Chaque semaine qui passe plonge davantage le Venezuela dans une crise de plus en plus dramatique. Après la panne de courant générale qui enfonce davantage le pays dans le chaos, le football local a décidé de ne plus faire semblant.

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Depuis jeudi 7 mars dernier, le Venezuela est plongé dans le noir, suite à une panne d’électricité sur la principale centrale hydroélectrique. Si les explications divergent quant aux causes de cette avarie, le clan Maduro accusant une cyberattaque, évoquant une « guerre de l’électricité menée par les impérialistes américains » (sic), quand l’opposition pointe le manque d’entretien des infrastructures, au milieu de tout cela, la principale victime est une fois encore le peuple. Déjà dans une précarité rare, celui-ci se retrouve désormais plongé dans le noir en même temps que les hôpitaux, transports, magasins et que l’ensemble des autres éléments vitaux viennent désormais à manquer (il devient par exemple impossible de conserver le peu de nourriture disponible). Pire, la panne a d’autres conséquences, comme une pénurie d’eau potable, laissant craindre une crise sanitaire encore plus dramatique. Au milieu de ce chaos qui plonge le pays dans une crise toujours plus grave et tragique, le football, souvent victime collatérale, a décidé de ne plus faire comme si de rien n’était.

Survivre

Il faut dire que si la principale victime de la situation reste le peuple vénézuélien, le football est forcément impacté par cette profonde crise, que ce soit à l’échelle nationale ou à l’échelle continentale. Sur le plan local, tous les pans du football sont touchés. Les supporters en premier, non seulement dans leur vie de tous les jours, mais aussi dès lors qu’il s’agit d’aller au stade. À l’AFP, Daniel Mendoza explique que « l'ambiance s'en ressent. Avant, il y avait plus d'émotion, plus de gens », avant d’expliquer que le prix du billet pour assister au match représente la moitié du salaire minimum et que se rendre en tribunes un soir de match, c’est aussi prendre de véritables risques : « Les transports sont difficiles la nuit, la situation du pays complique tout », un père de famille interrogé par l’AFP ajoutant, « si tu tombes en panne, tu ne sais pas ce qu’il peut se passer ». Assister à un match de football est aujourd’hui quasiment un acte politique et il n’est pas rare de trouver en majorité des opposants à Maduro dans les tribunes du pays. Déjà en 2015, les banderoles et chants s’opposant au gouvernement Maduro pouvaient être entendues dans les tribunes lors de la Copa América. Le phénomène s’est donc naturellement poursuivi. Deux ans plus tard, le clásico opposant Deportivo Táchira et Caracas FC se termine en manifestation contre le gouvernement, elle sera dispersée par les gaz lacrymogènes de la Guardia Nacional Bolivariana. Lors du Mondial u20, qui propulsera les jeunes vénézuéliens en finale, on pourra ainsi apercevoir des banderoles « Maduro assassin » en plein direct. Le mouvement n’a jamais faibli, il y a quelques semaines, les chants « ce gouvernement va tomber » ayant notamment rythmé les tribunes chiliennes lors du Sudamericano u20. Si les tribunes ont ainsi souvent joué leur rôle dans la protestation, le football, en tant qu’ensemble pas à titre individuel – nous allons y revenir, s’est d’abord « contenté » de subir la crise.

