Dans l’ombre des géants connu aux quatre coins du monde, il est un club, situés bien loin de Santiago, qui aura mis moins de quarante ans pour s’installer à leurs côtés. Le Club de Deportes Cobreloa n’a pas seulement fait éclore les grands talents actuels du football chilien, il en a écrit l’une de ses plus belles pages.

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L’histoire de Cobreloa commence début 1977. Le 7 janvier, après une importante mobilisation de la cité de Calama, des ouvriers du cuivre, les commerçants et autres habitants de la région, le Club de Deportes Colbreloa fait son entrée dans le football chilien. Au cœur du désert d’Atacama, sa création est la conclusion de vingt ans de tentatives de développement du football.

Un long combat

Dans les années cinquante, la communauté sportive de Calama souhaite offrir une équipe professionnelle à une région où le football est la principale distraction des mineurs depuis le début du siècle. En 1959, Calama était champion du Chili du football amateur et ce titre avait alors catalysé ce désir de professionnalisation. Soutenu par la CODELCO (Corporación Nacional del Cobre de Chile), entreprise minière qui exploite le cuivre, le Club Sports Cóndor est le premier à tenter sa chance en 1962. Malheureusement pour lui, sa demande se voit rejetée par la fédération qui estime le club alors trop loin de Santiago et lui impose de s’installer dans la capitale s’il souhaite réellement découvrir le sport professionnel. Cinq ans plus tard, le club est autorisé à présenter sa candidature mais, alors que ses dirigeants voyagent à Santiago pour y rencontrer le président de la fédération, il est de nouveau mis de côté pour des raisons d’éloignement géographique. La lutte pour le professionnalisme ne fait que commencer à Calama.

En 1973, le coup d’État change profondément le pays, la politique économique et sportive de la région de Calama mais ne parvient pas à impacter la volonté de toute une région. Le Deportes El Loa prend le relais, toujours soutenu par la CODELCO, unifiant les villes de Calama et Chuquicamata. El Loa joue contre des équipes de Primera División, organise des amicaux contre la sélection de Cuba, tente de fusionner avec Santiago Morning qui traverse la pire période de son histoire, fusion qui échoue suite aux demandes de déménager la nouvelle entité à Calama. Le football reste alors encore centralisé, semble inaccessible à cette région d’Atacama.

Plusieurs facteurs vont néanmoins concourir à la naissance du premier club professionnel de la région. Le Deportivo Antofagasta, situé plus au Nord, traverse alors à son tour une crise économique et vient demander le soutien financier des industries de cuivre de la région. Mais la tentative d’union capote immédiatement. Elle laisse l’idée que l’heure est venue de tenter de nouveau sa chance. D’autant que la Junte Militaire, consciente de la force de la mobilisation et surtout du pouvoir de distraction que peut apporter football, met en œuvre une politique d’expansion des clubs qui s’étend jusqu’au nord du pays. Le 7 janvier 1977 à 20h15, l’annonce fait crépiter les transistors de toute une région : le professionnalisme va faire son retour dans le Nord pour la première fois depuis onze ans.

Débuts tonitruants

Plus de deux décennies de combat font qu’on n’aime pas perdre de temps. Dès sa création, le Club Deportes Cobreloa (association de Cobre et de la région de Loa à laquelle Calama appartient) fonce. Attirant déjà de grands joueurs, à l’image de Chamaco Valdès, l’un des hommes du Colo-Colo de 1973, qui arrive au club pour sa première saison et l’aide à accéder directement à la Primera División après une Liguilla de fin de saison. Là encore, le club attire des géants : Guillermo Yávar, ancien du Ballet Azul de la U des années soixante, Mario Soto, ancien Hispanos champion 1974 et finaliste de la Libertadores 1975, ou encore la légende uruguayenne Ladislao Mazurkiewicz. Dès son arrivée dans l’élite, il occupe les premières places. Deuxième en 1978, deuxième en 1979, Cobreloa manque à chaque fois la marche Libertadores au terme d’une Liguilla perdue. C’est avec l’arrivée de Vicente Cantatore que le club franchit ce palier. Embarqué dans un long mano a mano avec l’Universidad de Chile, Cobreloa réussit un exploit, celui de conserver son invincibilité à domicile. Des certitudes acquises à Calama, la forteresse restera imprenable pendant quatre-vingt-onze matchs, les Loinos vont en faire une force, celle qui fera craquer la U dans le final. À égalité de points avec le géant chilien au coup d’envoi de la 33e journée, Cobreloa s’offre une balle de match en s’imposant à Iquique quand la U est accrochée par Lota Schwager. La dernière journée est celle de la vuelta olimpica du petit club du nord. La U s’effondre à domicile, Cobreloa écrase Lota Schwager. Trois ans après sa création, le club est déjà sacré champion du Chili. Il connaît alors la plus grande épopée de son histoire.

