Éliminée de la Coupe du Monde, la Tri équatorienne n’avait pas prévu le moindre match amical et a donc laissé la place à son championnat. L’occasion de faire le point et surtout de se rendre à Guayaquil pour assister à un bouillant Emelec – LDU, duel de prétendants au titre.

banlomag

Tombé amoureux du football sud-américain, je profite de chacun de mes voyages hors des frontières boliviennes pour m'immiscer au cœur d'un stade afin de partager avec délice et curiosité une après-midi de football avec les hinchas locaux. Cette fois ci, je vous emmène suivre la rencontre entre le CS Emelec de Guayaquil et la LDU de Quito.

Réputée dangereuse, la ville de Guayaquil ne représente qu'une étape de passage pour les voyageurs. On y croise peu de touristes à cette époque de l'année et il suffit de flâner en centre-ville pour observer la dualité qui existe entre les deux grands clubs de la ville : d'un côté on trouve les maillots jaunes du Barcelona, de l'autre les bleus d'Emelec. Le Barcelona de Guayaquil reste le club le plus titré du pays avec quinze titres, juste devant l'ennemi voisin d'Emelec qui en compte quatorze. En ce week-end réservé aux matchs internationaux, la sélection équatorienne, qui est toujours en quête d'un nouveau sélectionneur, a décidé de ne pas jouer de matchs amicaux. Ainsi, pour mon plus grand bonheur, le championnat suit son cours et aujourd'hui le club local d'Emelec reçoit la LDU de Quito, autre équipe majeure du paysage footballistique du pays.

Pour se rendre du centre-ville jusqu'au stade Georges Capwell, il suffit de suivre les hinchas au maillot azul et se laisser porter pendant quinze minutes par l'un des innombrables bus roulant en direction du stade. En réalité, l'enceinte porte le nom "d'Estadio Banco Pacifico Georges Capwell". Le dénommé Georges Capwell est tout simplement le fondateur du club, un américain arrivé en Équateur à la fin des années vingt qui a eu l'idée de développer le petit club existant au sein de son entreprise, la EMpresa ELectrica del ECuador (comprenez EMELEC). Je descends du bus et l'approche de l'enceinte est fort agréable. Je déambule entre les commerçants à la recherche d'un billet. Ici, on trouve moins de vendeurs à la sauvette qu'en Bolivie. Beaucoup de kiosques et de commerces se chargent de la vente des billets quelques jours avant les matchs. Je choisi de suivre la rencontre en compagnie des hinchas d'Emelec en échange de 8 $. Après m'être offert le maillot de l'équipe locale contre 5 $ je me glisse dans la file d'attente. J'avais presque oublié les contrôles qui pouvaient exister à l'entrée tant ce passage se fait facilement en Bolivie. Après une première fouille où on m'ouvre le sac, une seconde fouille plus musclée m'attend ; chaque hinchas de la tribune doit chacun son tour se retourner et placer ses mains contre un mur pour se laisser fouiller. Passé cette étape, je peux enfin présenter mon billet et passer le tourniquet automatique pour me glisser en tribune. Le moment est venu de savourer, de déguster, ce que je préfère à chaque fois que je me rends dans un stade : monter à toute vitesse les marches situées à l'intérieur de la tribune, tel un plongeur remontant à la surface en apnée, pour laisser apparaître sous mes yeux le rectangle vert et les quatre tribunes qui l'entoure. Ici, pas de piste d'athlétisme, dans ce stade à l'anglaise les quatre tribunes bleues sont placées au plus près de la pelouse et il n'y a pas de grillage pour cacher la visibilité. L'Estadio Georges Capwell propose une multitude de loges placées dans les deux tribunes latérales ce qui fait spontanément penser à une salle de théâtre avec balcons privés et sièges tout confort surplombant la pelouse.

Pour ma part, le match se vivra debout au cœur du kop où les chants ont déjà commencé avant le coup d'envoi. Je me faufile tout en haut de la tribune, là où les hinchas sont suspendus dans le vide, accroché uniquement par un maillot du club faisant office de corde que chacun sert fort d'une seule main. À cet endroit, la grande partie de la tribune préfère suivre le match torse-nu pour mieux exhiber le logo du club qu'ils se sont fait tatouer sur leur corps. La police est également présente au milieu de ce chahut. Équipées d'une matraque et protégée par un casque, les forces de l'ordre ne bronchent pas devant les multiples danses désordonnées et autre pogos auxquels se livrent les hinchas. Par contre, lorsque ces "danses" dégénèrent et se transforment en bagarre, les policiers tentent de désamorcer l'échauffourée au plus vite, sortant même par moment certains "supporters" du stade. Le curieux que je suis fini par être plus intéressé par l'animation en tribune que par le spectacle proposé sur la pelouse.

