Comme dans de nombreux autres pays, la crise économique provoquée par la pandémie du coronavirus est importante en Équateur. Ce dont on ne se doutait pas, c’est qu’elle génèrerait le chaos le plus total au sein de la fédération.

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Janvier 2020. Lors d’une cérémonie organisée en grande pompe, Francisco Egas, président de la Fédération équatorienne de Football (FEF), annonce la prochaine révolution destinée à faire entrer le football local dans une nouvelle ère, celle qui allait lui permettre de « faire partie de l’élite mondiale ». Pour cela, Egas explique alors avoir « pensé à une nouvelle façon d’aborder le football ». Trois mois plus tard, les beaux discours ont volé en éclat. La faute à une crise économique grave traversée par le pays et évidemment son football suite à la pandémie du coronavirus qui frappe le pays avec une grande violence (plus de 23 200 cas, 663 décès). Une crise dont certains ont aussi profité pour saisir l’occasion de reverser la table.

Le contrat de Cruyff au cœur de la polémique

Lorsque l’on est touché par une crise économique, on s’entredéchire souvent dès lors qu’il s’agit de regarder le compte en banque. Pour la fédération, le nœud du problème a été la gestion des cas Jordi Cruyff et Antonio Cordón. Le premier a été nommé à la tête de la sélection début janvier, il n’a passé depuis qu’une grosse vingtaine de jours sur le territoire. Le second est aux commandes du football équatorien depuis la fin de l’année 2019. Les deux sont en charge de conduire cette fameuse révolution. Malheureusement pour eux, avec la pandémie du coronarivus, le football mondial s’arrêtant, il aura été impossible d’organiser des stages de préparation, ni d’observer les joueurs locaux et encore moins disputer la moindre rencontre avec la sélection. Comme dans quelques pays, la question a donc tourné autour de leurs salaires. Si Francisco Egas, alors en poste, avait annoncé une réduction de leurs émoluments de près de 70% (rappelons qu’en Amérique du Sud, seul l’Uruguay a pu mettre Óscar Tabárez au chômage partiel grâce à son système social le plus évolué de la zone), ces derniers ont été saisis au vol par plusieurs membres du bureau de la fédération pour mener une autre révolution.

Il y a d’abord eu Carlos Galarza, qui a clamé vouloir suspendre unilatéralement les salaires du staff technique de la sélection au motif qu’ils ne travaillent pas. Il y a ensuite eu l’utilisation de ces émoluments pour frapper Francisco Egas. Vendredi dernier, la fédération a publié un communiqué annonçant avoir démis le président de ses fonctions et en a profité pour le remplacer par Jaime Estrada. En cause, des « violations constantes » des règles statutaires et notamment un contrat jugé disproportionné signé avec Cruyff. Les six signataires du document accusent ainsi Egas de ne pas avoir respecté le budget alloué de 4M USD pour engager le duo Cruyff – Cordón, contrat qui serait finalement plutôt à hauteur de 6M USD. Une affaire qui a commencé à éclater courant février et a donc conduit à cette révolte. Une révolte vue par certains, comme Esteban Paz dirigeant de la Liga de Quito, comme un coup d’état au sein de la fédération.

Jaime Estrada, le président footballeur

Le nouvel homme fort de la FEF se nomme ainsi Jaime Estrada Medranda. Ancien vice-président, il s’est surtout fait connaître du continent en 2013. Fils de Jaime Estrada, ancien maire de Manta et président-fondateur du Manta FC en 1998, Jaime Estrada Medranda devient président du club de son papa en 2010, entrant dans le livre des records équatorien comme le plus jeune président de l’histoire du football local. Il est alors âgé de 25 ans. Trois ans plus tard, il entre dans un autre livre des records. Passé par les équipes de jeunes du club, sans parvenir à l’élite, alors qu’il a 28 ans, il décide de réaliser son rêve et s’offre un contrat de footballeur professionnel. Le président-joueur pourra ainsi faire ses premiers pas en Serie A équatorienne. Nous sommes le 9 mars 2013, Manta affronte El Nacional et mène 3-0 lorsque Jaime Estrada Medranda entre en jeu. Il reste alors six minutes à jouer et l’improbable se produit. Sur son premier ballon, Jaime Estrada Medranda trouve le chemin des filets pour sceller le 4-0 final. Quatre jours plus tard, il disputera quelques secondes lors de la défaite face à Emelec. Ce sera sa dernière apparition. Jaime Estrada Medranda redevient alors uniquement président, son bilan de joueurs pro s’arrête à un but pour sept minutes passées sur un terrain.

