Quatre ans après avoir redonné vie au Campeonato Sudamericano, le Pérou accueille de nouveau l’épreuve qui s’est enrichie d’un nouveau venu. L’occasion de prendre sa revanche sur le destin.

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La graine : les Jeux Olympiques de Berlin

Au début des années 30, le Pérou n’est pas une grande puissance du football sud-américain encore totalement écrasé par les frères du Rio de La Plata, Argentine et Uruguay. Néanmoins, lors de la première Coupe du Monde disputée en terres célestes, la sélection nationale péruvienne surprend les observateurs par un niveau technique et si elle ne gagne aucun match, elle séduit. Troisième de la Copa América 1935, derrière les rivaux argentins et uruguayens, le Pérou monte en puissance lors des Jeux Olympiques de 1936 au cours desquels la Blanquirroja, qui étrenne une nouvelle tenue, blanche avec la diagonale rouge est l’unique représentant sud-américain dans l’épreuve. Dans ces temps troublés où les mythes viennent jouer avec une histoire mondiale qui s’assombrit de plus en plus, la sélection péruvienne compte dans ses rangs plusieurs membres du Rodillo Negro, l’impressionnante armada offensive composée par José Maria Lavalle, Adelfo Magallanes, Alejandro Villanueva, José Cholo Morales et la légende “Lolo” Fernández. Le Pérou entre dans la compétition en atomisant la Finlande avec notamment un quintuplé de Lolo et un doublé de Villanueva. Suffisant pour décroche un quart de finale face à l’Autriche. Lors de ce quart de finale, le Pérou, d’abord mené au score, finit par s’imposer 4-2 après prolongation. Mais surprise, l’Autriche demande l’annulation du match et pousse pour qu’il soit rejoué. La FIFA et le comité olympique accèdent à la requête, furieuse, la délégation péruvienne se retire de la compétition.

Pendant que l’Autriche s’en ira prendre la médaille d’argent, les joueurs de la sélection sont alors accueillis en héros au pays. Car ce match entre dans la légende au Pérou, se nourrit d’une mythologie entretenue notamment par l’immense Eduardo Galeano en 2008. « C’est une belle histoire qui est affaire de dignité. Hitler était aux premières loges du stade à Münich pour voir la rencontre entre Pérou et Autriche, la terre de ses origines. Le Pérou l’a emporté 4-2, l’arbitre a annulé trois buts pour les péruviens pour ne pas heurter le dictateur, » expliquera alors l’auteur de El fútbol a sol y sombra. Cette version sera bien évidemment contestée, plusieurs documents prouvant les nombreuses erreurs peuplant cette légende. Le seul fait que le Pérou s’est retiré des JO et finalement, qu’importent les véritables raisons, Aldo Panfichi, sociologue et auteur de Ese gol existe, qui fait partie des nombreuses voix s’étant élevée contre ce mythe résume l’importance de ce match : « C’est le match qui plante dans nos esprit l’idée que nous avons pratiquement gagné, que nous pouvions y arriver. Mais une victoire qu’on nous a volée. » Car ce match marque une génération, l’équipe de 36 sera la base de celle de la Copa América 1939, équipe transformée par l’arrivée au pays d’un faiseur de miracle anglais.

Jack Greenwell, le prophète anglais

 A l’image de nombreux autres pays sud-américains, le football est arrivé au Pérou des pieds des marins anglais. Il va franchir un palier en sélection des mains d’un autre britannique, Jack Greenwell. Milieu de terrain né à Crook, Greenwell reste à jamais l’homme qui a changé le FC Barcelone dans la première décennie du XXème siècle en apportant un football reposant sur la passe et construit depuis les lignes arrière. La guerre civile espagnole qui débute en 1936 force Greenwell à émigrer avec sa famille, il prend alors la direction de l’Amérique du Sud et débarque au Pérou en 1938 pour prendre les commandes du club d’Universitario mais aussi de la sélection, sélection qu’il connait pour avoir donné ses conseils tactiques à Alberto Denegri, coach de la sélection olympique de 36. Il fait avec elle son premier galop d’essai lors des Jeux Bolivariens de 1938, première édition d’une compétition opposant les six pays libérés par Simón Bolívar et qui se déroulent à Bogotá au mois d’août. La sélection nationale remporte ses quatre matchs et décroche le premier titre de son histoire. Elle est désormais prête à accueillir pour la troisième fois de son histoire le Campeonato Sudamericano de l’année suivante.

Le sacre d’une génération

C’est fort de cette dynamique positive que le Pérou se prépare à son grand défi de 1939, son Campeonato Sudamericano qui se déroule à l’Estadio Nacional de Lima. Pour cette 15e édition, l’Argentine et le Brésil sont absents mais un petit nouveau fait son arrivée, l’Equateur. La jeune Tri repartira de Lima la valise chargée de buts, 18 encaissés en quatre matchs. Emmené par le duo “Lolo” Fernández – Jorge Alcade, le Pérou débute par un 5-2 face à l’Equateur, avant que l’ultra-offensif  2-3-5 de Greenwell ne vienne à bout du grand rival chilien (victoire 3-1, doublé de Fernández, but d’Alcade) puis du Paraguay (victoire 3-0, le duo offensif nous offrant un copier – coller), match au cours duquel la sélection péruvienne confirme sa montée en puissance en affinant davantage son jeu collectif. De quoi engranger de la confiance en vue du dernier match, véritable finale pour le titre, opposant le Pérou à l’ogre uruguayen dirigé par la légende Alberto Suppici, l’homme du premier titre mondial, et qui compte dans ses rangs des joueurs comme Roberto Porta, neveu de l’idole du Nacional Abdón Porte (son histoire est à lire ici : Abdón Porte, le sang du Nacional).

La finale se déroule le 12 février 1939 dans un Estadio Nacional plein à craquer. Le 2-3-5 de Greenwell fait des merveilles, le Pérou domine le premier acte, menant rapidement 2-0 (Alcade et Bielich). Si Porta ramène l’Uruguay au score, plus rien ne changera, la Blanquirroja s’impose de justesse et décroche son premier titre de champion, assoit définitivement la génération dorée des années 30 dans l’histoire du football national. Pour la première fois la Copa América se pose sur les côtes du Pacifique, Jack Greenwell devient le premier entraîneur non sud-américain à remporter le trophée, il reste à ce jour le seul. L’Estadio Nacional explose, la foule porte ses héros en triomphe. Le lendemain, ils sont invités par le président, le Général Oscar Benavides, dans les rues du pays, le peuple péruvien oublie les différences sociales et chante d’une seule voix à la gloire de ses héros. Le Pérou a pris sa revanche sur l’histoire, sa première génération dorée inscrit son nom au palmarès continental. Il faudra attendre près de 40 années pour en retrouver une et ainsi revivre de telles émotions.

Nicolas Cougot
Nicolas Cougot
Créateur et rédacteur en chef de Lucarne Opposée.