Tu seras éternel comme le temps et tu fleuriras à chaque printemps.

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Un nœud ferroviaire ne se trouve jamais dans un centre-ville, surtout à la fin du XIXe siècle. Il faut de la place pour mettre en branle ces grosses machines à vapeur, les monter et les entretenir, elles qui doivent désormais irriguer tout ce pays encore sauvage qu’est l’Uruguay et ses à peine plus d’un million d’habitants. Les Anglais, à la tête du Ferrocaril Central del Uruguay, s’installent donc à une dizaine de kilomètre de Montevideo à l’intérieur des terres, dans un petit hameau répondant au nom de Villa Peñarol, lieu-dit dérivant de la ville de Pinerolo, dans le piémont italien, nom lui-même repris à la fin du dix-huitième siècle par un émigré italien. C’est aujourd’hui un quartier de Montevideo, la ville s’étant passablement agrandit, mais à l’époque c’était un lieu indépendant de la ville, tourné uniquement vers le chemin de fer, sur lequel l’entreprise anglaise avait installé des hectares et des hectares de terrains, ateliers, gares et voies en tout genre, entretenant des lignes allant du centre-ville vers toutes les extrémités du pays, de Salto à Rivera, profitant de ses richesses et de ses champs.

En 1891, à peine cinq mois après le début de l’activité, Frank Hudson, ingénieur anglais et vice-président de l’entreprise, lance tout un panel d’activités sociales autour de l’usine, dans la plus pure tradition anglaise, allant de l’école au centre culturel, en passant par un club de sport, le Central Uruguay Railway Cricket Club, fondé le 28 septembre 1891. Ce club multisport s’inscrit dans la lignée d’autres clubs originaires d’Angleterre et déjà présent en Uruguay, aux activités souvent aristocrates comme le cricket ou le rugby. Les Anglais y imposent encore une vision amateur de l’usage du sport, d’activité sociale entre adhérents de la bonne société. Ce nouveau club appartient complètement à la société de chemin de fer, à tel point que les deux premiers présidents, Hudson et Henderson, sont également administrateurs généraux de la société durant leur mandat respectif. Le club compte à sa fondation cent dix-huit associés, dont soixante-douze Britanniques, des Uruguayens et un Allemand. Le terrain est installé au cœur de l’usine où travaillent trois milles ouvriers, il est fourni et entretenu par l’entreprise. Dès le départ, la section football du club est un immense succès, elle abolit pour un temps les barrières sociales et nationales qui peuvent exister entre employés et contremaîtres, entre Anglais et Uruguayens, entre locaux et émigrés. Rapidement, le club multisport du départ se focalise presque uniquement sur le football au détriment du cricket et du rugby. Petit à petit, les Anglais, prépondérants à l’origine, laissent place aux Uruguayens, un premier capitaine local est nommé en 1895. Mais la direction du club reste celle de l’entreprise.

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Le 30 mars 1900, avec l’Albion Football Club, l’Uruguay Athletic et le Deutscher Fussball Klub, le club fonde la Uruguay Association Football League et joue le 10 juin son premier match de championnat contre Albion, au Parque Central, victoire deux buts à zéro. Le match annoncé est bien de Peñarol contre Albion, car dès le départ la porosité entre CURCC, nom officiel du club, et son quartier d’origine, Villa Peñarol, s’est faite sentir. Lors du premier championnat de 1900, joué entre club d’origines anglo-saxonnes, un nouveau club est exclu, les quatre premiers adhérents refusant sa participation. Il est composé de joueurs locaux, criollos comme on dit, et ne sera autorisé à participer qu’à compter de la deuxième édition. Il s’agit du Club Nacional de Football, le futur meilleur ami de Peñarol. Le premier championnat est remporté par les Carboneros, surnom donné aux joueurs de Peñarol, qui reste donc le seul champion du XIXe siècle en Uruguay. L'équipe est alors encore un mix entre joueurs britanniques et uruguayens. La composition de l'équipe l'indique : T.Davies, R. De los Ríos, J. Pena, C. Ward, L.Mazzuco, F. Fabre, T. Lewis, J. Canning, A. Jones, J. Buchanan, W. Davies, W. Best et C. Lindeblad. Buchanan, meilleur buteur du premier championnat est Ecossais. Juan Pena, de son côté, est un sportif, ayant passé toute sa vie sur les terrains, venu au club puis à l'entreprise. Peñarol/CURCC continue son chemin triomphal en étant champion en 1901, 1905 et 1907.

