Le 8 juillet 1990, le monde du football n’a d’yeux que pour l’Italie et l’Olimpico de Rome, lieu de la finale de la quatorzième Coupe du Monde. Le match qui va pousser Diego a annoncer sa retraite internationale.

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Souffrance et bouteilles empoisonnées

Forte de son deuxième titre en trois éditions, l’Argentine arrive en Italie en terrain conquis. Il faut dire que son meneur de jeu vient d’offrir un nouveau titre à son Napoli, il est chez lui, dans une Italie qu’il a mise à ses pieds. Mais Diego n’arrive pas dans les meilleures dispositions. Marqué physiquement par un championnat qui lui a laissé une cheville au volume doublé, touché par un ongle incarné qui l’oblige à jouer avec des crampons trop petits, miné par une hygiène de vie qui commence à défaillir, il va disputer toute la compétition sous infiltration, ne pourra alors pas peser comme il a pesé quatre ans plus tôt. Et avec lui, l’Argentine vacille.

Le premier tour est une souffrance débutée par une défaite surprise en ouverture face aux Lions Indomptables qui a d’ores et déjà condamné Bilardo, Julio Grondona cherchant alors en coulisse son successeur. La légende Nery Pumpido se blesse dès le deuxième match face à l’URSS, jambe brisée par son coéquipier Julio Olarticoechea. C’est le jeune Sergio Goycochea qui s’installe dans les buts, il changera ensuite le cours de l’histoire. Le mauvais premier tour de l’Albiceleste (victoire face à l'URSS, mach nul face à la Roumanie) lui offre un huitième de finale de feu face au Brésil, l’ennemi de toujours. Ce nouveau Brésil qui a enterré le Joga Bonito et à qui les anciens annoncent une élimination précoce au premier réel obstacle. Ce 24 juin 1990 au Stadio Delle Alpi, le Brésil domine sans jamais marquer et va finir par tomber sur l’une des rares inspirations d’un D10S argentin pendant cette Coupe du Monde, une chevauchée qui offre à Caniggia le seul but du match. Depuis, ce match n’a pas quitté les mémoires brésiliennes. Outre l’élimination, il y a le contexte, l’adversaire et les polémiques qui s’en suivirent. Branco accuse les argentins de l’avoir intoxiqué avec de l’eau frelatée pendant le match. Diego et les siens l’avoueront 15 ans plus tard : il y avait des somnifères dans l’eau distribuée aux adversaires brésiliens. 24 ans plus tard, les supporters argentins débarqueront au Brésil pour raviver ce souvenir (lire Brasil decime que se siente). Le mal est fait, l’Argentine a dévoilé sa face sombre, elle est en quarts de finale.

L’Argentine est alors opposée à une Yougoslavie qui compte dans ses rangs une myriade de talents, de Stojković à Sušić en passant par Vujović, Savićević ou encore le jeune Prosinečki. Diego déclarera en fin de rencontre : « je ne pensais pas que ce serait si difficile. Au Mexique, tout était bien plus facile. » Car son Argentine ne domine plus, ne maîtrise plus son sujet. Isolé, Diego s’en remet à des fulgurance mais l’équipe à qui Bilardo avait promis « de faire écraser l’avion du retour » si elle ne passait pas le premier tour, est dans la lutte constante. Elle souffre, Burruchaga se voit logiquement refusé un but marqué de la main, tout se jouera aux tirs au but desquels émergera le nouveau héros de l’Argentine : Sergio Goycochea. Stojković trouve la barre, Maradona rate le sien, Goycochea croise son capitaine et lui annonce qu’il arrêtera deux des trois suivants, chose qu’il fera face  à Brnović et Hadžibegić. L’Argentine est en demie, le San Paolo attend Diego.

