Tifo du Caracas FC

Alors qu’aujourd’hui débute le tournoi Apertura 2013, je voulais profiter de cette rubrique pour donner la parole à des membres de différentes barras (groupe de supporters), afin de connaitre leur avis sur cette saison ainsi que leur vision de l’évolution du football vénézuélien, eux qui en sont des acteurs importants.

Au Venezuela, comme dans toute l’Amérique Latine d’ailleurs, les supporters ont organisé leurs groupes en suivant le modèle des Barras Bravas Argentines. Cependant à l’inverse des dérives que l’on peut y constater (entremêlement avec la politique, menaces envers les joueurs, violence extrême), les barras vénézuéliennes sont plus « calmes » et plus centrées sur leur activité de supporters. Ces groupes, tous apparus dans le courant des années 90-2000 ont grandi en même temps que l’intérêt pour le football dans le pays et jusqu’à aujourd’hui, seuls quelques incidents ont été à déplorer. Depuis le football vénézuélien a entamé un véritable processus de maturation et les faits de violence se font de plus en plus rares, ce qui n’empêche pas les rivalités et échanges verbaux « musclés » entre groupes des différentes équipes, mais ça, on le sait, c’est inévitable et ça appartient au folklore d’un stade de foot.

5 membres assidus de ces groupes ont accepté de répondre à mes questions :

- Victor Velazquez alias « Canario », responsable logistique des « Demonios Rojos – Barra del Caracas»

- Orlando Reyes, membre des granadictos 27, groupe de supporters du Carabobo FC

- Roberto Fuentes, membre de la « barra petrolera » du Zulia Fc (Maracaibo)

- Andres Caceres, journaliste - observateur au sein de « La Impertinente »  du Deportivo Anzoategui.

Comment percevez-vous la saison à venir et selon vous quels sont les meilleurs atouts de votre équipe ?

VV / Nous attendons beaucoup de cette saison grâce à l’arrivée du nouvel entraineur, Eduardo Sarago, qui a gagné les championnats 2009 et 2012. Pour dire vrai ça fait 3 saisons que nous ne gagnons aucun titre et pour nous c’est trop (dernier titre gagné en 2010). Nous attaquons cette nouvelle saison avec une équipe très jeune mais déjà expérimentée grâce à nos dernières campagnes en http://libertadores.lucarne-opposee.fr/?s=caracasLibertadores, ce qui leur a permis d’engranger de l’expérience et de la confiance. Pour nous le CFC se doit de gagner le titre et au moins se qualifier pour la Libertadores (depuis 2004 le club s’est toujours qualifié).

 OR / Notre équipe vient de remonter de seconde division mais nos dirigeants ont beaucoup investi lors du Mercato (l’équipe a notamment recruté Juan Francisco Guerra, un temps annoncé à Ajaccio et l’attaquant Emilio Rentiera). On peut donc espérer qu’ils puissent se qualifier pour la Libertadores ou la Copa Sudamericana.

RF / Nous sommes très confiants pour cette saison, nous avons su conserver nos meilleurs éléments et quelques bons joueurs ont rejoint l’équipe cet été (dont le brésilien Rafael Aparecido venu du championnat japonais et le retour au  pays de l’attaquant Manuel Arteaga – ex Parme). Nous espérons faire mieux que la saison dernière (13ème place).

AC / Nous attendons énormément de cette nouvelle saison, nous avons un groupe solide grâce aux 11 nouveaux joueurs qui sont venus rejoindre notre équipe cet été (dont Alejandro Cichero, frère du nantais Gabriel) et le fait que nous avons su garder nos meilleurs éléments de l’an dernier (dont le panaméen Rolando Escobar ou Evelio Hernandez, sélectionné à 16 reprises en équipe nationale).

Comment est organisé votre groupe et quel est son fonctionnement et quel type de relations entretient-il avec la direction du club?

