Un « Clásico » dont il ne manque que l’appellation officielle. Rivaux géographiques et historiques, les deux clubs voisins de l'ouest de Buenos Aires aiment se détester. Lundi soir, l'affrontement entre l'équipe entraînée par Gabi Heinze et celle de l'éphémère attaquant de Bordeaux, Claudio Biaggio, a offert aux hinchas du stade José Amalfatini des golazos et un grand spectacle. Le maintien en poche, les socios de Vélez se prennent à rêver à des lendemains victorieux.

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« Ganar hasta la muerte ! ». Si vu d'Europe, la rivalité entre Vélez Sarsfield et San Lorenzo n'est pas la plus renommée d'Argentine, elle est pourtant omniprésente dans le quartier sans grand relief de Liniers à deux heures du match. Pour les supporters d’el Fortín, privés depuis 2000 de leur Clásico del Oeste contre Ferro, englué en deuxième division, la réception d’el Ciclón, revêt une saveur toute particulière. « Depuis le berceau, on naît rival de San Lorenzo », explique Lionel. Un choripan – ce fameux sandwich argentin à base de saucisse - à la main, il s’agglutine comme de nombreux supporters dans une pancheria de l'avenue Jonte. Devant le stade, alors que les hinchas se pressent, dans le calme, Alfredo, 67 ans et « autant d'années d'amour pour Vélez » l'assure : « Cette affiche est un vrai Clásico du football argentin entre un club champion du monde – contre le grand Milan en 1994 (NDLR : lire Décembre 1994 : Vélez devient un géant) après avoir remporté sa seule Copa Libertadores, la même année - et… Un autre qui n'a jamais rien gagné à l'échelle continentale ». Une moquerie qu'endurent au quotidien les hinchas de l'équipe soutenue par le pape François à Buenos Aires. L'antagonisme entre les deux clubs n'a pas toujours été aussi bon enfant. Il franchit même, un nouveau cap en 2008, lorsque Emanuel Alvarez, hincha de Vélez, succombe à une blessure par balle. En 2011, l'affiche entre les deux équipes de la capitale est à nouveau endeuillée. Ramon Aramayo, socio de San Lorenzo perd la vie avant le match dans des circonstances non élucidées. Deux noms toujours présents, mais deux victimes parmi tant d'autres des maux du football argentin. Désormais, comme pour l'ensemble des affiches de Superliga, les visiteurs sont interdits de déplacement.

« Oh, Gabi, Gabi »

Pas de vente de bières non plus aux abords du stade où se pressent les socios de ce club de quartier familial. Ce n'est pas la mauvaise saison traversée par l'ancien club de Jose Luis Chilavert qui décourage. Ici, l'espoir est roi. Et il a désormais un visage et un nom bien connu en Europe : Gabriel Heinze. Intronisé entraîneur du club dix fois champion d'Argentine en décembre, l'ancien joueur de Paris et Marseille fait l'unanimité. « Il n'a pas peur du travail, a du caractère et un style offensif, c'est tout ce dont nous avons besoin. Il fallait remettre de l'ordre pour encadrer nos jeunes », affirme Victor, vêtu des mêmes couleurs que son petit-fils, Thiago, cinq ans. « Les changements tactiques et d'attitude visibles chez nos jeunes sont déjà remarquables » renchérit Alfredo. Chez les socios, l'espoir de renouer avec les heures de gloire des nineties, couronnées de neuf titres - sous les ordres de Carlos Bianchi (également meilleur buteur de l'histoire du club), Osvaldo Piazza et Marcelo Bielsa - est bel et bien présent. Pour cela, le club de cœur d'Omar Da Fonseca doit déjà assurer son maintien. Un point est nécessaire. En face, El Ciclón, troisième, compte bien profiter des deux défaites consécutives du leader Boca pour s'en rapprocher. 