Violent opposant à Luis Chiriboga, président de la fédération entre 1998 et 2015, il est suspendu de ses fonction pour un an suite à un tweet jugé trop violent envers le président. Il sera ensuite un temps candidat à la présidence de la fédération en 2015, pour s’opposer à Chiriboga, avant de finalement renoncer à cette course à quelques jours du vote. Chiriboga sera suspendu à vie en 2016 après le scandale du FIFAgate. De son côté, Jaime Estrada revient à la fédération en 2019, formant un binôme avec Francisco Egas après le court intermède Carlos Villacís.

Egas réplique, action en justice en vue

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Aujourd’hui, ce binôme s’entredéchire et l’affaire ne fait que commencer. Ce dimanche, Francisco Egas a donné une conférence de presse virtuelle au cours de laquelle il a pris le temps de clarifier plusieurs points après être revenus sur les événements des derniers jours. « Il y a deux semaines, cinq des six membres qui signent aujourd’hui cette pétition ne se sont pas présentés à la réunion, excusés au dernier moment (NDLR : c’est au cours de cette réunion que le plan de lutte contre la pandémie, avec notamment mise à disposition du camp d’entraînement de la sélection pour le personnel soignant). Le 24 avril, nous avions au programme une réunion normale avec un ordre du jour fixé. Quand la réunion a débuté, l’un de ces six membres à pris la parole pour modifier l’ordre du jour. J’ai été surpris par ce qu’il s’est passé. Je ne sais pas si cela est lié au coronavirus ou non, mais ces personnes ont décidé lors d’une réunion, de faire tomber le président de la fédération, ou du moins d’essayer de le faire tomber ». Egas a profité de l’occasion pour répondre aux accusations de salaire démesuré donné au staff de la sélection, expliquant notamment que le chiffre de 4M USD était le salaire net, les 6M qui lui sont « reprochés » étant le salaire brut, et rappelant que le salaire de Jordi Cruyff (2M USD) est le septième à l’échelle de la CONMEBOL après avoir été approuvé par le congrès de la fédération lors de sessions publiques. La guerre est donc ouverte, la fédération se retrouve désormais comme un monstre bicéphale : « Les choses sont comme si demain Facundo Martínez de l’Universidad Católica et Franklin Guerra de la LDU s’affrontaient FIFA20 et que si Martínez s’imposait 2-1 et demandait à ce que ce score soit enregistré pour le championnat. Pour tout, il existe un mécanisme. Et il est certain que le mécanisme utilisé ici pour tenter d’écarter le président de la fédération n’est pas le bon. Ce que je veux dire au pays, c’est que je conserve mes fonctions, que je continue de regarder de l’avant, comment voir quels recours légaux permettront à la fédération de pouvoir continuer à fonctionner normalement. Plusieurs articles des statuts de la fédération ont été violés. Le directoire a pour fonction notamment de pouvoir nommer le président lors de sa première assemblée. Il n’a pas les pouvoirs nécessaires de remodeler ni de réorganiser la fédération ». Un dernier point confirmé par quelques avocats et rapportés par El Universo. Leonardo Stagg, membre du conseil de discipline de la FIFA a ainsi expliqué que « d’un point de vue juridique, cette résolution (NDLR : la mise à l’écart d’Egas) enfreint les statuts, c’est inacceptable. Ni la FIFA, ni la CONMEBOL ne pourront accepter une telle mesure ». Celso Vásconez, spécialiste en droits du sport, explique que cette restructuration est « illégale. Il n’existe aucune disposition dans les statuts qui permet aux membres du bureau de retirer la charge du président sans convocation préalable ni information donnée à tous les membres ».

L’affaire ne fait donc que débuter, elle va désormais opposer une fédération coupée en deux clans (six membres ont voté pour Estrada, trois soutiennent Egas), mais aussi les clubs du pays (Barcelona et Emelec ont apporté leur soutien au « nouveau » président de la FEF quand la LDU n’a pour l’instant n’a pris aucune position mais semble soutenir Egas (voir les propos d’Esteban Paz cité ci-dessus). Le tout dans un contexte opposant football professionnel et amateur, et ou le retour de la Liga Pro est encore loin d’être envisagé.

Dans une vidéo postée ce dimanche par le compte Twitter de la fédération, Jaime Estrada appelle au « respect des règles » et fait de « la transparence et du dialogue » les deux maître-mots de son mandat. Deux points qui semblent plus que jamais n’être que des mots au sein d’une fédération qui bascule de nouveau dans le chaos au moment où ses jeunes générations n’ont jamais semblé autant prometteuses.

Nicolas Cougot
Nicolas Cougot
Créateur et rédacteur en chef de Lucarne Opposée.