VV / Notre groupe, «Los Demonios Rojos», est né en 1989, avec pour but de soutenir activement le Caracas Football Club, d’apporter la joie et une ambiance digne du carnaval dans tous les stades où notre équipe joue. Nous sommes organisés en association à but non lucratif, notre groupe est donc indépendant et autofinancé par ses membres. La direction a à de nombreuses reprises proposé de nous verser une subvention, ce que nous avons toujours refusé afin de conserver notre autonomie, mais ils nous mettent à disposition un local et nous apportent une aide logistique ponctuelle (lors des déplacements par exemple). Chaque membre apporte une contribution bénévole aux activités avant match comme la préparation des tifos (notre bâche est d’ailleurs la plus grande du pays) et prend part à nos activités caritatives (collecte de jouets pour Noël, aide aux personnes âgées isolées, projet de replantation d’arbres…). Grâce à ces activités notre groupe a su capter l’attention de nombreux jeunes de la ville qui désormais voient le Caracas FC comme l’une des fiertés de la ville

OR / Notre groupe s’appelle les Granaticos 24 (en référence au maillot couleur grenat de l’équipe) et a été fondé en 1997. La nouvelle direction nous aide beaucoup, je doute d’ailleurs qu’il y a dans le pays meilleur exemple de collaboration entre équipe dirigeante et groupes de supporters. Ils viennent par exemple de nous offrir un local et font en sorte d’aider notre groupe à grandir et prendre plus d’importance dans le stade.

RF / Nous sommes probablement l’un des groupes les plus petits, au niveau national, nous grandissons petit à petit mais actuellement nous ne sommes qu’une cinquantaine. Notre groupe « La Barra Petrolera » (en référence au pétrole qui fait la richesse de l’Etat du Zulia, ndlr) n’a que deux ans d’existence. Nous entretenons une excellente relation avec l’équipe dirigeante et les joueurs, avec lesquels nous avons un réel échange. Nous sommes totalement indépendants financièrement, nous ne recevons aucune aide, le groupe fonctionne grâce à nos économies et collectes.

La fédération n'a pas fait en sorte de l’amener au niveau que peut refléter la sélection nationale, qui est un mirage par rapport au réel état du foot national

AC / La relation supporters-direction est plutôt bonne. La direction apporte une aide minimum mais doit intensifier sa communication auprès de la « masse » pour faire venir plus de monde au stade.

Considérez-vous que la fédération (FVF) vous soutient et vous reconnait dans votre rôle d’acteur de développement du football dans le pays?

VV / Les gens à la fédération sont pour moi plus intéressés par leurs propres intérêts que par le développement du football national. Ils n’ont pas fait en sorte de l’amener au niveau que peut refléter la sélection nationale, qui est un mirage par rapport au réel état du foot national (équipes endettées, manque de retransmissions télévisées). Ils nous voient comme de simples spectateurs et ne se rendent pas compte de l’importance de notre rôle. Bien sûr au moindre débordement ils n’hésitent pas à nous tomber dessus, au lieu de proposer des alternatives ou des lois qui iraient dans l’intérêt de notre sport, alors qu’il est clair que de nombreux stades ne sont pas aptes à recevoir des matchs de niveau international.

OR / Je trouve que la fédération est mal gérée, sa direction n’est pas au niveau. Le niveau est beaucoup trop éloigné entre celui affiché par la sélection par rapport à la réalité du championnat. Je ne pense pas que nous soyons soutenus et reconnus à notre juste valeur.

 RF / Je pense que l’équipe en place à la tête de la FVF est en fin de cycle et qu’il est temps pour eux de s’en aller et de laisser leur place. Je ne pense pas qu’ils soient vraiment d’accord avec nos actions, ils nous considèrent plutôt comme des délinquants.

Quels sont les groupes de supporters avec lesquels vous entretenez des relations amicales ou belliqueuses, au niveau national et continental ? Quelle est votre avis par rapport à la violence dans le football ? Quelles sont vos relations avec la police?

VV / Au niveau national il y a les groupes avec qui nous avons déjà eu des problèmes et d’autres avec qui nous n’en avons pas encore eu, ce qui n’en fait pas des amis pour autant. Au niveau international je ne parlerai pas d’amitiés avec des groupes d’autres clubs mais plutôt de respect mutuel suite à nos déplacements en Libertadores. Après il est vrai que certains de nos membres ont pour modèle d’autres groupes de supporters argentins, brésiliens ou encore colombiens, qui sont la référence dans ce domaine. Nous n’avons pas de bonnes relations avec la police qui fait trop souvent d’abus de pouvoir, notamment dans certaines villes où ils nous réservent un pire accueil que les groupes de supporters résidents. Ces dernières années, suite à l’augmentation d’épisodes violents, nous avons eu beaucoup de réunion avec la police, les équipes dirigeantes des clubs, des membres des autres barras pour arriver à un accord et réveiller les consciences et éradiquer la violence inutile, mais il nous reste beaucoup de chemin à faire.

