Ce soir à 20 heures (HF), Liverpool sera opposé à Sud América dans son stade du Belvedere. Un match à huis-clos opposant le premier au septième du classement après quatre journées. C’est dans ce cadre qu’une légende a décidé de tirer sa révérence : la Société Anonyme du But, le fou auteur du tir au but le plus osé de l’histoire, l’homme au trente clubs, vainqueur d’une Copa América (soit plus que Messi, Pelé et Maradona réunis), Sebastián Abreu.

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Quelle carrière. Il est à la fois le dernier joueur en activité à avoir affronté Maradona, un héros en Uruguay à la suite de son tir au but en 2010, mais aussi le recordman du nombre de clubs au niveau professionnel. Ce dernier point avait eu tendance à effacer tous les autres ces derniers temps avec des passages pour le moins en demi-teintes que ce soit au Brésil ou en Uruguay, mais à l’heure du bilan il ne faut pas oublier qu’Abreu n’est surtout pas que cela, il est bien plus que cela, immensément bien plus que cela.

Formé à Minas au baby-football dans une structure familiale, il arrive à Montevideo pour terminer sa formation de footballeur auprès du Defensor, équipe avec laquelle il début à dix-huit ans en 1994 (!), avant de commencer un voyage qui va le mener dans beaucoup d’équipes entre l’Argentine, le Mexique, le Brésil, Israël, l’Espagne… et quelques retours dans son club de cœur, le club où il aura au final le plus joué : Nacional. Il y laisse de très bons souvenirs, comme dans d’autres clubs sud-américains comme Botafogo (y marquant soixante-deux buts, meilleure marque du loco) ou San Lorenzo.

En sélection, sa carrière s’est étalée sur seize ans, avec plus de bas que de haut au début, que ce soit le Mondial en Corée du Sud ou la non-qualification pour l’Allemagne, avant la consécration en Afrique du Sud où, tout en étant remplaçant de la doublette Forlán / Súarez, il est décisif avec le but de qualification en barrages contre le Costa Rica et évidemment le penalty contre le Ghana, un grand moment de football. Un moment étrange, ou tout l’Uruguay sait que le Loco aime bien « la piquer », faire une panenka, mais où personne n’ose y croire, pas même le gardien ghanéen. Un geste loin d’être aussi fou qu’il n’y parait : pendant les quatre premiers tirs au but, il discute avec Fucile : après le premier tir au but, Abreu demande à Fuci « il ne plongerait pas avant le gardien là ? ». Fucile lui répond : « oui, Loco ». Après le deuxième tir au but « on est d'accord, il plonge avant le gardien, à chaque fois ». L'autre lui répond : « oui, Loco ». Avant le dernier, le grand fou demande une dernière fois : « on est d'accord ? Le gardien plonge avant le tir à chaque fois ! ». « Oui, Loco. Va faire ta panenka et arrête de me casser les couilles ».

En 2011, l’Uruguay est sacré champion d’Amérique du Sud, Abreu ne joue déjà qu’un bout de match de toute la compétition. Il erre ensuite entre différents clubs, essayant le plus possible des nouvelles expériences, étant champion au Salvador (Santa Tecla), devenant entraîneur joueur de Boston River, alternant le football et la présentation de son show télé en Uruguay… jusqu’à ce qu’il perde un peu le fil et ne soit plus performant. Il avait rejoint Sud América mais ne jouait déjà plus que quelques minutes par match, trainant sa peine. Il arrête donc logiquement, à quatre mois de son quarante-cinquième anniversaire. « Le jour est arrivé, je baisse la grille. J’ai tout donné et pouvoir prendre cette décision en étant encore actif à quarante-quatre ans, et avec l’équipe bien classée, c’est partir de la meilleure façon » déclare-t’il à Ovacíon. Il laisse une trace spéciale, de celles qui marquent une génération, et l’Uruguay toute entier n’est pas près d’oublier ce moment, ce moment si spécial, ce match fou, ce joueur fou. Et l’on sait déjà qu’entre ces apparitions télé et son goût pour le poste d’entraîneur, l’Uruguay aura l’occasion de le revoir. Gracias, Loco.

Jérôme Lecigne
Jérôme Lecigne
Spécialiste du football uruguayen, Suisse de l'Amérique du Sud, Patrie des poètes Jules Supervielle, Juan Carlos Onetti et Alvaro Recoba