De ses origines à la création de clubs issus des communautés, le football sud-américain est parsemé de clubs étroitement liés aux différentes vagues d’immigration. Le Depotivo Armenio n’échappe pas à cette règle et s’il l’un des moins connus du paysage, il est le digne représentant d’une communauté la plus importante du continent.

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La communauté arménienne la plus importante d'Amérique du Sud

L’immigration arménienne en Argentine remonterait aux années 20, les migrants arrivant principalement de la province d’Adana, région ravagée par les différents massacres du début du siècle prélude du génocide arménien. C’est en 1922 que la province devient officiellement turque, poursuivant la vague migratoire qui va conduire un grand nombre d’arméniens vers l’Argentine. Ces vagues se poursuivront au court du XXème siècle, au grès des conflits touchant le peuple arménien. Elles sont telles qu’aujourd’hui, la colonie arménienne installée en Argentine est la plus importante du continent et, avec près de 135 000 arméniens installés au pays. Le temps de soigner les plaies encore ouvertes d’une migration forcée et de s’intégrer à leur nouveau pays, les arméniens d’Argentine, dont le point de convergence central reste Buenos Aires, se fondent dans les coutumes locales. Du tango au maté, l’arrivée dans le football ne tarde pas.

Le 2 novembre 1962, Jorge Margossian et Juan Cambachian décident de fonder le Club Armenio de Fútbol afin d’offrir à la communauté un représentant sportif dans le paysage local. Devenu Deportivo Armenio six ans plus tard, le club est alors officiellement affilié à la fédération argentine en 1970. Deux ans plus tard, avec la légende Amadeo Carrizo aux commandes, le club découvre la Primera C. Au même moment, Alberto Parsechian brille dans les buts d’un Independiente de Trelew qui rentre dans l’histoire du football argentin alors que la ville subit l’un des plus célèbres massacres de l’époque de la dictature d’Alejandro Agustín Lanusse. Le club va en effet remporter le Torneo Regional qui lui ouvre les portes du championnat national, celui des River et autres Boca. Celui que les hinchas rivales aiment à surnommer el Turco, va entrer à son tour dans l’histoire lors du 0-8 encaissé au Monumental, en étant crédité d’un 10 dans El Grafico. Sa revanche sur le sort, Parse va la prendre une quinzaine d’années plus tard lors de son retour aux sources arméniennes, avec le Deportivo Armenio.

87-89, deux ans aux sommets

1986, l’AFA procède à une large réorganisation de ses tournois (toute ressemblance avec la situation actuelle n’est que pur hasard), le Torneo Nacional B est créé et permet à son vainqueur d’être promu en Primera Division, un second tournoi permettant aux équipes classées de la deuxième à la neuvième place d’aller se battre pour un second billet. Pour cette Primera B Nacional, l’AFA fait participer 13 équipes de l’intérieur, désignées à partir de leurs performances dans les différentes ligues, 9 équipes directement affiliées. Ce marathon de 42 journées va couronner le Deportivo Armenio. Le début du championnat est moyen. Après huit journées, Armenio ne compte que deux victoires pour quatre nuls et deux défaites. « Ce championnat a été le meilleur de Primera B Nacional. Il y avait des équipes comme Belgrano, Banfield, Lanús, Huracán. C’était quasiment un tournoi de Primera A » se souvient José Chiqui Ubeda, l’une des vedettes de l’équipe. L’Armenio de Parsechian va bousculer cette hiérarchie. Car la défaite face à Belgrano lors de la huitième journée sera la dernière. Derrière son buteur Maximiliano Cincunegui, le petit club de la communauté arménienne enchaîne 34 matchs sans défaite et met Banfield à huit points (rappelons qu’à l’époque la victoire ne rapporte que deux points). Pour la première fois de son histoire, le Deportivo Armenio découvrira la Primera Division argentine.

Les Verdes vont y réussir quelques exploits et ne perdre leur premier match que face au Newell’s de Yudica, le futur champion (lire De la gloire à l'oubli : José Yudica), portant le record d’invincibilité à 38. Parmi ces exploits figurent celui d’accrocher Boca à la Bombonera et surtout de surprendre River au Monumental grâce à un triplé de Raúl Edmundo Wensel alors que les Millonarios menaient 2-0. 13ème sur 20, le club s’offre une deuxième saison qui s’avèrera plus compliquée malgré de nouveaux coups comme la victoire 1-0 à la Bombonera, victoire qui provoquera la fin de carrière du portier Xeneize Hugo Gatti. Dernier du Promedio au terme d’un championnat étrange (l’Argentine ayant alors décidé d’abolir les matchs nuls en intégrant une séance de tirs au but en cas d’égalité), le club est relégué, il ne retrouvera jamais l’élite argentine. Qu’importe, Parse et ses hommes ont réussi à placer le Deportivo Armenio sur la carte du football argentin. Plus jamais on ne le surnommera el Turco.

Près de trente ans plus tard, le Deportivo Armenio évolue en Primera B Metropolitana, continuant de faire briller de la plus belle des façons  le Mont Ararat qui figure fièrement sur le logo du club. Après des années en vert et blanc, le club évolue aujourd’hui avec les couleurs de l’Arménie. Rappelant cette année le triste anniversaire du génocide arménien au moyen d’un maillot commémoratif, le Deportivo Armenio  continue ainsi de défendre les couleurs de la communauté arménienne de Buenos Aires. Et faire que finalement, la si lointaine Arménie n’a jamais été aussi proche.

Nicolas Cougot
Nicolas Cougot
Créateur et rédacteur en chef de Lucarne Opposée.