OR / Les groupes rivaux du Carabobo FC sont les supporters de l’Aragua FC, de Caracas et du Déportivo Tachira, et nous entretenons des relations plutôt amicales avec les Portuguesa FC (ville d’Aciragua, proche de Valencia, descendu en seconde division). Au niveau international nous n’avons aucune relation avec personne car pour être honnête notre équipe n’a pas encore de vécu à ce niveau, j’espère que ça changera les années suivantes. Pour ce qui est de l’ambiance dans les stades, nous sommes en Amérique du Sud, il y donc toujours un certain degré de violence, c’est culturel. Nos relations avec la police, pour être honnête elles sont mauvaises, comme partout d’ailleurs.

RF / Nous sommes un petit groupe et notre club n’est présent en D1 que depuis 2008, nous n’avons donc pas de groupes ennemis, nous nous concentrons uniquement sur le soutien total à notre équipe. Nous entretenons cependant d’excellentes relations avec les supporters du CD Lara et avec la « Tribu Guererra » du Trujillanos FC. Pour ce qui est du niveau continental nous n’avons malheureusement pas encore eu la chance de participer à aucune compétition continentale donc je ne peux rien dire à ce niveau. Je pense que la violence dans le football est quelque chose qui existera toujours, surtout que pour les dirigeants et les journalistes il est toujours beaucoup plus facile de mettre la faute sur les supporters que de pointer les vrais problèmes. Le vrai problème c’est qu’il y a un grand manque de tolérance dans notre société.

AC / La principale rivalité au niveau national est avec le SC Monagas, qui vient de descendre en seconde division. Je pense que les groupes de supporters au Venezuela ont eu la mauvaise idée de prendre modèle sur les groupes argentins, et ceci couplé avec les problèmes de société profond fait qu’il y a de la violence dans les stades.

La Fédération est, en collaboration avec les clubs, en train de lancer un processus d’amélioration de notre championnat, mais ce sera assez long avant de pouvoir constater des résultats.

Au niveau national, comment percevez-vous l’évolution du football vénézuélien ces dernières années, êtes-vous d’accord pour dire que la Copa America, organisée au Venezuela en 2007 a constitué un tournant ?

VV / Par rapport à la Copa America de 2007, je pense que cela nous a permis avant tout d’avoir de nouveaux stades plus dignes d’un football moderne. Je regrette cependant qu’un seul match fut assigné à Caracas, ce qui nous fit perdre l’opportunité d’avoir un stade neuf (le stade olympique de Caracas date de 1950 et ne dispose que de 38.000 places ndlr), alors que certaines villes beaucoup plus petites ont eu ce privilège. Je pense clairement que nous avons été marginalisés, nous sommes probablement le seul pays au monde dont la capitale ne dispose pas du plus grand stade du pays. Mais bon cela ne me rend que plus fier quand je constate que la majorité des joueurs internationaux ont été formé ou ont joué au CFC. Mon autre point de déception est que, pour les rencontres de la Vinotinto à domicile, notre  sélectionneur, César Farias choisi presque toujours les stades des clubs où son frère, Daniel Farias est entraineur. Quand il était entraineur du Deportivo Anzoategui les matchs avaient toujours lieu à Puerto la Cruz, maintenant qu’il est entraineur du Deportivo Tachira, comme par hasard la ville de San Cristobal vient de se voir attribuée les 2 prochains matchs à domicile de la Vinotinto.

OR / Même si cet événement a été très important dans l’histoire de notre football, je pense que tout a vraiment commencé à changer lorsque Richard Páez a pris les rênes de la sélection nationale au début des années 2000. Actuellement je pense que nous en sommes à notre meilleur niveau.

RF / Notre football est en pleine expansion, et de plus en plus de gens au Venezuela s’intéressent au foot. La Copa America a été très utile sur le plan du développement médiatique de ce sport dans le pays, et cela a rejailli sur le championnat local car beaucoup de gens se sont rendus compte qu’il y avait une équipe dans leur ville et se sont mis à la supporter.

