Drôle de journée dimanche en Uruguay au cours de laquelle tout le monde était tourné vers un événement : le retour d’un joueur. De l’arrivée de son vol dans l’espace aérien uruguayen à sa présentation au Gran Parque Central, le club et le joueur avaient vu les choses en grand. Quoi de plus normal ?
Kylian Mbappé a d’habitude une communication très contrôlée, ficelée, propre, certains diraient moderne, disons un peu aseptisée. Il a pourtant déclenché, sans trop le vouloir, il y a quelques temps une petite polémique en Amérique du Sud quand il a déclaré que « l’Argentine et le Brésil ne jouent pas des matchs de haut niveau avant de se qualifier pour la Coupe du monde. En Amérique du Sud, le football n’est pas aussi avancé qu’en Europe ». Propos pas très malins quand on voit l’attaque très « européenne » de son équipe. La libéralisation du travail a fait que depuis trente ans, les joueurs sud-américains partent tous jouer en Europe pour gagner plus d’argent. On pourrait croire que cette situation est immuable, mais elle ne représente que trente ans sur cent-vingt années (grosso modo) d’histoire du football. Pour que les clubs sud-américains ne reprennent le dessus sur les clubs européens comme dans les années quatre-vingts, il ne leur manque qu’une chose : les joueurs sud-américains. C’est sans doute l’une des leçons de la semaine qui vient de s’écouler en Uruguay, une semaine d’amour, de folie et de Luis Suárez.
Après l’annonce de son arrivée, le club a planché sur une présentation au Gran Parque Central (environ vingt mille places vendues à minimum quatre cents pesos, soit environ dix euros). Luis Suárez est arrivé dimanche matin dans le jet privé de Lionel Messi (qui avait fait un premier voyage d’Argentine vers l’Espagne à vide…). Le vol était suivi en direct sur les chaînes de télévision comme sur Canal 10, avec de longs plans sur des outils de suivi de vols comme Flightradar. Il est arrivé au-dessus du territoire uruguayen à 10h45 selon l’alerte d’Ovacíon. On pouvait alors suivre, seconde après seconde, jusqu’à l’atterrissage, ce petit avion jaune sur une carte. Le joueur a ensuite pris place dans une camionnette Renault, fenêtre ouverte avec ses enfants, et a eu toutes les peines du monde pour sortir du premier rond-point du vieil aéroport. Le parcours a ensuite été plus simple avec un cordon policier et un Suárez tout sourire, à la fenêtre, saluant tout le monde venu le voir le long de la Rambla de Carrasco.
Luis Suárez y su familia participan de la caravana que los acompaña hasta el Gran Parque Central donde será la bienvenida oficial. pic.twitter.com/PFMRXoWd5n
— Subrayado (@Subrayado) July 31, 2022
Le joueur et sa famille sont ensuite arrivés au Gran Parque Central et ont participé à un ensemble de festivités comprenant le cadeau d’Emmanuel Gigliotti, lui donnant le numéro 9, et celui de Sergio Rochet lui donnant le brassard de capitaine. Suárez a aussi reçu un petit message de l’homme qui lui avait prêté un avion, donc un très bon ami : Lionel Messi. Ce dernier ne lui a pas annoncé qu’il acceptait le défi et qu’il rejoignait Newell’s, mais « je te souhaite le meilleur, je te suivrais depuis ici, tu sais que les supporters de Newell’s n’ont pas un très bon souvenir de Nacional [Messi semble plus au fait de l’histoire du football que Mbappé et fait référence à 1988 notamment], mais tu sais que je ferais n’importe quoi pour toi. Non, je rigole [rires]. Je te souhaite le meilleur, je t’aime beaucoup et je t’envoie un gros bisou [traduction littérale sans doute trop littérale de beso grande] et j’espère qu’on se voit bientôt. Ciao ».
La journée s’est terminée avec une photo de groupe reprenant tout l’effectif du club, et un avion passant dans le ciel avec le message qui est désormais entré dans la légende #SuarezANacional. Tout cela aurait pu être trop, pour un joueur de trente-cinq ans, signant pour quatre mois à peine. Mais après trente ans durant lesquels le pays a été saigné de ses joueurs, c’était presque peu. En fait, le problème du football sud-américain, la désertion des tribunes, le manque d’intérêt, la baisse de niveau, tout cela a une solution simple. Tellement simple qu’elle n’avait pas été envisagée : que les joueurs sud-américains jouent en Amérique du Sud.
Photo : Ernesto Ryan/Getty Images