Si les Grenadiers découvrent la plus grande compétition sud-américaine, ils comptent dans leurs rangs un joueur au parcours atypique, un défenseur qui connait parfaitement le Sud. Portrait de Judelin Aveska, le plus sudam des Haïtiens.

Le plus millonario des Haïtiens

Alors qu’Haïti se prépare à affronter l’ogre brésilien après avoir réussi une belle prestation d’ensemble face au Pérou, l’un de ses membres vit la Copa América d’une manière bien différente. Judelin Aveska est né à Port-au-Prince, capital d’un des pays les plus pauvres d’Amérique et est membre d’une fratrie de huit, tous étudiants. « Enfant, je jouais au foot. Mes parents ne voulaient pas me laisser jouer parce que tous mes frères étudiaient et ils tenaient à ce que j’en fasse de même. Mon père croit en les études, pas en le foot. La seule condition pour que je joue était d’étudier en même temps. » Aveska joue avec tout ce qu’il peut, dès qu’un ballon roule, il est souvent derrière. S’il explique que la majorité des enfants avec qui il jouait était meilleurs que lui, aucun ne va tenter l’aventure comme lui, aucun ne va chercher à vivre de son rêve.

Alors qu’il est à Panamá avec les moins de 20 ans de la sélection, l’entraîneur Claudio Frías lui propose d’aller faire un essai dans le Sud, en Uruguay car « il y avait un Haïtien qui se débrouillait plutôt bien à Peñarol. » Aveska fait quelques essais et se voir proposer d’aller en faire un du côté de River Plate. « Dieu a aidé Tapón Gordillo (NDLR : Jorge Gordillo, ancien du club alors entraîneur des inferiores du club) pour que River me garde. En vérité, je n’avais pas la condition nécessaire pour rester. ».

« Dès que nous avons vu Judelín, on a vu qu’il avait toutes les qualités nécessaire à un bon central pour jouer à River : rapide, technique, intelligent. Ils nous a tous surpris lors des essais » dira de lui le technicien argentin. Car c’est un fait, malgré sa maigreur, Aveska est talentueux, seul son physique l’empêche alors d’aller rapidement plus haut, tout comme l’espagnol qu’il ne parle ni ne comprend pas. Mais il s’accroche, son quotidien lui fait partager le vestiaire avec les autres jeunes du club, Leandro Chichizola, Keko Villalva, futurs de la A. Le frère de Pepe Sand lui apprend les bases d’espagnol, note les mots à connaître sur des bouts de papier, il progresse et se retrouve en réserve, participant alors aux entraînements avec l’équipe A, celle qui compte alors dans ses rangs des Tuzzio, Ortega et autres Falcao. Mais jamais Aveska ne jouera en Primera Division.

De la quatrième division à la Copa América

Prêté à Independiente Rivadavia, il va s’y engager et passer quatre saisons de plus au club, approchant les 100 matches disputés avec la Lepra de Mendoza avec qui il devient donc footballeur professionnel. Il va alors connaître plusieurs clubs des divisions inférieures argentines, passant notamment par Almagro, le club des militants de l’UCR (lire Tango, politique et football : à la découverte du Club Almagro), avant, après un passage par l’Inde, de revenir dans son pays d’adoption, l’Argentine. Aujourd’hui à l'Atlético Uruguay de Concepción, club évoluant en Federal B, club de quatrième division argentine. « Je suis allé donner un coup de main à mon ami Tonelotto. Quand je suis revenu d’Inde, le marché des transferts était clos, j’avais eu quelques propositions d’Argentino A mais comme Tone me voulait… »

Un choix qui ne l’a pas privé de sélection. Retenu dans le groupe des 23, Judelín Aveska découvre aujourd’hui la plus grande compétition sud-américaine, venu importer sa folie sur les terres du Nord. A quelques heures d’affronter le Brésil des Willian et autres Coutinho, il continue de vivre un rêve en grand : « c’est un privilège de jouer contre eux, ceux que vous voyez habituellement à la télé. » A 28 ans, Aveska peut enfin vivre à 100% son AmSud avec sa sélection, lui, le plus Argentin des Haïtiens.

 

Photo une : Jamie Squire/Getty Images

Nicolas Cougot
Nicolas Cougot
Créateur et rédacteur en chef de Lucarne Opposée.