Le décor est posé. À quelques minutes du coup d'envoi, les chants et la pression montent. La horde de maillots au scapulaire se presse dans l'immense stade José Amalfitani – près de 50 000 places - qui fête cette année ses soixante-quinze ans. Malgré une grève de bus et l'horaire (21h15) un lundi, près de 20 000 personnes sont présentes. La popular, pleine à craquer, est prête pour deux heures de chorégraphies et de chants. Sur le terrain, les locaux alignent une équipe très jeune et six joueurs formés au club. Emmenés par leur capitaine, Fabian Cubero, plus de 600 matchs pour le Fortín, les hommes de Heinze entament la partie avec l'intensité d'un Clásico. Les premiers contacts sont rugueux et quatre cartons jaunes sont distribués dans le premier quart d'heure. Sous l'impulsion des deux espoirs, Santiago Caceres et « El Monito » Matias Vargas, le pressing imposé par Vélez étouffe San Lorenzo. El Fortín trouve l'ouverture grâce à une passe en profondeur lumineuse du dernier nommé pour la star de l'équipe, Mauro Zárate qui conclut du gauche. Après 30 minutes haletantes, le stade s'embrase tandis que le bouillant Heinze est rappelé à l'ordre sur son banc. Les « vamos Fortínero » résonnent dans le stade.

Guerre des pizzas et golazos

De l'intensité, il en est aussi question en tribune de presse. Peu avant la mi-temps un mouvement de foule interroge. Les dizaines de journalistes présents se désintéressent peu à peu du terrain pour se ruer dans les travées du stade. La raison ? « C'est le deuxième meilleur buffet après celui de Boca », explique, très sérieux, un journaliste argentin. En quelques secondes, les pizzas - pas fameuses - installées sur les tables disparaissent dans une cohue générale.

Sur le pré, les joueurs de San Lorenzo reviennent comme des morts de faim des vestiaires. Dans les dix premières minutes, les coéquipiers de Fabricio Coloccini, très solide en défense centrale, se créent quatre occasions franches. Du haut de ses 1,56 mètres – 10 cm de moins que Valbuena -, le grand espoir du Ciclón, Nahuel Barrios, 19 ans, enflamme la partie. Après avoir trouvé le poteau, l'explosif ailier égalise - bien aidé par un César Rigamonti déjà maladroit – et concrétise l'immense domination des hommes de Biaggio. A dix minutes de la fin, Nicolas Reniero profite d'une nouvelle faute de main du gardien pour doucher Amafiltani. Les hommes de Biaggio prennent logiquement l'avantage. « Cri-criminal » s'écrit un journaliste radio argentin inspiré en référence au hit du même nom de Natti Nasha et Ozuna. Les quatre-vingts supporters – de la famille et des amis des joueurs de San Lorenzo – présents dans le virage visiteur vide exultent et recouvrent le silence d'un peuple du Liniers abattu. Pas pour longtemps. Pour les dix dernières minutes, les tribunes latérales se lèvent pour pousser le Fortín. Les trois points pour le club du quartier de Boedo ? C'est sans compter sur le caractère et le talent d'El Monito qui égalise et fait exulter le stade. 2-2. L'honneur est sauf pour Vélez, vingtième, qui s'assure le maintien. De son côté, San Lorenzo, troisième, dit adieu au titre mais consolide sa place qualificative en Libertadores.

Un soulagement pour les hinchas du Fortín et « une pression en moins pour mes jeunes joueurs », avoue Gabi Heinze à l'issue du match, dans les entrailles d'Amalfitani lors de la conférence de presse. La relation entre les médias et l'ancien arrière gauche est tendue. Plusieurs journalistes sportifs – très jeunes en Argentine - sont fébriles à l'idée de lui poser une question. « Il n'a jamais digéré le traitement souvent dur des médias argentins lorsqu'il jouait en sélection nationale », explique un journaliste. Depuis, el « Gringo » n'accorde aucune interview et se soumet sans enthousiasme aux obligations médiatiques qu'oblige son nouveau poste d’entraîneur. « Je suis un privilégié de faire ce que je fais et d'être là aujourd'hui. D'autant plus au sein de cette institution. Ce n'est pas un métier facile, mais j'adore ». Avec Vélez, il peut dès à présent se tourner vers la saison prochaine avec excitation. Et l'espoir de tout un club qui rêve d'honorer à nouveau sa devise : « El primero en ser un gran club ».

Ken Fernandez
Ken Fernandez
Journaliste tout terrain, je balade mon carnet et mon stylo au pays de Diego, à la recherche du nouveau Cavenagoal