L’atypique latéral droit de l’Etoile du Sahel suscite les convoitises en Ligue 1 après une année 2015 où il a crevé l’écran. Rumeurs ou approches concrètes, plusieurs clubs ont été cités comme destinations potentielles pour l’international tunisien : l’OM, Monaco, Toulouse et Bordeaux seraient intéressés. Ce grand échalas plus vif qu’on ne le pense et centreur hors pair a toutes les qualités pour s’imposer en France, voici quelques arguments pour défendre sa cause, à travers l’analyse de son jeu.

Un arrière latéral à 10 passes décisives en une saison, ça ne court pas les rues

Une saison pour prendre ses marques (2013-2014) et Nagguez a changé de dimension. Au cœur du marathon que l’ES Sahel s’est infligé en 2015 pour essayer de tout rafler (2ème place du championnat en juin, victoire en Coupe de Tunisie en Août, victoire en C3 africaine en novembre) le très offensif arrière latéral a haussé le ton et ses statistiques sont éloquentes : 1 but et 5 passes décisives en championnat, 2 offrandes en finale de Coupe contre le Stade Gabésien, 3 caviars en C3 dont 2 centres victorieux lors de la Remuntada contre le Raja Casablanca ( 3-0 à Sousse, 0-2 à l’aller). Soit 10 passes décisives en 12 mois. Excusez du peu.

Le modèle préférentiel reste l’enchaînement débordement-centre à ras de terre qui fait merveille quand l’attaquant de pointe rôde dans l’axe (4 passes dans ce schéma à l’algérien Baghdad Bounedjah, 2 à Mouihbi), mais Nagguez a aussi montré une belle précision dans le jeu long, et peut centrer premier et second poteau des deux pieds sans sourciller. C’est la variété de ses choix et sa capacité d’élimination qui lui a permis de peser de plus en plus dans le jeu de l’ESS.

Centres pour Mouihbi

 

Le jeu long et les renversements vers Nagguez, l’arme « secrète » de l’Etoile du Sahel

Fréquemment, l’ESS, confrontée à des défenses regroupées et des pelouses dégueulasses, a des difficultés à faire le jeu et construire des actions abouties. L’une des variantes sur lesquelles l’entraîneur Faouzi Benzarti insiste depuis plus d’un an part d’un constat simple : que ce soit pour Bounedjah dans le passé, Akaichi cette saison (ou le brésilien Acosta), l’Etoile a habitué ses adversaires à un arrosage automatique conséquent sur l’attaquant de pointe et un défi permanent, dans le physique et le placement, pour la défense centrale adverse.

Mais alors que l’axe est encombré et qu’on dispose d’un arrière latéral d’1 mètre 95 qui a une grande facilité à prendre la profondeur, n’y a-t ‘il pas d’autres zones à bombarder ?

Nagguez part de loin, profite du fait que l’ailier devant lui aspire le latéral d’en face vers l’intérieur, et se tient toujours prêt au cas où le jeu est renversé rapidement dans son couloir, dans un carré situé entre les 30 mètres et l’entrée de la surface de réparation. Quand la balle est en défense, c’est Jmel qui balance un coup de pied de mammouth vers lui. Quand l’ESS fait tourner le ballon dans le camp adverse, c’est souvent le meneur de jeu Lahmar qui le sollicite. Nagguez a alors 2 options : soit contrôler dans la course et poursuivre son débordement, soit si le ballon est trop long profiter de son avantage de taille sur son vis-à-vis pour remiser de la tête dans l’axe.

Exemple sur le 1er but de l’ESS à Kairouan (JSK-ESS 1-3, le 16 décembre 2015) où le milieu offensif Msakni, qui a pourtant une multitude d’options, choisit Nagguez qui a déjà jailli dans le dos de son vis-à-vis. Son centre trouve Acosta aux 6 mètres, qui ouvre le score.

On prend les mêmes et on recommence le 6 janvier 2016 (ESS-ASM 3-0). Sur l’action du deuxième but, Msakni, qui reçoit la balle dos au but, ne se pose même pas de question. Sur son contrôle orienté, Nagguez voit déjà ou il va envoyer la balle et l’intervalle de temps entre l’appel et la passe est quasi-instantané. Le centre au cordeau trouve Brigui aux 6 mètres, pour le même résultat.

