Agustín Suárez Doreski est l’une des voix les plus célèbres du football bolivien. Passé par plusieurs programmes de radios, il est désormais l’un des chroniqueurs phare du programme Super Sport 365 diffusé quotidiennement sur PAT TV, l’une des plus grandes chaînes du pays. En parallèle, on peut le retrouver aux commentaires des matchs de Bolívar sur l’application officielle du club, Bolívar TV. À quelques heures de la rencontre face aux Bleus et à deux semaines du début de la Copa América, l’Argentin nous livre sans langue de bois son sentiment sur le football bolivien.

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Le sélectionneur Eduardo Villegas a été nommé à la tête de la sélection il y a près de six mois. Au-delà des résultats, que penses-tu de ses débuts ?

Je crois que la décision de la fédération d’engager Eduardo Villegas comme sélectionneur était la plus appropriée. Il s’agit d’un entraîneur qui a l’expérience du football local, il connaît très bien la situation du football bolivien et maîtrise ses points forts et ses points faibles. Je n’attendais pas de grands résultats pour ses débuts (NDLR : nul face au Nicaragua et défaites face à la Corée du Sud et au Japon). J’imaginais que les résultats allaient être négatifs au niveau du score, mais je retiens surtout le fait d’avoir pu affronter des sélections supérieures physiquement, tactiquement et, surtout, avec un niveau de préparation différent.

J’ai le sentiment que Villegas a instauré un climat plus sain autour de cette sélection. Aujourd’hui on ne parle plus de faits divers comme avec les précédents sélectionneurs. Tu penses qu’il arrivera à créer une unité nationale derrière cette équipe ?

Je suis d’accord. Le sélectionneur précédent a créé de l’écœurement et a développé un climat toxique vis-à-vis des supporters. Même si je pense que Villegas ne bénéficie pas du soutien de 100% du public, c’est un entraîneur discret qui ne fera pas parler de lui avec des scandales extra-footballistiques. On espère que les résultats accompagneront son processus et que les Boliviens s’identifieront à l’équipe nationale. Malgré tout, le supporter bolivien veut surtout des résultats, et rapidement. Je pense que nous devons être patients.

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Depuis le début de sa carrière, c’est un entraineur qui donne la priorité à la défense. Comment jouera la Verde face aux Bleus ?

Contre la France je n’ai pas de doute, la Bolivie jouera pour défendre. Il n’y a pas d’autres alternatives, il s’agit d’un combat entre David et Goliath. L’objectif sera d’être discipliné au marquage, de ne pas prendre de risques inutiles et, surtout, de ne pas subir une humiliation mondiale. Ce qui ne fait aucun doute, c'est que Villegas et son équipe sauront savourer ce match contre les champions du monde.

Que peut espérer la Bolivie de cette rencontre ?

Je crois que le pays a conscience que ce sera un match historique. Tu n’as pas souvent l’occasion de jouer contre de tels adversaires et encore moins face au dernier champion du monde. Pour la Bolivie, l’ensemble du match sera un apprentissage. Il faudra s’adapter à une rapidité, une précision et qualité de jeu qui est très loin de ce que l’on peut trouver dans notre championnat. Ce genre de rencontre t’apprend énormément de choses, peu importe à quel point le résultat peut être négatif.

Au niveau des clubs, entre soupçons de corruption, salaires impayés, débordements de supporters et le décès d’un arbitre sur le terrain, la Bolivie connaît un début d’année difficile. Sans parler des résultats des équipes en coupe continentale. Le pays est-il devenu le mauvais élève du continent, derrière le Venezuela ?

Je rejoins le fait que le football bolivien traverse l’un de ses pires moments, dans tous les aspects. Ça va du sportif, avec des résultats négatifs au niveau continental, au dirigeant, avec des disputes entre différentes parties qui ne permettent pas au football de progresser. Aujourd’hui, la Bolivie est de loin le pays qui a le championnat le plus faible. Son football est lent, sans rythme, avec des stades vides, des joueurs « vedettes » qui ont près de 40 ans et des jeunes qui arrivent en équipe première sans entraînement ou soutien. Le tout est encadré par des dirigeants flirtant avec l’amateurisme. Le décès de l’arbitre Hurtado en plein match montre la précarité de notre football qui ne connaît pas les protocoles et les techniques pour sauver une vie. Les joueurs, entraineurs et les arbitres n’ont pas d’assurance ou de représentation syndicale pour les appuyer. Il y a des dirigeants « hinchas » qui aspirent plus à la gloire personnelle qu’à piloter un club de manière institutionnelle. Les hautes instances de la fédération sont trop accrochées à leur fierté ce qui empêche de résoudre les vrais problèmes de notre football.

La solution passe forcément par la formation. Mais est-ce que la Bolivie possède des éducateurs de qualités ? Tu trouves qu’il y a une vraie volonté de faire bouger les choses ?

Il y a peu de formateurs à vocation pédagogique en Bolivie. Malheureusement, la formation est un objectif qui est constamment reporté par les dirigeants. Ils investissent en recrutant des joueurs étrangers qui ont un niveau discutable et ne créent aucune dynamique vis à vis des catégories jeunes. À l’exception de clubs comme Blooming et Aurora, ou dans une moindre mesure Bolívar, je ne pense pas qu’il y ait une volonté réelle de changer les choses dans notre football.

Thomas Allain
Thomas Allain
Breton exilé à La Paz. Correspondant en Bolivie pour Lucarne Opposée