AC / Ces dernières années le football vénézuélien a énormément progressé, jusqu’au point que certaines statistiques prévoient le même engouement que pour notre sport national, le base-ball, d’ici quelques années. Mais pour ça il faudra que l’équipe parvienne enfin à se qualifier pour une coupe du Monde. La Fédération est, en collaboration avec les clubs, en train de lancer un processus d’amélioration de notre championnat, mais ce sera assez long avant de pouvoir constater des résultats. La Copa America de 2007 a été comme un point de départ mais la « romance » a réellement débutée lors de la Copa America de 2011 en Argentine.

A votre avis est-il préférable que les footballeurs restent plus longtemps dans le championnat local ou faut-il qu’il aille s’aguerrir à l’étranger ? Pensez-vous qu’il faudrait faire appel à plus de joueurs étrangers ?

 VV / Il est évident que le fait que de plus en plus de joueurs vénézuéliens rejoignent des championnats étrangers est une chance pour notre football, car ils jouissent alors d’une nouvelle expérience qu’ils ne pouvaient pas avoir avant, et ils en font ainsi profiter la sélection. Notre club de Caracas est le seul club à avoir son propre centre de formation, ce qui permet à de nombreux jeunes de la région d’avoir leur chance. Ce n’est pas pour rien que de nombreux joueurs évoluant actuellement en Europe ont été formés chez nous (Oswaldo Vizcarrondo et Fernando Aristeguieta, du FC Nantes ont tous les deux été formés au CFC). Ces ventes ont d’ailleurs permis à notre club de se développer et d’investir dans ces infrastructures.

OR / Je pense que notre championnat a besoin de plus de joueurs étrangers car ils apportent une autre vision du football. Je pense pouvoir parler au nom de la majorité des vénézuéliens quand je dis que je pense que c’est une bonne chose que nos jeunes talents partent apprendre à l’étranger, ça ne peut être que bénéfique à notre sélection.

RF / Chaque footballeur progresse par pallier, ce serait une bonne chose que les vénézuéliens restent un peu plus longtemps dans le championnat avant de partir vers l’étranger. Cependant ces départs sont à terme obligatoires car ça leur permet de voir leur sport sous un point de vue différent. Comme chaque championnat la première division a besoin de joueurs étrangers mais cela ne doit pas se faire au détriment de la formation et des joueurs locaux.

AC / Le joueur vénézuélien a la mauvaise habitude de s’empresser de partir vers l’étranger et malheureusement il peut leur arriver de ne pas beaucoup jouer, ce qui freine leur progression. Ils devraient rester un peu plus longtemps et atteindre un certain niveau avant de quitter notre championnat.

Que manque-t-il réellement à la Vinotinto pour aller au Mondial et confirmer son changement de statut ?

VV / Sans aucun doute nous avons besoin d’un nouveau sélectionneur, avec un nouveau plan de jeu, qui saurait mieux exploiter le potentiel de nombreux joueurs, qui ont su démontrer dans leur club qu’ils avaient beaucoup mieux à offrir. Les choses doivent également changer au niveau de la fédération, nous avons besoin de dirigeants qui travaillent réellement dans l’intérêt de notre football, et pas les leurs, car nous avons réellement une ressource humaine de qualité.

OR / Je pense qu’il nous manque un sélectionneur plus expérimenté, selon moi Farias n’a pas su utiliser tous les atouts qu’il a en main et ne fait pas jouer forcément les meilleurs. Bien que son équipe a gagné de nombreux matchs dans cette campagne de qualification, je pense que si le sélectionneur avait été un autre nous serions déjà qualifiés, car notre équipe a de meilleurs joueurs que beaucoup d’équipes d’Amérique Latine.

RF / C’est difficile car je pense que chacun aura son propre point de vue. Je souhaiterai voir un peu plus d’agressivité de la part des joueurs, surtout lors des matchs amicaux, et que le sélectionneur essaye plus de joueurs et donne leur chance à quelques nouveaux joueurs.

Entretien réalisé par Antonin Muriot pour Tout Le Monde S'en Foot (voir l’article original)

Nicolas Cougot
Nicolas Cougot
Créateur et rédacteur en chef de Lucarne Opposée.