En juillet 2018, trente-deux arbitres professionnels de l’état de Táchira se sont mis en grève afin de réclament leur dû lors du Clausura. Cela faisait deux mois qu’ils n’étaient pas payés, leur honoraires s’élevant à 4200 bolívares (1,13€). Les retards de paiement ne cessent de s’accumuler, ils s’ajoutent à des situations précaires où insécurité et pénurie se télescopent. « Il n’est pas recommandé de voyager de nuit, mais nous étions quasiment tout le temps dans l’obligation de le faire. Une fois, nous allions à Barquisimeto et ils ont envoyé une pierre sur le car », raconte Wilson Gutiérrez, entraîneur colombien passé par Carabobo à El Espectador et dont l’assistant, Gustavo Bustos a été victime à deux reprises de tentatives de vol. Le peu de trafic aérien contraint bien des clubs à voyager par la route, accumulant les heures de transport, accumulant également les risques comme ce fut par exemple le cas du car de Trujillanos, séquestré et pillé à Boca de Uchire, dans l’état d’Anzoátegui, en septembre 2016. L’entraîneur colombien énumère également les difficultés journalières auxquelles son staff est confronté : « À plusieurs reprises il était difficile d’établir un menu hypercalorique qui serait requis pour répondre à la dépense énergétique des athlètes ». Si les clubs et la fédération cherchent à se servir du football pour sauver la jeunesse du pays, en investissant leurs dernières économies sur elle par la création de centres de formation qui les hébergent et les sortent ainsi de la rue, les sauvant de ses dangers pour ensuite leur permettre de rapidement quitter le pays et en mettant en place un plan global mêlant les acteurs du championnat et de la sélection, la réalité économique pèse sur les joueurs du championnat. « Un footballeur vénézuélien qui joue depuis deux-trois ans et qui a acquis une certaine célébrité peut gagner entre 300 et 400 USD par mois, les autres tournent entre 80 et 100 USD. C’est vraiment peu. Certains sont même payés en bolívares », explique ainsi Gutiérrez.

Bien évidemment, si la crise touche les clubs locaux, elle n’est pas sans conséquence pour les clubs des autres pays qui vont devoir affronter les équipes vénézuéliennes en Copa Libertadores ou en Copa Sudamericana. Lors de la première semaine de la phase de groupes de la Libertadores, on a ainsi vu les Uruguayens de Nacional changer leurs plans pour se rendre à Barinas. Oubliés les vols commerciaux, la délégation tricolor est passée par un charter qui s’est envolé le lundi matin pour passer par Santa Cruz avant de rallier directement Barinas, sans passer par la case Caracas. De même, leur vol retour a été retardé, l’aéroport de Barinas n’effectuant plus de vols de nuit. Jeudi dernier, le match opposant le Deportivo Lara à Emelec a été reprogrammé au lendemain midi, en raison de cette fameuse panne générale d’électricité. Autre conséquence de la panne, le Deportivo Lara, toujours lui, n’a pu se rendre au Brésil cette semaine où il devait affronter Cruzeiro. Redoutant un forfait prononcé par les instances de la CONMEBOL, les Vénézuéliens ont été « sauvés » par la Raposa qui s’est montrée solidaire et a fait pression pour que le match soit repoussé à une date ultérieure. Des éléments qui paraissent évidemment secondaire au vu de ce que le peuple vénézuélien traverse depuis plusieurs mois, mais qui ont finalement conduit à une action du football local.

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Football contre fédération

Depuis le début de la crise, nombreux ont été les joueurs, qu’ils soient de la sélection ou non, à avoir pris personnellement et publiquement position. Certains vivent la crise à distance et témoignent de leur soutien, d’autres, encore au pays, décident de montrer ce qu’est leur réalité, sans rien cacher. Attaquant de Mineros de Guayana, Richard Blanco est l’un d’entre-eux. Sur les réseaux sociaux il rappelle d’abord l’immensité de la crise accentuée par la panne générale : « en tant que footballeur et Vénézuélien, je ne peux pas ignorer la situation dans laquelle se trouve mon pays. Sans lumière, sans eau, sans nourriture, médicaments, ni sécurité, nous nous exposons à une tragédie. Nous devons protéger notre sécurité et celle de nos collègues », a-t-il ainsi twitté, avant de raconter son week-end de sportif de haut niveau, d’un vol retardé de plus de cinq heures, à une nuit passée à l’hôtel sans lumière, d’une arrivée au stade pour découvrir des vestiaires plongés dans le noir, le seul groupe électrogène étant utilisé pour la sono du stade, et d’un coup d’envoi retardé de vingt minutes parce que les forces de l’ordre avaient dû quitter le stade pour aller gérer les manifestations se produisant en ville. Arrivé à Belgrano en provenance de Zamora en début d’année, Anthony Uribe s’est confié à la presse argentine : « Comme sportif, tu cherches à t’éloigner des questions politiques, mais la situation affecte tout le monde, le sport, la société, l’économie, les hôpitaux, tout le monde. Aller au marché et ne pas pouvoir acheter les choses nécessaires pour la maison… Voir que le salaire minimum ne permet rien est quelque chose de réellement triste. Des gens meurent de faim, c’est injuste », explique-t-il dans un entretien donné à El intransigente, avant de poursuivre, « j’ai de la rancœur de savoir que celui qui dirige le pays ne fait pas ce qu’il devrait. Le plus triste est qu’il y a des gens qui soutiennent cela et même si je ne voulais pas m’impliquer, c’est ainsi. De nombreux footballeurs ne touchent pas un salaire leur permettant de vivre. À plusieurs reprises, ils ne peuvent pas acheter leur matériel car les grandes marques, comme Adidas ou Nike, ne sont plus présentes. L’insécurité est immense et cela me fait mal ».