Autre secteur où le grand escogriffe s’est avéré efficace : les coups de pied arrêtés joués vite et longs. Vu sa taille, vu la zone d’où il déclenche son appel (couloir droit, dans le dos du défenseur adverse, et course rapide vers l’intérieur) et l’effet de surprise, il y a la garantie de trouver sur jeu long un joueur habile dans le jeu aérien et en mouvement. Qui plus est, cela fait dézoner le reste de la défense et permet de trouver sur la remise un joueur libre au second poteau

2 exemples pour illustrer la combinaison :

- ESS-Enyimba en huitièmes de Ligue des Champions (3-0, le 20 avril). Tej joue vite par-dessus la défense, pile dans la course de Nagguez. 3 défenseurs nigérians se précipitent, lâchent leur marquage pour aller sur lui, mais il a un temps d’avance pour remiser comme il veut. Au second poteau, 2 joueurs de l’Etoile libres de tout marquage sont trouvés, Acosta marque de la tête.

- ESS-Zamalek, demi-finale aller de C3 (5-1, 27 septembre 2015). Lahmar joue vite -2:14 sur la vidéo-  et trouve Nagguez qui est parti de loin dans son couloir, rentre dans l’axe et gagne son duel dans la surface. On constate, comme sur le but contre Enyimba, que son appel a fait dézoner la défense égyptienne. Il n y a personne sur Bounedjah au second poteau. L’algérien, à la réception de la remise, met le but du 5-1.

Conclusion : Le profil particulier de Hamdi Nagguez ouvre des perspectives intéressantes pour n’importe quel club cherchant des combinaisons originales et de l’animation sur les côtés. Sachant qu’il a déjà dépanné à gauche, les options n’en sont que plus riches. Il n’est pas envisageable pour le moment de lui prédire un destin à la Abdennour (latéral reconverti en défenseur central après son passage raté au Werder). Les dispositions actuelles du joueur de l’Etoile-moins musculeux et plus porté vers l’offensive- ne permettent pas d’imaginer un décalage dans l’axe de la défense à court terme.

Il défend de mieux en mieux, mais il va falloir se mesurer à de gros morceaux

A ses débuts, Nagguez montrait quelques difficultés avec les ailiers rapides et explosifs, notamment quand son repli défensif n’était pas assez rapide et qu’il se retrouvait sur le reculoir. Des petits gabarits tels que l’actuel milieu gauche de l’Espérance de Tunis Rejaïbi sont venus lui chercher des noises. Mais progressivement, il a su trouver l’équilibre, surtout en évoluant sur son placement, et sa fiabilité en championnat n’a plus fait aucun doute à partir de 2015. La C3 lui a permis de se frotter à quelques clients sérieux (les égyptiens Kahraba, Soliman et Gamal, le sud-africain Matlaba) et il a largement soutenu la comparaison. L’Europe le confronterait à une toute autre adversité pour le secteur défensif, mais c’est la seule manière de savoir s’il peut atteindre le niveau international.

L’ESS proche d’un possible fin de cycle, un départ en juin serait bien indiqué

Faire ses gammes en Tunisie, c’est bien, mais rester trop longtemps serait un frein pour sa progression. L’Etoile n’a pas eu de vraie trêve après un été 2015 effréné à courir après les trophées, le management de Faouzi Benzarti qui tire sur la corde jusqu’à la rupture n’aide pas. Mais le club n’a plus remporté le championnat depuis près d’une décennie, et renouer avec le succès national est à ce prix. Tout le monde, dirigeants, joueurs et staff, est à fleur de peau et concentré sur la course au titre. Le geste d’humeur de Nagguez contre le Stade Tunisien (rouge direct pour insulte contre le juge de touche alors l’ESS menait 3-1…) montre que la nervosité excessive et l’atmosphère tendue autour du club le concerne aussi.

Quel que soit l’issue de la saison, de grands changements sont à prévoir et dans ce contexte un départ de Nagguez s’effectuerait dans le bon timing. Pas de C1 à jouer l’été, juste la C3 (encore) les sahéliens ne le retiendront pas si une offre intéressante arrive. A son âge, entre s’inscrire dans la durée à Sousse et tenter sa chance de l’autre côté de la Méditerranée, la deuxième solution est clairement la plus alléchante. Surtout quand il y a une place de titulaire en équipe nationale à aller chercher.

Photo : GORDON HARNOLS/AFP/Getty Images

Farouk Abdou
Farouk Abdou
Actuellement à E-management, passé par Echosciences Grenoble, Le Dauphiné Libéré, Sport Translations et Tunisie foot, Africain volant pour Lucarne Opposee