Géant parmi les géants du continent, le Club Nacional de Football est l’autre immense club du championnat uruguayens aux côtés de son meilleur ennemi, Peñarol. À l’occasion de son anniversaire, retour sur plus d’un siècle de légendes.
Le Club Nacional de Football est fondé le 14 mai 1899, par un groupe d'ami souhaitant un club local fort, un club de la « nation uruguayenne ». Il faut dire que le football uruguayen de l'époque est international, ce que l'on retrouve au sein de l'AUF, fondé quelques mois plus tard le 30 mars 1900. Les clubs participant à la fondation sont principalement britanniques (Albion FC est dirigé par des Anglais, le CURCC appartient à une entreprise britannique, l'Uruguay Atheltic est composé de nombreux joueurs anglais) auxquels a été ajoutée une équipe allemande, le Deutscher Fussball Klub. Le club choisit comme couleurs celles de José Artigas, héros de l'indépendance uruguayenne (malgré son exode au Paraguay) : le rouge barrant le bleu et le blanc, le sang de l'indépendance couvrant la séparation des Républiques Cisplatines (aucun lien avec le drapeau français donc, même si celui-ci est souvent brandi par les supporters du Nacional, les couleurs étant les mêmes). Le logo du club est tissé sur la poche de la chemise, donnant aux joueurs le surnom de « bolso », poche.
Le Club Nacional de Football ne participe pas au premier championnat, n'étant pas encore prêt, et ne rejoint l'AUF et ses quatre fondateurs que pour la deuxième édition du championnat, en 1901. Rapidement, le club connait un succès sportif et populaire, terminant deuxième de son premier championnat, puis gagnant le suivant. Les débuts du championnat uruguayen sont très versatiles, avec des champions comme River Plate FC ou le Montevideo Wanderers mais Nacional se trouve déjà face à un adversaire, l'autre club uruguayen, formant un couple qui ne se quittera plus : le Central Uruguay Railway Cricket Club, qui deviendra plus tard le Club Atlético Peñarol. Les deux clubs sont ceux ayant le plus de succès, mais beaucoup d'éléments les opposent au départ, principalement sur leur indépendance : Peñarol est le club d'une entreprise, britannique, dans lequel de nombreux joueurs sont étrangers, alors que Nacional est le club de l’intelligentsia uruguayenne, premier club se voyant comme local, criollo. Rapidement, la violence se mêle à l'opposition, avec des clásicos qui dégénèrent dès les années 1904, avec jets de pierres sur les trains des supporters, violence entres joueurs, envahissements de terrains. Les deux ne se quitteront plus, s'aimant d'un amour toxique, mais essentiel.
15 juillet 1900 : Nacional – Peñarol, la naissance du clásico total
Des joueurs commencent à sortir du lot et à devenir des idoles dès le début du siècle. Tout d'abord, les frères Céspedes, Amílcar, Bolívar et Carlos. Originaires de Melo, pas très loin du Brésil, puis ayant déménagé à Montevideo, les frères font partie des fondateurs du club, de ses premiers joueurs. Leur père faisait partie de la direction (il en sera président en 1907). Les trois intègrent l'équipe des premiers championnats jusqu'en 1905, obtenant les deux premiers titres nationaux du club, gagnant les premiers clásicos. En 1903, le premier match international est organisé entre l'Argentine et l'Uruguay. Pour représenter l'Uruguay, on envoie l'équipe « locale », l'équipe du Nacional. Les trois frères participent à la victoire de l'Uruguay trois buts à deux, avec deux buts de Carlos et un de Bolívar (Amílcar ne pouvant pas marquer, il était gardien de but). Tragiquement, et comme souvent à cette époque, le destin les attend au bout du chemin. En 1905, une terrible épidémie de variole s'abat sur l'Uruguay. Bolívar et Carlos vont y succomber, le 9 et 30 juin respectivement, à l'âge de 22 et 21 ans. Seul le grand frère survit et continuera de jouer au sein du club. Aujourd'hui encore, le centre d'entraînement porte leur nom, celui des frères Cespedes.
Quelques années après, un joueur, milieu de terrain, va aussi devenir une idole du club en obtenant de nombreux titres : Abdón Porte. Le joueur rejoint Nacional en 1911, et en devient rapidement capitaine, organisant le jeu, délivrant ses passes. Il joue au club sept ans, obtenant la bagatelle de quatre championnats ainsi que de nombreuses coupes internationales qui se jouaient à l'époque entre l'Uruguay et l'Argentine, tel la coupe Chevallier Boutell ou la coupe Cusenier. À l'apogée de sa carrière, il gagne en Uruguay le deuxième tournoi sud-américain, qui deviendra plus tard Copa América. Mais en 1918, le club nomme un autre joueur Alfredo Zibechi, pour jouer au poste de Porte, qui sera donc relégué sur le banc à une époque où il n'y a pas de remplacement, ou le onze est « nommé » dès le début de la saison. Le joueur vit mal cette situation, tombe en dépression. Après un match du club le 5 mars de cette même année, le joueur se rend en trolley au Parque Central et se tire une balle dans le cœur. Une tribune porte encore aujourd'hui également son nom.
Abdón Porte, le sang du Nacional
Heureusement, la suite est moins mortelle. Nacional, toujours aussi efficace sur le plan national, fournit de nombreux joueurs aux sélections uruguayennes championne d'Amérique du Sud, puis championne olympique en 1924 et 1928, puis remportant la Coupe du Monde de 1930. En 1925, le club effectue une tournée avec de nombreux joueurs champions olympiques en Europe, jouant en France, en Espagne, en Italie notamment. Neuf joueurs de Nacional sont champions du monde en 1930, club apportant le plus de champions, dont Héctor Scarone, José Luis Andrade, ou José Pedro Cea, buteur en finale. Héctor Scarone a rejoint l'équipe dans la foulée de son frère, qui ne voulait pas aller manger de la merde en jouant du côté de Peñarol, ce qui donnera le surnom de Manya pour Peñarol. La Coupe du Monde de 1930 fait aussi que le stade du Nacional, le Gran Parque Central, construit pour la première fois en 1900, devient le « premier stade mondialiste », accueillant l'un des deux premiers matchs de la Coupe du Monde en concomitance avec le stade Pocitos (ce dernier a depuis disparu). Le 13 juillet 1930, les États-Unis battent la Belgique trois à zéro.
En 1938, le club accueille un jeune attaquant qui jouait jusqu'à présent à Boca Juniors, de l'autre côté du Rio, Atilio García. Grâce à lui, Nacional gagne cinq championnats d'affilé, un quinquenio, le « quintuplé d'or » durant lequel l'attaquant argentin naturalisé uruguayen à une importance capitale étant décisif à tous les matchs, devenant meilleur buteur du championnat durant chaque saison de ce quintuplé. En ajoutant la saison précédente et la suivante ou Peñarol est champion mais García meilleur buteur, cela fait sept championnats d'affilé au terme desquels l'attaquant est meilleur buteur. Il quitte le club en 1950, après avoir gagné un huitième titre avec le club. Ses statistiques sont hallucinantes, comparativement aux autres attaquants de son époque : en douze ans au club, il cumule quatre-cent soixante-quatre buts en trois cents quatre-vingt-deux matchs. Une tribune du Gran Parque Central porte son nom. Avec le maillot de l'Uruguay, il participe au championnat sud-américain de 1945, mais, en fin de carrière, n'est pas appelé pour 1950. De Nacional, un joueur sort du lot dans l'équipe championne du monde 1950 (dans laquelle les joueurs de Peñarol ont repris la main, contrairement à 1930), Schubert Gambetta. Le défenseur central est intraitable, sécurise l'arrière garde de son compère Obdulio Varela.
La suite des années cinquante et soixante est plutôt à l'avantage de Peñarol. Les Carboneros gagnent également un quintuplé dans les années cinquante, égalant leur adversaire, et domine les débuts de la Copa Libertadores au début des années soixante. Nacional y joue bien une première finale en 1964, perdue contre Independiente, puis une autre en 1967, perdue ce coup-ci contre Racing. En 1969, c'est Estudiantes qui barre en finale la route du titre pour Nacional. Il faut attendre 1971 pour voir le club emporter le trophée continental pour la première fois contre ce même Estudiantes, dans une période de 1969 à 1972 durant laquelle le club remporte quatre titres nationaux. Le onze de Nacional est composé de l'international brésilien Manga dans les cages, d'une attaque comprenant le tout jeune Luis Cubilla (qui regagnera la coupe en 1980 en tant qu'entraîneur), Julio César Morales, et surtout l'argentin Luis Artime. Le club remportera deux fois de plus la Libertadores en 1980 contre Internacional donc puis en 1988 contre Newell's. De ces trois Libertadores, Nacional profite d'avoir 100% d'efficacité pour gagner trois coupes intercontinentale contre les grecs du Panathinaikos en 71, contre Nottingham Forest en 1980 puis le PSV Eindhoven en 1988.
Cette finale de coupe contre le club néerlandais est un des grands gestes du football uruguayen. Le match se déroule à Tokyo le 11 décembre, et le gardien Jorge Seré est obligé à de nombreux exploits pour assurer le match nul suite à un premier but d'Ostolaza en début de match et l'égalisation néerlandaise. Le PSV est puissant à l'époque, avec des joueurs tel que le brésilien Romário, Ronald Koeman en défense, Eric Gerets en capitaine. En prolongation, Ronald Koeman donne l'avantage au PSV à la 110e minute et l'on pense alors que Nacional avait craqué, que c'en est fini. Sur un ultime corner à la 120e minute, toute l'équipe monte. Ostolaza place sa tête au deuxième poteau, un Néerlandais renvoie la balle mais depuis son but selon l'arbitre. Égalisation, tirs au but. À l'uruguayenne, à la fin des fins, Nacional s'en sort. Les tirs aux buts seront éternels, mais au dixième tir, avec un score final de 7 à 6, c'est bien Nacional qui l'emporte, champions du monde pour une troisième fois. Alors qu'il est six heures du matin sur place, Montevideo peut exulter.
La suite est plus compliquée, avec un nouveau quintuplé pour Peñarol dans les années 90, et le déclin global des Uruguayens en coupe continentale suite à l'arrêt Bosman qui a purgé les clubs de leurs meilleurs joueurs, partant à l'étranger trop jeunes. Dans l'équipe de la Coupe du Monde quatrième en Afrique du Sud, de nombreux joueurs sont formés au club, dont le plus fier d'entre eux, Luis Suárez, mais aussi le capitaine Diego Lugano, Mauricio Victorino, le Loco Abreu ou Sebastian Fernández. Malgré tout, le club continue d'enquiller les titres au niveau national avec un total de quarante-six championnats, le dernier en 2016.