La transition de 1913

À peine vingt ans après sa création et malgré un immense succès populaire, le club CURCC de Villa Peñarol est en crise. Son objectif initial était de divertir les ouvriers, de leur proposer quelques matchs de temps en temps, de fournir un terrain pour leurs activités physiques. Mais le club est devenu une institution, portée par un public très nombreux, participant désormais au championnat nouvellement créé. Le 3 août 1902, ce ne sont par exemple pas moins de six mille personnes qui se pressent pour voir le CURCC de Villa Peñarol et Nacional s’affronter lors d’un duel entre champions. Le match voit se dérouler des incidents entre les supporters des deux clubs, le train de Peñarol étant caillassé à son retour en banlieue. Les violences apparaissent. Mais sportivement, le CURCC est étincelant, à contretemps de la situation de l’entreprise, en crise face aux difficultés du développement. Après Hudson et Henderson est nommé Charles Baynes comme président de l’entreprise de chemin de fer à partir de 1906, avec pour objectif de réduire drastiquement les coûts. Il refuse la présidence du club, qui allait auparavant de pair avec ses fonctions, et se plaint des coûts que fait supporter le club à la compagnie à cause de l’absentéisme des employés footballeurs, des employés supporters, mais aussi des destructions engendrées par les supporters sur les trains spéciaux mis en place pour les matchs. La rupture entre l’objectif de départ et l’engouement pour Peñarol devient évidente. L’année 1908 marque une cassure avec une grève violente au sein de l’entreprise. Un conflit entre l’Uruguay Railway et le syndicat provoque une grève générale en son sein qui dure quarante et un jours. Durant cette grève, les joueurs ne pouvant plus jouer au sein de l’entreprise, ils quittent le club et s’engagent dans d’autres clubs de Montevideo comme Wanderers ou River Plate quand ils restent à Montevideo, ou à Ferrocaril Oeste, club des chemins de fer en Argentine, quand ils doivent traverser le Rio de la Plata pour trouver à nouveau du travail. Le CURCC pourrait alors mourir, mais le syndicat soutient le club et affirme que Peñarol n’est pas mort, que Peñarol va continuer à jouer le championnat vaille que vaille. Un communiqué est émis par le syndicat : « Pour couronner leur œuvre qui consiste à envoyer le club à la débâcle, ils utilisent la grève des employés du chemin de fer et essayent d’utiliser ces éléments comme s’ils dépendaient d’une même autorité, mais pour les gens qui savent et jugent avec de vraies valeurs, cette mystification ne marche pas, car l’entreprise est une entité, mais le club en est une autre, ces autorités sont différentes et élues de manières différentes ». La paix sociale est rompue et même si le club continue tant bien que mal (seulement deux titres entre 1906 et 1913), une solution doit être trouvée, le club ne peut plus dépendre de l’entreprise des chemins de fer anglaise.