Le dilemne du San Paolo

La demi-finale marquera un tournant décisif. Car si Diego va évoluer dans son jardin, l’adversaire n’est autre que l’Italie. Pour le peuple napolitain, le dilemme est grand, il doit choisir entre son Dieu et son pays. Alors Diego tente de convertir, encore et toujours. « Je n’aime pas le fait que désormais tout le monde demande aux Napolitains d’être Italiens, de soutenir l’équipe nationale. Naples a toujours été marginalisée par le reste de l’Italie. C’est la ville qui a le plus souffert de racisme. Pendant 364 jours dans l’année, vous [les Napolitains] êtes considérés comme des étrangers dans votre propre pays, aujourd’hui, on vous demande de faire ce qu’il faut, de soutenir la sélection nationale. Moi, je suis un Napolitain 365 jours durant. » Malheureusement, cela ne marche pas. Côté Italien, la nouvelle idole de cette compétition, Toto Schilacci, sicilien réplique immédiatement éteint un feu que Diego n’est pas parvenu à allumer : « Ce dernier mois, je suis devenu le symbole de la réunification antiraciste de ce pays, c’est la part que je préfère dans une Coupe du Monde. » Diego ne parvient à diviser Naples de l’Italie mais Naples ne peut non plus délaisser son Dieu. Ce 3 juillet au San Paolo, on peut alors apercevoir des banderoles « Diego, Naples t’aime mais l’Italie est notre pays, » l’hymne national argentin est applaudi.

Le match est à l’image de la Coupe du Monde, serré, âpre, disputé. L’Italie ouvre le score par son sicilien, l’Argentine finit par égaliser grâce à Caniggia, tout se jouera aux tirs au but. Cette séance déchire les cœurs napolitains, pousse le dilemme jusqu’à son paroxysme lorsque son Diego transforme le tir du 4-3, celui décisif qui envoie l’Argentine en finale, la machine Goycochea stoppant ceux de Donadoni et Serena. L’Argentine élimine l’Italie, Diego retrouve une finale, il vient s’attirer la haine de tout le reste du pays.

Cauchemar romain

Le 8 juillet, l’Olimpico de Rome est un enfer, un chaudron en ébullition qui n’a qu’une envie, voir l’Argentine perdre. « Psychologiquement usés » d’après Goycochea, véritable héros du peuple albiceleste sur cette Coupe du Monde, touchés par les absences de Batista, Giusti, Olarticoechea et Caniggia, les Albicelestes ne font plus peur. Pire, devenus ennemis d’une nation, ils entrent alors en terrain hostile, dans un climat totalement délétère acquis à la cause allemande. Cette Argentine aux origines italiennes des Maradona, Dezotti, Caniggia,Ruggeri, Troglio, Giusti et autres Bilardo est mise à mal. Les huées sur l’hymne national sont la goutte d’eau qui fait déborder le vase. En mondiovision, poing serré, Diego Maradona insulte l’Olimpico, insulte cette Italie qui l’a renié. Il est déjà sorti du match.

Car cette finale, l’Argentine ne fera rien pour la gagner, incapable de produire quoi que ce soit, incapable de reposer sur les épaules de son astre aussi usé physiquement que psychologiquement. Alors l’Allemagne domine, l’Argentine plie mais ne rompt pas. Jusqu’à l’exclusion de Monzón après l’envol de Klinsmann, jusqu’au penalty tant contesté sur Völler, jusqu’au deuxième rouge en toute fin de match et au dernier avertissement pour Diego. Dix ans plus tard, Joao Havelange déclarera que ce penalty sifflé était sévère. Qu’importe. L’Allemagne est championne du monde parce qu’elle aura essayé, la stratégie attentiste de Bilardo est un échec, Maradona était seul dans cette finale. Seul contre tous.

Ses larmes font le tour de la planète, jamais il ne pardonnera à Edgardo Codesal, l’arbitre mexicain, jamais il ne pardonnera à Julio Grondona qu’il accusera ensuite de trahison, ayant « livré l’Argentine comme le Chili nous a livrés pendant les Malouines ». Quelques heures plus tard, la blessure de Diego est telle qu’il annonce devant des médias médusés « c’était la dernière fois que je portais le maillot argentin. » Il reviendra pourtant aux USA. 26 ans plus tard, un autre numéro 10 argentin blessé par une défaite fera la même annonce.

Nicolas Cougot
Nicolas Cougot
Créateur et rédacteur en chef de Lucarne Opposée.