Le silence du Nacional

Champion 1980, Cobreloa découvre donc la Copa Libertadores en 1981, première compétition continentale des Zorros del Desierto comme on les surnomme alors. À l’époque, la Libertadores se divise en deux phases de groupes. Une première qui élit six équipes alors réparties en deux groupes de trois dont seul le vainqueur décroche la finale. Au premier tour, Cobreloa sort invaincu devant les voisins de la U et deux Péruviens, Sporting Cristal et Atlético Torino. Leur histoire, ils l’écrivent au second tour. Car les Loinos se retrouvent dans un groupe injouable où ils font face à Peñarol et au Nacional, tenant du titre. Mission impossible pour bien des observateurs. Mais, nous l’avons dit, deux décennies d’attente font que Cobreloa veut aller vite. Après le nul entre les deux géants uruguayens, Cobreloa affronte en premier Nacional au Centenario de Montevideo et se retrouve mené au score en début de seconde période. Mais alors qu’on pense que le club chilien va couler, l’impensable se produit. Óscar Muñoz et el Trapo Olivera retournent le match. Quelques jours plus tard, l’équipe naranja, décrite comme « sans figure, sans autre stratégie que celle de se battre aux quatre coins du terrain » s’offre Peñarol. Leader après le voyage en Uruguay, Cobreloa enfonce le clou dans sa forteresse de Calama en atomisant les Carboneros et s’offrant un nul face au champion sortant. Pour leur première en Libertadores, les Loinos sont en finale, ils y affrontent alors le Flamengo de Zico, qualifié après l’un des matchs les plus scandaleux de l’histoire face à l’Atlético Mineiro (lire 21 août 1981 : Flamengo - Atlético Mineiro, le vol du siècle).

À l’aller, Cobreloa s’incline 2-1, battu par un Zico intenable. Privé de son stade de Calama, la CONMEBOL obligeant les finales à se disputer dans des stades de capacité supérieure à 30 000 places, Cobreloa s’impose 1-0 sur un coup franc de Merello. Cette finale de 1981 marque les esprits, fait naître des légendes. Zico parle de « victoire du football contre la violence » au terme du match retour, entretenant le mythe de Mario Soto et sa pierre dans la main avec laquelle il frappait les joueurs brésiliens (que les Chiliens réfutent bien évidemment), rappelant que Lico et Adilio avaient quitté le terrain le visage en sang, la légende voulant que même Pinochet, alors au stade, s’était offusqué d’un tel climat de violence. Sur le terrain, malheureusement pour les Chiliens, la règle du but à l’extérieur n’existe pas à l’époque, la victoire au Nacional oblige les deux formations à se retrouver pour un troisième match à Montevideo duquel Zico sort vainqueur s’offrant un autre doublé. Lors du troisième match, celui qui donne le titre à Flamengo, Paulo César Carpegiani fait entrer Anselmo sur le terrain avec pour unique consigne que de cogner Soto avant de se faire expulser (pour plus de détails sur le premier titre de Flamengo, lire 23 novembre 1981, Flamengo remporte sa première Copa Libertadores).

L’année suivante, Cobreloa retrouve la Libertadores et, fort de son expérience, retrouve encore la finale. Cette fois, l’adversaire a beau être un géant, il reste une connaissance qu’il avait surclassée l’année précédente, Peñarol. Mario Soto l’affirme d’ailleurs avant la finale, Cobreloa sera champion. D’autant que le nul vierge ramené du Centenario à l’aller laisse augurer d’une soirée histoire pour la deuxième finale au Nacional. Il ne fait alors aucun doute que Cobreloa va devenir le premier club chilien à remporter une Libertadores. Aux joies et aux cris d’espérance du début de match, les hinchas naranja ne retiendront que le silence. Le silence glaçant d’un Nacional frappé en plein cœur, comme la défense des Loinos, abandonnée un instant par Soto monté aux avant-postes, sur un centre de Ramos repris par Morena. Car à la 89e minute, au moment où les hinchas locaux faisaient sonner leur traditionnelle sirène de fin de rencontre, Peñarol va inscrire le seul but de la partie, ne laissant alors aucune chance au chronomètre pour que le petit club de Calama ne puisse même espérer une miraculeuse égalisation. Le 30 novembre 1982, tout un peuple orange enterre ses rêves, plus jamais Cobreloa ne parviendra à de tels sommets continentaux.

Reste que Cobreloa continuera de briller au pays pendant quatre saisons (champion en 1982, 1985 et 1988, vainqueur de la Coupe 1986), avant de revenir régulièrement rappeler qu’il a désormais sa place dans le paysage chilien. Champion en 1992, le club attend ensuite plus de dix ans pour retrouver les joies d’un titre avant d’entamer son déclin. Car outre l’embellie de 2003/2004 et les trois tournois remportés quasi-consécutivement, outre l’éclosion de futurs astres nommés Alexis Sánchez, Eduardo Vargas ou encore Charles Aránguiz, futurs héros chiliens, les Loinos ne vont cesser de descendre pour finalement connaître la première relégation de leur histoire en 2015, condamnés à la Primera B sur tapis vert. Il n'a depuis pas réussi à s'en sortir, passant parfois proche de la promotion mais rentrant aussi dans les rangs. Mais qu’importe, le petit club de Calama, devenu en moins de quarante ans, le quatrième grand du pays, le plus titré en dehors de Santiago, reste la fierté de toute une région qui l’a tant attendu pour ensuite connaître ses plus grandes joies.

Nicolas Cougot
Nicolas Cougot
Créateur et rédacteur en chef de Lucarne Opposée.