes d’une platea qui semblait en vouloir à sa maman, Matos aussi quand de l’autre côté, Obolo continuera d’inquiéter. Il n’y aura aucun but inscrit, San Lorenzo et Belgrano partagent les points, résultat suffisant pour le peuple de Boedo de saluer une fois encore les siens avec la fierté de passer la Copa América en leader du championnat argentin.

L’heure est venue alors de quitter le stade. Aux chants incessants succède le silence, tout une foule se presse alors pour quitter le quartier. Le silence après le bruit, en Argentine, le supporter ne vide ses poumons qu’une fois arrivé dans l’arène. C’est à pas rapide que nous nous mêlons à la foule avec l’objectif de s’échapper rapidement de Bajo Flores à la recherche d’un taxi, aucun d’entre eux ni aucun bus ne venant trainer dans le quartier, encore moins à la tombée de la nuit, avec, en marchant d’un côté de la route séparés de l’autre par des rangées de policiers, cette étrange sensation de devenir des spectateurs de la misère locale. Telle est aussi la réalité argentine.

Bonus : el gordo ventilador

Dans les tribunes du Nuevo Gasometro, il est un homme que vous ne pouvez pas manquer. Debout, seul dans le coin de sa platea, il reste 90 minutes durant debout, torse-nu, à agiter son tee-shirt au-dessus de sa tête sans aucune interruption, sauf pour parfois protester contre les faits de jeux. Cette particularité lui a valu le surnom de Gordo Ventilador, le gros ventilateur.

Nicolas Cougot
Nicolas Cougot
Créateur et rédacteur en chef de Lucarne Opposée.