La LDU ouvre le score grâce à l'incontournable Barcos et le public se met immédiatement à chanter plus fort que jamais, comme s'il s'agissait d'étouffer les cris de joies venus des nombreux supporters Albos ayant fait le déplacement. Quelques minutes plus tard Emelec rate un penalty, ça commence à faire beaucoup. Alors, lorsque la mi-temps arrive, toute la tribune cesse de chanter et s'assoit à l'unisson. Mon voisin, inconditionnel du club et abonné depuis plus de vingt ans m'explique tranquillement, tout roulant son petit joint (il faudrait être aveugle pour ne pas voir le trafic de drogue battre son plein dans la tribune pendant la rencontre) : « quand on n’est pas satisfaits du résultat, plutôt que de siffler nos joueurs, on s'arrête de chanter et on s'assoit, c'est notre façon à nous de montrer notre mécontentement. » En seconde période, Emelec aura le mérite de se réveiller mais même à onze contre dix, les locaux ne reviendront pas dans le match. Au moment précis où le quatrième arbitre annonce le temps additionnel, un homme descend de la tribune pour tendre une cigarette à un irréductible hincha âgé d'une soixantaine d'année, torse nu et tatoué du logo du club, qui était assis à cheval sur une balustrade à un endroit stratégique de la tribune. Cette scène m’a frappé et je me laisse imaginer qu'elle se produit à chaque match à domicile d'Emelec, comme s'il s'agissait d'un rituel de longue date. L'arbitre siffle le coup de sifflet final et les policiers évacuent la tribune par le sas, commençant par les supporters placés aux extrémités pour terminer avec les hinchas ayant suivi la rencontre dans l'épicentre de la tribune. Je quitte le stade en compagnie du dernier groupe et je me laisse entraîner par mes voisins de tribune à débattre du match quelques cuadras plus loin aux sons des « Tu eres mi amigo del alma realmente, el amigo que adonde quieras que tu vayas yo estaré contigo ».

Le point sur la Primera Etapa

Par Nicolas Cougot

Le championnat a été des plus difficile à suivre pour ceux qui ne vont pas au stade. Si vous êtes des habitués de LO et que l’Uruguay fait partie de vos lectures, vous connaissez évidemment son nom : Paco Casal a déjà fait l’objet de bien des articles sur le site (voir ici, ici ou encore ici). Vous croyiez y échapper en venant suivre l’Équateur ? C’est raté. Propriétaire de GolTv, il a été au centre d’une polémique qui a animé le début d’année 2018 en Équateur et surtout a privé les supporters du pays (et d’ailleurs) de toute image de la troisième journée du championnat. En cause, un contrat télé signé avec la fédération et fortement entaché de soupçons de corruption (doux euphémisme). Au point que si Casal venait à poser les pieds sur le sol équatorien, il serait immédiatement arrêté. Les droits ont en effet été obtenus par GolTV en milieu d’année dernière pour une durée de 10 ans, ils sont désormais cassés, la fédération équatorienne doit ouvrir un nouvel appel d’offre, chose faite ce jeudi 8 mars avec un prix d’entrée de 25M USD par an. Pendant ce temps, les clubs réclament que la fédération ouvre la diffusion aux chaines en clair, ce qui n’a pas été le cas par exemple lors de la troisième journée de Primera Etapa que donc seuls les gens présents au stade auront vu. C’est dans ce climat plutôt étrange que la saison 2018 a débuté donc en Équateur avant d’être réglée ces dernières heures, le nouvel appel d’offre de la fédération étant remporté par… GolTv (non, vous ne rêvez pas). Pourtant, ce championnat s’annonce comme un duel à quatre.

En se sortant du piège Delfín l’an passé, Emelec a confirmé son statut de géant et conquis au passage son quatrième titre en cinq ans, seul l’ennemi intime Barcelona est parvenu, au prix d’une année de tous les records, à venir glisser son nom dans le palmarès récent au pays. Pour défendre son titre en 2018, Alfredo Arias peut s’appuyer sur un groupe peu modifié, même si touché par le départ de son chef d’orchestre Fernando Gaibor, et y adjoint quelques joueurs intéressant, Adrián Bone et Dixon Arroyo en provenance d’Independiente del Valle et surtout Jefferson Montero, de retour au pays après quasiment dix ans d’exil et dont on attend monts et merveilles aux côtés de joueurs comme de Jesús, Agulo ou Mondaini. Il faudra bien cela au Bombillo pour conserver sa couronne car la concurrence s’annonce diablement affutée. À commencer par le voisin de Guyaquil et demi-finaliste de la dernière Libertadores, rien que ça. Certes la machine Jonathan Álvez est partie tenter sa chance plus au Nord, mais le recrutement est tout aussi XXL : Jonathan Betancourt, excellent avec la LDU, Juan Dinenno, 21 buts en 44 sorties avec Cuenca l’an passé et deux énormes valeurs sûres du continent, Victor Ayala, ancien latéral du Granate argentin, et Micky Arroyo, un peu perdu à Grêmio après avoir été l’un des grands de l’América. Le Barcelona de Guillermo Almada a tout du prétendant au titre et ce, malgré une sortie catastrophique en Sudamericana. À ses côtés donc, la LDU relancée par Pablo Repetto et qui se renforce à chaque ligne avec un mélange d’expérience comme Pellerano derrière, de talents, comme celui de Jefferson Orejuela que le continent avec découvert lors de l’épopée d’Independiente del Valle ou de Gastón Rodríguez, un peu dans le dur à Peñarol. Mais aussi Independiente del Valle et sa cantera du football équatorien qui va, désormais sous la direction de Gabriel Schürrer, tenter de rester le traditionnel poil à gratter du tournoi.

Après six journées, les quatre fantastiques sont déjà devant. Barcelona a perdu du terrain ce week-end mais reste devant Independiente del Valle et la LDU, auteure de la belle opération de la semaine grâce à sa victoire au Capwell. Reste qu’entre les deux géants de Guayaquil, premier et quatrième, il n’y a encore que deux points.

Thomas Allain
Thomas Allain
Breton exilé à La Paz. Correspondant en Bolivie pour Lucarne Opposée