D’autant plus que, très rapidement, le championnat nouvellement créé devient une activité économique. On ne parle pas encore de professionnalisation (trop peu d’équipes et trop peu de matchs), mais la géographie de Montevideo permet de créer un championnat national autour de quelques équipes qui tient la route, avec un public amateur de football nombreux à chaque match. Ce sera la base des titres de la Celeste quelques années plus tard, ce qui fait la force de ce football du début du vingtième siècle en Uruguay. Alors les Peñarolenses cherchent une solution. Juan Pena, une des premières idoles du CURCC essaie bien de créer un nouveau club, Oriental, mais cela ne marche pas, les supporters sont déjà trop attachés au maillot jaune et noir de la Villa Peñarol. Les adhérents commencent à chercher une solution institutionnelle pour sortir de l’impasse et rendre le club indépendant de l’entreprise qui l’avait créé. En 1913, l’assemblée du club du 2 juin voit s’opposer deux fronts : d’un côté, certains, dont la direction, souhaitent un retour du club à son objectif d’origine, un club social et sportif d’entreprise, modeste mais tourné vers les employés, réduire la voilure, ne plus participer au championnat de l’AUF. Pour d’autres, cet objectif est impossible pour ce club qui est devenu le plus aimé du pays, champion à de nombreux reprises, empli de gloire. Face à l’engouement des joueurs et du public, c’est bien l’indépendance que doit gagner Peñarol pendant cette année charnière avec, à la suite de longues négociations entre la direction et l’assemblée des joueurs, l’indépendance enfin octroyée en décembre. Une assemblée générale est tenue, pour refonder le club, avec une partie des sociétaires actifs de l’époque, employés ou non de l’entreprise, dans le local de la ligue de football à Montevideo même. Le CURCC devient définitivement le Club Atlético Peñarol, conserve drapeaux, coupes gagnés précédemment, couleurs et supporters. Ils ne perdent que l’argent qu’il restait dans les caisses, offert à un hôpital. Mais peu importe, la marche triomphale du club peut reprendre. Cette transition ne pose aucun problème à l'époque aux autres clubs locaux, le CURCC se fait déjà appeler Peñarol. Des décennies plus tard, Nacional conteste que les deux clubs soient une seule et même entité et se sert de cette transition pour affirmer que Peñarol a été fondé en 1913, donnant ainsi l'honneur d'être le doyen à Nacional. Mais en 1913, personne ne s'offusque.

Boca - Nacional, River - Peñarol : Les frères du Rio de la Plata

Le schisme

Le club est de nouveau champion en 1918, puis en 1921, mais entre en conflit avec l'AUF car il veut jouer un match amical contre le Racing argentin, membre à cette époque de l'Association Amateur de Football argentine, et non de l'AFA, partenaire « officiel » de la fédération uruguayenne. Le règlement de l'AUF interdit à l'époque de jouer des matchs amicaux contre des équipes qui ne sont pas membres des associations partenaires. Le 12 novembre 1922, Peñarol et Central Español s'en vont malgré tout en Argentine jouer des amicaux contre Racing et Independiente. Dix jour plus tard, une assemblée extraordinaire de l'AUF vote l'exclusion de Peñarol et de Central, et ses derniers, à leur retour en Uruguay, fondent la Fédération Uruguayenne de Football. Un championnat de la FUF est créé avec Peñarol, Central, mais aussi des équipes de la deuxième division, des équipes alternatives de l'AUF (Wanderers aligne par exemple des équipes dans les deux championnats). Peñarol est champion en 1924, mais le titre n'est pas reconnu, et, pire, aucun joueur de Peñarol ne participe aux Jeux Olympiques de 1924, et cette absence se maintient jusqu'au titre de 1930, pour lequel très peu de joueurs sont appelés. Des joueurs comme Isabelino Gradín, malgré leur talent, ne verront pas les compétitions mondiales. Un accord est malgré tout trouvé sous l'égide du Président de la République José Serrato et l'AUF organise de nouveau un championnat unique dès 1927.

Juste avant ce championnat, Peñarol effectue une tournée européenne comme avait pu le faire Nacional en 1925, embarquant sur le fameux Conte Verde (bateau qui amènera ensuite plusieurs équipes à la Coupe du Monde 1930, avant d'être coulé par les américains en 1944 lorsque passé sous pavillon japonais). Peñarol enchaîne les matchs contre des équipes d'Europe centrale, contre une sélection parisienne au stade Buffalo, puis en Espagne contre l'Espanyol Barcelone, l'Atlético de Madrid puis le FC Valence. Pour la première fois, Peñarol s'invite sur le Vieux Continent, n'ayant pu envoyer de joueurs à Paris ou Amsterdam pour les Jeux Olympiques. De retour au pays, c'est Rampla Juniors qui est champion en 1927, avant que Peñarol ne soit de nouveau champion en 1928 et 1929. Pour la Coupe du Monde 1930, cinq joueurs de Peñarol sont appelés, mais la structure reste celle de Nacional, avec neuf joueurs appelés. La page du schisme se referme là définitivement, puisque vingt ans plus tard, c'est bien Peñarol qui est en première ligne pour faire gagner la Coupe du Monde brésilienne à l'Uruguay, avec des joueurs tel que Ghiggia, Miguez, mais surtout le capitaine Obdulio Varela.

