Tout juste champion du Monde, le Brésil cherche à retrouver son lustre continental en Argentine, dix ans après son dernier sacre. Pour cela, il compte sur un prodige, un gamin nommé Pelé. Ce dont on ne se doute pas encore c’est que le futur Roi disputera là son seul Sudamericano.

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Le traumatisme du Maracanazo de 1950 avait laissé des traces, la Coupe du Monde suivante marquée les esprits quand le Brésil recevait une leçon de la part du onze d’or hongrois. Fort heureusement pour le Brésil, l’année 1958 a permis d’évacuer tous ces doutes, de remettre la sélection sur les bons rails, ceux du joga bonito et du 4-2-4 de Vicente Feola (sans doute emprunté à la Hongrie de 1954). Ce Brésil, celui des Nilton Santos, Bellini, Zito, Vavá, Djalma Santos, Mario Zagallo, Garrincha et de la nouvelle pépite Pelé, arrive en Argentine avec un nouveau statut, il est la meilleure équipe du monde, première étoile sur le torse, il est surtout la première nation sud-américaine à avoir décroché une Coupe du Monde sur le sol européen. C’est donc en grandissime favori qu’il se présente au Monumental, lieu unique de la 26ème édition, et compte bien affirmer sa suprématie en décrochant un titre continental qui le fuit depuis 10 ans.

Montée en puissance

Pour ses débuts dans la compétition, le Brésil retrouve un Pérou qui n’a qu’une envie, prendre sa revanche sur la courte élimination concédée deux ans plus tôt dans la campagne de qualification à la Coupe du Monde. Le 10 mars, le Brésil entre sur la pelouse du Monumental, le jeune Pelé fait ses premiers pas dans le Sudamericano, future Copa América. La Blanquirroja est alors l’une des plus belles de son histoire, emmenée par Miguel Loayza, Juan Joya, Alberto “Toto” Terry et Juan Seminario. Mais ce Brésil-là est d’abord trop fort. Didi ouvre le score en milieu de premier acte, le jeune Pelé ouvre son compteur et semble tuer le match d’entrée de second acte. Mais le Pérou de dépose pas les armes, à l’image de Joya qui sur un débordement, fonce sur les photographes pour éviter que le ballon ne sorte, et revient dans le match, le jeune Juan Seminario s’offre un doublé qui permet à la Blanquirroja de décrocher un résultat nul, le Brésil ne mesure pas encore l’importance de ce point perdu en cours de route.

Car la suite n’est qu’une longue série de victoires. Le Chili en prend 3 (doublé de Pelé), la Bolivie quatre (Pelé ouvre le score) et se prépare à retrouver son bourreau, celui qui a tout changé 9 ans plus tôt, l’Uruguay. A peine arrivés à Buenos Aires avant le début de la compétition, les brésiliens avaient prévenu, cette fois-ci, ils rendront coup pour coup aux uruguayens. Ils ne mesuraient alors pas à quel point leurs propos allaient être prémonitoires.

Le match est dur, la rivalité entre les deux pays vivace, la tension prend souvent le dessus sur le football. A la trentième minute, alors que le score est encore nul et vierge, le match bascule. Almir va à la lutte avec Leivas et William Martinez et touche le portier uruguayen à l’estomac, il déclenche alors une tornade. Dans le livre “Didi – O gênio da Folha-Seca”, le génial milieu brésilien raconte : « Tout est allé très vite. Quand Bellini est tombé, Escalada et deux autres se sont précipités sur lui, j’ai cru qu’ils allaient le tuer. Alors j’ai foncé et sauté au milieu de la mêlée. Mes chaussures ont fait des dégâts et Escalada a poussé un fort gémissement. C’était suffisant pour permettre à Bellini de récupérer. » La bagarre est immense, interminable. Le public entre sur le terrain, certains photographes prennent part à ce pugilat géant, le compte-rendu publié dans La Prensa le lendemain raconte qu’un photographe a brisé son appareil photo sur un uruguayen, la police finit par intervenir, les coups volent pendant près de 25 minutes avant que le match finisse par reprendre avec quatre joueurs en moins sur le terrain (deux de chaque côté). L’histoire retiendra alors qu’après avoir été mené au score (but d’Escalada), le Brésil se trouvera un héros, Paulo Valentim, auteur d’un triplé. La Seleção s’impose 3-1, ce sera le seul match dans lequel Pelé ne marquera pas.

L’astre brésilien retrouve le chemin des filets en s’offrant un triplé face au Paraguay, après cinq matchs, le Brésil se retrouve deuxième à un point de l’Argentine, le point perdu face au Pérou. Le 4 avril 1959, le Monumental est donc prêt pour une finale pour le titre entre les deux grands rivaux. L’Argentine peut se contenter du nul quand le Brésil doit absolument s’imposer pour décrocher le titre. Une tête de Pizutti, l’homme qui quelques années plus tard transformera le Racing (lire Quand le Racing apporte le football total en Argentine) changera l’histoire. Pelé égalise en seconde période mais jamais le Brésil ne parvient à prendre l’avantage. L’Argentine décroche le titre, le champion du Monde est au tapis, il termine second.

 

Dernière Copa pour le Roi

Meilleur buteur du tournoi pour sa première participation, Pelé ne sait pas encore qu’il ne reviendra jamais disputer un Sudamericano. L’année 1959 marque le début d’une période sombre pour la grande compétition du continent. En fin d’année 1959, l’Equateur obtient l’autorisation d’organiser un deuxième Campeonato Sudamericano. La Bolivie, le Chili, la Colombie et le Pérou refusent de le disputer, le Brésil décide alors d’envoyer une sélection du Pernambuco pendant que Pelé s’amuse lors du Paulista avec son Santos. Quatre ans plus tard, l’organisation du tournoi est confiée à la Bolivie. En plein conflit autour du fleuve Lauca (lire L'autre bataille du Pacifique), le Chili refuse de se rendre chez son ennemi. L’Argentine et l’Uruguay affichent leur désaccord avec le choix de La Paz comme ville hôte de l’épreuve, l’Albiceleste se passe de ses meilleurs joueurs, la Celeste refuse tout simplement de participer. Le Brésil décide également d’envoyer une équipe bis, Pelé n’est donc pas appelé, alors que la Bolivie décroche son premier titre, il dispute avec Santos le Torneo Río – São Paulo et la Taça Brasil. Quatre ans plus tard, le Brésil refuse de participer à l’édition uruguayenne, cette dernière édition des années soixante met en péril l’avenir de l’épreuve qui disparait pendant 8 ans avant de resurgir sous un autre nom, Copa América.

Lorsqu’elle renaît en 1975, le Roi Pelé est au crépuscule de sa carrière. Définitivement entré dans la légende du football brésilien et mondial lors de la Coupe du Monde 1970 qui sacre définitivement son Brésil et marque l’imaginaire d’une génération, le Roi a pris sa retraite internationale en 1971 et, à 34 ans, a quitté son pays pour terminer sa carrière aux Etats-Unis. Alors qu’il vient de signer son dernier contrat au Cosmos, la Copa América reprend forme, l’une des plus grandes légendes du football mondial ne l’aura jamais gagnée, ayant inscrit huit buts lors de son unique participation, la faute à une époque trouble aujourd’hui bien lointaine.

Nicolas Cougot
Nicolas Cougot
Créateur et rédacteur en chef de Lucarne Opposée.