Pourtant, au plus fort de la crise, la FVF ne prend aucune mesure, ne prend surtout pas position et fait comme si de rien n’était. The show must go on. Alors plusieurs équipes ont joué ce week-end, au mépris des conditions dans les stades et, plus terrible, du drame qui se joue en dehors. À Barinas, Zamora et Atlético Venezuela ont ainsi joué à 16 heures, en plein jour, dans un stade où l’entrée a été rendue gratuite par le fait que les tourniquets ne fonctionnaient pas (faute d’électricité). Le même jour, Portuguesa et Monagas ont également joué. Ils ont finalement choisi de publier des communiqués dans lesquels les premiers demandent la suspension de la prochaine journée, les seconds présentent leurs « sincères excuses pour avoir permis que la rencontre face à l’Academia Puerto Cabello se dispute pendant la situation si délicate que traverse le pays ». Car entre temps, la goutte d’eau a fait déborder le vase et deux clubs ont décidé d’une opération coup de poing, deux institutions ont enfin fait le choix de prendre clairement position.

Dimanche au Pachencho Romero de Maracaibo, les joueurs de Zulia et du Caracas FC ont tout simplement décidé de faire grève. Au coup de sifflet lançant le match, les deux équipes ont refusé de jouer, faisant finalement rouler le ballon sans ne rien faire, passant une partie de leur temps à discuter entre eux afin de protester contre la ligue vénézuélienne qui avait maintenu les matchs de championnat alors que les conditions sont de plus en plus terribles.

Ce lundi, Zulia est allé encore plus loin en publiant un communiqué dans lequel l’institution annonce qu’elle « ne se présentera à aucun match de football officiel d’un tournoi national (Première division, Tournoi élite des filiales, Superliga féminine) tant que les conditions minimales permettant la pratique du sport, le transport, la logistique, l’accueil et d’autres facteurs nécessaires pour assurer la sécurité de nos suiveurs, ne pourront être garanties ». Dans le même temps, la Asociación Única de Futbolistas en Venezuela, le syndicat des joueurs, a envoyé un courrier officiel à la fédération afin de demander la suspension de tout match de football prévu le week-end prochain. La dramatique crise qui touche le Venezuela aujourd’hui ne peut être oubliée le temps d’un match de football, le peuple n’a plus besoin d’opium, il a besoin de vivre, ses footballeurs aussi. C’en est fini des prises de positions individuelles et finalement éparses, si les institutions footballistiques locales se joignent au combat, le message sera d’autant plus fort. Conséquence, la pression fut maximale sur les épaules d’une fédération qui a été finalement contrainte ce mardi soir à prendre la décision que tout le monde attendait : celle de suspendre tout match prévu ce week-end, notamment la huitième journée.

Reste désormais à savoir comment le football de club va pouvoir continuer, non seulement sur le plan local mais aussi continental, à savoir jusqu’à quand les sélections seront préservées. Reste surtout à espérer des lendemains meilleurs pour tout un peuple.

Nicolas Cougot
Nicolas Cougot
Créateur et rédacteur en chef de Lucarne Opposée.