19 avril 1960 : et la Libertadores vit le jour

La gloire continentale

Peñarol est de nouveau champion en 1958 et 1959 (le début d'un quintuplé, le premier de l'histoire du club) et appuie une idée revenant régulièrement sur la table des années 1950 : créer un vrai tournoi continental regroupant les champions de chaque pays. En mars 1959, l'idée est poussée par les Chiliens lors du congrès de la CONMEBOL, avec l'appui des Uruguayens et du président de Peñarol de l'époque, Gaston Guelfi. La compétition est finalement organisée pour 1960, avec les champions de sept pays (Pérou, Equateur et Venezuela étant absents), et Peñarol représente fièrement l'Uruguay avec une première victoire lors du premier match de Libertadores 7- 1 contre les Boliviens de Jorge Wilstermann. Le match suivant est beaucoup plus disputé contre San Lorenzo. Après deux matchs nuls, un troisième match d'appui est organisé au Centenario et Peñarol l'emporte deux buts à un grâce à notamment à son buteur équatorien, Alberto Spencer. Les finales se jouent le 12 et 19 juin 1960, entre Peñarol et les Paraguayens d'Olimpia. Les Carboneros l'emportent à l'aller, un à zéro, but de Spencer à la 79e. Au retour, les Paraguayens dominent tout le match, menant au score et cherchant à forcer un match de barrage, mais le jeune Luis Cubilla, qui deviendra ultérieurement une idole au sein du club rival de Nacional et au Paraguay, égalise à la toute fin du match et offre le titre à Peñarol. Une victoire dans les dix dernières minutes à la Peñarol, comme il y en aura tant d'autres dans l'histoire de Libertadores. Peñarol remet cela avec une nouvelle victoire en 1961 en finale contre Palmeiras, mais échoue en finale en 1962 contre Santos. Cette finale est épique, avec une défaite du Peñarol de Béla Guttmann à domicile deux buts à un, doublé de Coutinho, avant que Peñarol ne réussisse l'exploit d'aller gagner au Brésil, trois buts à deux, doublé de Spencer, mais match arrêté à la cinquantième minute alors que l'arbitre vient de recevoir une bouteille sur la tête. Les dirigeants brésiliens menacent l'arbitre pour continuer à jouer la fin du match, et ce dernier accède à leur demande, avec l'accord des joueurs de Peñarol. Le rapport du match indique, malgré tout, que le jeu s'est arrêté à la cinquante-et-unième minute, le reste n'ayant pas de valeur officiel. Un match d'appui est donc organisé et Santos exige un arbitre européen, soi-disant plus sûr. Les Brésiliens ont peur. Mais ils ont un atout dans leur manche, une carte maîtresse : Pelé. Au Monumental, avec un arbitre néerlandais, Pelé délivre une leçon de football, Peñarol est battu trois à zéro.

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Les années suivantes continuent à voir la bande de Mazurkiewicz, Gonçalves, Joya ou Spencer rouler sur le continent. En 1966, Peñarol remporte le titre sur River Plate lors d'un nouveau match d'appui, au Chili. Les Argentins mènent deux à zéro à la mi-temps mais les Uruguayens semblent habiter par un esprit, Gonçalves déclarant encore récemment que jamais il n'a eu peur de perdre ce match. Et en effet, Peñarol l'emporte quatre buts à deux, avec notamment un doublé de Spencer. Ce match vaudra aux argentins le surnom de poules, gallinas (lire 20 mai 1966 : la naissance des Gallinas de River). La décennie se termine en 1970 avec une nouvelle finale, cette fois perdue, contre les Argentins d'Estudiantes. Peñarol ne disposant plus de son buteur magique, Alberto Spencer, qui retourne cette année-là en Équateur terminer sa carrière au Barcelona de Guayaquil, après onze ans et cent-soixante-et-onze buts avec les Carboneros, dont cinquante-huit en Libertadores. