Il n'existe qu'un seul phénix à la fois, il vit très longtemps et passe son temps à lutter pour ne pas descendre. Le club le plus titré de la deuxième division uruguayenne a vu le jour le 7 juillet 1916, pour la deuxième fois. Voici son histoire.

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À la fin du XIXe et au début du XXe, Capurro était une plage prisée des Montévidéens, qui tirait son nom d'un navigateur italien arrivé en terres orientales en 1829. Par rapport à la côte, la plage y avait l'avantage d'être à l’abri du vent, la mer y était calme. La ville ne s'y était pas encore développée, le port n'était pas encore ce qu'il était, le quartier était libre de construction. On pouvait distinguer à droite le fort du Cerro, et à gauche la vieille ville, qui était juste la ville à l'époque, avec la cathédrale dépassant au milieu. On était tellement bien au Capurro à l'époque que la population décida d'y construire un parc et une rambla, comprenant des cours de tennis, un amphithéâtre, un arboretum. L’architecte désigné est un Alsacien, Jules Knab, et son travail est très réussi, à tel point que des jeunes souhaitent également créer un club de football du quartier du parc. C'est chose faite en 1908, avec le club de Guaraní.

Ce dernier s'affilie à l'AUF, vit quelques années, avant d'arrêter son activité en 1913. D'anciens joueurs, souhaitant poursuivre l'aventure, créent un nouveau club le 7 juillet 1916, et ne pouvant réutiliser Guaraní, ils choisissent l'oiseau qui renaît de ses cendres, le phénix en français, fénix en espagnol. Le club s'affilie à nouveau à l'AUF et recommence donc en troisième division, puis débute son ascension, avec une montée en deuxième division, et une deuxième place dans ce championnat en 1922 derrière le Bella Vista de José Nasazzi. Logiquement, seul le premier doit monter, et Fénix devrait rester en deuxième division. Mais 1922 est l'année du schisme : Peñarol et Central Español sont exclus de la première division suite à une mésentente sur les matchs internationaux. Ils créent leur propre fédération, la FUF, derrière laquelle se regroupent d'autres clubs de seconde division. Fénix reste du bon côté de l'Histoire et est appelé à jouer en première division dès 1923, en remplacement des clubs exclus. Le club de Capurro en profite pour continuer son ascension, terminant quatrième en 1924.

La fin de la belle plage de Capurro

Durant les années vingt, la ville s'étend à l’Ouest et ce qui était au départ une station balnéaire en bordure de la ville devient un quartier de la zone du port. Le parc et la plage n'attirent plus les foules, qui lui préfère la côte Est, à Pocitos par exemple, plus loin des quartiers populaires. Le joli parc de Knob vit ces derniers instants. Il est tout d'abord entouré d'usines, d'ANCAP, la société pétrolière nationale qui installe ses raffineries à quelques encablures, aux entrepôts de Bella Union, et de l'extension du port à sa droite. Plus personne ne se baigne sur la belle plage dz Capurro où l'on laisse désormais mourir les bateaux dont on ne se sert plus. Le coup de grâce est donné dans les années 1970 quand l'accès à l'Ouest du pays par la route 1 est étendu en une sorte d'autoroute, puisque l'homme doit à tout prix détruire tout ce qu'il touche. Le stade, construit dans les années trente aux abords du parc Capurro, est maintenant bordé par l'autoroute qui passe elle-même sur la plage remblayée. Ces années sont aussi des années noires pour le club. Fénix a la mauvaise idée de descendre en 1926, et d'être en deuxième division en 1931 quand le football devient professionnel. Pendant quelques années, pour stabiliser les clubs, l'AUF n'autorise pas de montées ou de descentes et le club reste donc en deuxième division, puis descend en troisième division en 1942, et ne remonte qu'en 1949. Il faudra attendre 1957 pour que le club retrouve la première division, trente ans après être descendu, et pour la première fois à l'ère professionnelle. Pour son retour, Fénix termine quatrième, derrière les deux grands et Defensor. Mieux encore, en 1962, Fénix termine troisième derrière les deux grands, ce qui pendant un temps fût appelé « Champion des petits », à l'époque ou Peñarol et Nacional alternaient les titres de champion et de dauphin. Commence alors un nouveau cycle de montées et de descentes, avec une nouvelle troisième place en 1978 et 1979, mais aussi une descente en troisième division en 1981.

En 1984, Jaime Roos, chanteur populaire de retour au pays après onze années d'exil dû à la dictature, choisi le maillot de Fénix pour illustrer la renaissance du pays, et comme image d'illustration de son album « Mediocampo », l'un des plus populaires de l'histoire de l'Uruguay. Ce qui est vrai pour le pays ne l'est pas encore pour le club qui remonte en première division, puis redescend, jusqu'à un soir de 1990 où une assemblée générale est appelée pour changer la direction d'un club sur le point de disparaître, en troisième division.

Renaissance, deuxième mort, et renaissance

Dix ans après, le club retrouve la première division pour ne plus la quitter. La plage ne reviendra plus, mais le parc a été réhabilité par la mairie de Montevideo, et retrouve un tout petit peu de son lustre d’antan. En 2001, le club termine sixième, et, dès l'année suivante, donne les clés à un joueur qui n'est pas du cru, mais qui, devenu entraîneur, va changer la façon de voir le CA Fénix : Juan Ramón Carrasco. Le joueur de Sarandí del Yí a terminé sa carrière comme entraîneur joueur avec Rocha FC durant la saison 2000-2001, sans grand succès. Il arrive au Capurro et impose son style dès le départ : le jeu, le jeu et le jeu. Jamais la peur, jamais le frein à main. Projection, passe et tirs, voici les clés. Cela marche instantanément, le club termine troisième des différents classements dans un championnat fragmenté, marquant un total de quatre-vingt-seize buts en une saison et obtient le droit de jouer le tournoi qualificatif à la Copa Libertadores. En 2003, avec trois succès en trois matchs, contre le Defensor, Danubio et Plaza Colonia, le club obtient le droit de jouer, et pour la première fois de son histoire, une coupe continentale, la plus belle. Cette participation est marquée par l'élimination en phase de poules mais avec les honneurs, notamment une victoire historique contre le club mexicain de Cruz Azul six buts à un, avec un match extraordinaire de celui qui allait devenir une idole, Martín Ligüera. Le club termine troisième d'un groupe dominé par le Corinthians. Malgré ces performances, Carrasco part entraîner la sélection. À l'époque, son ami dont il lancé la carrière en le laissant devenir son agent dans les années 1980, Paco Casal, cherche un homme fidèle pour entraîner la Celeste. Les succès de Carrasco justifient sa nomination, ce sera un échec total. Carrasco doit démissionner après un an de défaites, il ne reviendra au Capurro que quinze ans plus tard.

Fénix est repris courant 2003 par une autre ancienne gloire uruguayenne au palmarès impressionnant, Antonio Alzamendi, deux fois champions d'Amérique du Sud avec l'Uruguay, vainqueur de la Copa Libertadores et Intercontinentale avec River Plate. Grâce à une quatrième place en championnat, et une nouvelle victoire en tournoi qualificatif à la Libertadores, le club joue de nouveau l'édition 2004. Le club termine dernier de son groupe, dominé par Once Caldas et l'Unión Atlético de Maracaibo. Ce seront les deux seules participations du club en Copa Libertadores jusqu'à présent.

Fénix descend en 2005, puis remonte, puis redescend, puis remonte, accumulant les titres de champion... de deuxième division. Le club va retrouver de la stabilité au haut niveau grâce à un nouvel entraîneur qui va marquer l'histoire du club : Rosario Martínez. Ce dernier reprend le club en 2009, le maintient en première division et le qualifie, en 2011, pour la Copa Sudamericana grâce à une quatrième place en championnat. Le club joue une nouvelle campagne contre la U de Chile, mais ce coup-ci ne joue que deux matchs, le temps de perdre en aller-retour 1 à 0 (but d'Edu Vargas à domicile). Les équipes de Martínez déjà, font moins rêver. Après un départ, puis un retour au club, l'entraîneur qualifie de nouveau l'équipe pour la Copa Sudamericana en 2016. Match de nouveau perdu deux buts à un en cumulé, après avoir gagné un à zéro l'aller à Montevideo. Martínez s'en va, et le club retourne dans ses travers avec deux saisons 2017 et 2018 calamiteuses. À la mi-saison 2018, à cause de la règle des points cumulés sur deux saisons, Fénix a déjà un pied et quelques orteils en deuxième division quand revient au club Juan Ramón Carrasco.

Le retour de JR

Après neuf matchs dans ce tournoi de clôture 2018, la situation est encore pire. Fénix est relégable en étant dernier du tournoi, encaissant trop de but, n'arrivant pas à gagner. Carrasco n'a réussi que pendant un match à faire illusion, lors d'un match contre Cerro gagné cinq buts à zéro au Tróccoli. Depuis, plus rien. Les journaux s'interrogent : Carrasco a-t-il perdu sa magie ? Il faudrait en tout cas un cas un miracle pour que l'équipe se maintienne, enchaîner pour la première fois en deux ans une série de succès. Après neuf matchs sans victoires, Fénix prend enfin trois points lors de la dixième journée car l'équipe ne joue pas, c'était le match prévu contre El Tanque, forfait pour le championnat. Hasard ou pas, l'équipe renaît. Elle s'impose le week-end suivant contre Boston River avant de perdre contre Peñarol à l'extérieur et de s'imposer à nouveau contre Atenas. Le match contre l'équipe de San Carlos est spécial. C'est déjà un duel pour le maintien, et Atenas gagne le match grâce à un penalty transformé par Federico Castellano. Mais Maxi Pérez égalise sur penalty et à la toute dernière minute, le jeune Léo Fernández grappe de trente mètres pleine lucarne pour offrir la victoire aux siens. La semaine suivante, Fénix obtient le match nul sur la pelouse de Danubio et s'offre une finale contre Torque à domicile. Fénix n'a d'autre choix que de gagner pour rester en première division. Mais il était écrit que de la main de Carrasco, Fénix ne pouvait descendre. Victoire dans la souffrance, deux buts à un, rappelant à Torque que cent ans d'histoire, cela ne s'achète pas.

En 2019, dans la foulée de la fin de saison 2018, le club termine deuxième du tournoi d'ouverture, offrant un magnifique spectacle du pied de Léo Fernández, jeune joueur formé au club et promis à un grand avenir. Il vient de partir pour le club mexicain de Tigres, même si son avenir est encore incertain. Il rejoint la liste des joueurs passés par le club, dans laquelle on compte Martín Ligüera, Luis Mejía, le Lolo Estoyanoff, Ignacio Pallas, Pallas qui en est aujourd'hui l'entraîneur.

 

Initialement publié le 07/07/2019, dernière mise à jour le 07/07/2022

Jérôme Lecigne
Jérôme Lecigne
Spécialiste du football uruguayen, Suisse de l'Amérique du Sud, Patrie des poètes Jules Supervielle, Juan Carlos Onetti et Alvaro Recoba