Le cru 2019/20 du championnat de Tunisie, plié assez rapidement pour ce qui est du couronnement, ne restera pas dans les annales, en particulier avec une remise en route poussive et dans des stades vides après quatre mois de crise sanitaire. Mais entre un champion cherchant à finir son puzzle, un dauphin solide, une agréable surprise sur le podium, et des promus rafraichissants, les enseignements ne manquent pas. Tour d’horizon et petit bilan de la saison qui vient d’être bouclée.

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L’EST, pièces manquantes et pièces à déplacer

Une trentième pas rugissante, mais une trentième quand même. Le titre qui donne aux Sang et Or leur troisième étoile était déjà acquis avant l’interruption du championnat, un écart trop grand sur des poursuivants trop irréguliers a mis rapidement fin au suspense. Comme tout club visant la consécration continentale chaque année, l’Espérance de Tunis doit vivre avec le fait qu’un triomphe de plus en championnat parait comme « allant de soi » et que tout accroc en Ligue des Champions comme celui de cet hiver face au Zamalek en quarts de finale, avec un statut de double tenant du titre qui plus est, appose aux yeux de certains sur la saison un tampon de déception en occultant tout le reste. Sur le terrain, après un recrutement estival de grande ampleur, le sentiment que le puzzle EST n’est pas terminé perdure. L’arrière-garde peu sollicitée ne devra pas s’endormir sur ses lauriers, sur les ailes, le Parc B semble bien pourvu, au cœur du jeu le sentiment que les pièces sont là mais pas à leur bonne place (bien assemblé le trio Coulibaly-Kwame-Benguit doit pouvoir être au top du top) et il manque LA pièce, le 9 d’envergure (Khenissi usé, Ouattara pas dans le bon profil pour le poste). Le ronronnement post-reprise a également posé la question d’une possible fin de cycle pour l’entraîneur Chaabani, peut-être allé au bout de cet arc à la tête de l’Espérance. D’aucuns pourraient parler de problèmes de riches, vu que les solutions (déjà initiées ou possibles) ne manquent pas : un changement sur le banc, l’arrivée d’un 9 et demi (Marzouki) susceptible d’apporter le liant qui manque, le choix en pointe (casser sa tirelire ? Faire peser la responsabilité du poste sur Ben Hammouda ?), le come-back de Chaalali, l’hypothétique come-back de Belaïli, etc. En attendant que l’assemblage soit finalisé, même la version partielle suffit à surnager : les Tunisois finissent en effet invaincus, meilleure attaque, meilleure défense, onze points devant le deuxième.

CSS, recette Benzarti en cours

Faouzi Benzarti a beaucoup gagné, beaucoup fait parler de lui, souvent créé des remous, et réalisé de nombreux passages en sélection tunisienne, à l’Étoile du Sahel, à l’Espérance de Tunis, et au Club Africain. Le style est désormais bien connu. Pourvu que les bases soient solides, il fait gagner vite, instaure rigueur et efficacité, mais use tout aussi vite. Les multiples volte-face et les cycles gain/usure ont fait que l’horizon est désormais bouché en Tunisie là où il a souvent été, sa nomination à Sfax là où son empreinte est quasi inexistante (un passage express en 1995) est au final logique. Et il semble qu’une très grande partie des ingrédients permettant de refaire la même recette sont déjà à disposition. Un gardien (Dahmen) de la trempe de ceux qui font gagner des matchs, une défense sobre, des ailiers fougueux, un milieu axial (Sokari) qui s’approche de la maturité et présente un abattage de haut niveau, et un milieu créatif qui gère la transition et les coups de pied arrêtés (Tandia). Où et comment Benzarti va-t-il intégrer les derniers étages de la fusée ? D’abord (et c’est déjà le cas) en étant intraitable sur la rigueur défensive et la rapidité des transitions, le travail sur l’efficacité offensive (garder Eduwo ? Relancer le revenant Chaouat ? Quid de l’Algérien Benchaa ?) et certainement l’ajout (en transformant un membre de l’effectif ou en recrutant) d’un ingrédient X. Qui doit faire le lien entre Sokari et Tandia ? Qui doit insuffler une agressivité permanente à l’équipe ? Qui cavalera certainement aux quatre coins du terrain ? Qui doit être polyvalent pour couvrir deux ou trois postes ? Bref l’ingrédient qui transforme une équipe avec de bonnes bases en une équipe Benzarti. Capable de regarder tout adversaire dans les yeux, en championnat comme en C1.

L’USMO, la surprise

Troisième au classement final, première participation à une compétition africaine à la clé, l’US Monastir a gagné et séduit. Dans son propre style, la science du contre acéré, la prise de profondeur immédiate, et des offrandes à foison aux deux pistoleros de la saison : la bonne pioche Anthony Okpotu à la trajectoire étonnante (en échec au Maroc, prêté en Albanie, mais meilleur buteur au Nigeria et à son aise au CHAN 2018), et le finisseur Ali Amri. Avec ses faiblesses propres (le stress d’un suspense à des altitudes au classement inhabituelles pour le club, friabilité sur coup de pied arrêté) qui ont failli lui coûter le podium. Si Lassaad Chebbi, qui après avoir fait ses gammes en Autriche réussit d’entrée en Tunisie, garde ses cadres (ce sera difficile pour les deux chasseurs de buts, ce sera nécessaire pour Jelassi et Orkuma) et travaille ces faiblesses avec la même rigueur que sa configuration initiale, les bleus de Monastir vont prolonger l’embellie au-delà de cette belle saison surprenante.

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ESS et CA, une saison à oublier

Cinquième, le Club Africain ne participera pas à une coupe d’Afrique la saison prochaine. Quatrième, l’Étoile du Sahel verra une place se libérer en C3 Africaine si et seulement si la finale de Coupe de Tunisie oppose deux équipes du podium. C’est à priori très bien parti, puisque les trois équipes concernées (EST, CSS et USMO) sont dans le dernier carré. Une maigre consolation pour les Étoilés, qui malgré une bonne reprise post-interruption avec un rendement satisfaisant des jeunes lancés dans le bain, avaient accumulé trop de retard pour espérer mieux et sont retombés dans leurs travers dans le money time. Quel que soit le technicien nommé (parmi la multitude de noms évoqués, locaux ou étrangers) le chantier sera conséquent : maintenir le rajeunissement de la défense centrale ? Se contenter du tandem Zerdoum-Coulibaly pour maintenir la compétitivité d’un secteur offensif sûrement amoindri par le très probable départ de l’attaquant Laribi ? Ou placer la pépite Aly Soumah ? Possibilité pour le virevoltant Fakhreddine Ousji de retour de prêt à l’US Ben Guerdène de se trouver une petite place ? Quid des cadres qui ont la tête ailleurs et des envies d’ailleurs ? (Ben Amor, Kechrida pour ne citer qu’eux) ? Avec ou sans C3, toujours sans stade fixe, le chantier est là. Situation similaire pour le CA, qui n’a jamais semblé trouvé la bonne carburation, malgré une défense d’un excellent niveau (quatorze buts encaissés seulement en vingt-six journées). Les huit pions de Compaoré ne masqueront pas un bilan global fade, avec la perspective d’un énième retour à la case départ. Et déjà un mercato prolifique qui va s’enclencher, deux départs déjà annoncés (Khefifi, Chavarria) et une arrivée intéressante, l’Algérien Benayada, parmi les artisans de la bonne C1 Africaine du CS Constantine l’an dernier.

CS Chebba, AS Soliman, l’enthousiasme récompensé

Des promus qui font le choix de s’en sortir par le jeu, c’est possible. Le CSC et l’ASS l’ont fait. Un gros stock de points d’entrée, une place confortable dans le premier tiers, pour traverser l’hiver à l’opposé des clubs aux abois : de la continuité, une confiance dans le capital humain, et un état d’esprit tourné vers l’offensive. C’est ainsi que le CS Chebba et l’AS Soliman ont animé cette saison 2019-2020, l’un avec de belles phases de possession et d’attaques placées, l’autre avec un joli sens de la finition piloté notamment par l’attaquant de poche Arfaoui. Résultat, en dépit d’une légère frayeur à 5 journées de la fin, un maintien acquis et une position gardée un cran au-dessus de la bataille féroce entre cinq formations, bataille qui a condamné le CS Hammam-Lif et la JS Kairouanaise.

Les bonnes pioches

La lutte pour le maintien a permis à certains éléments de s’illustrer chez les mal-classés, éléments qui pourraient potentiellement intéresser des clubs plus huppés. À l’US Tataouine, mention à l’adresse dans le dernier geste de Kamerji, et au mauritanien Diakité pièce fondamentale dans une équipe de contre avec sa vitesse. Le ghanéen Issaka Abodu pourrait être une doublure cohérente dans un club du top 5. Enfin, alors que le CA Bizertin s’est arraché pour glaner un sauvetage inespéré, la fin de saison du camerounais Gabriel Kack n’est pas passée inaperçue. Numéro 9 dans le dos, une zone préférentielle à droite à quarante m des buts adverses d’où il lance des actions et élimine balle au pied, agressivité et bon repli défensif, un joueur à suivre qui ne laissera pas indifférent s’il démarre la saison 2020/21 dans les mêmes dispositions.

Farouk Abdou
Farouk Abdou
Actuellement à E-management, passé par Echosciences Grenoble, Le Dauphiné Libéré, Sport Translations et Tunisie foot, Africain volant pour Lucarne Opposee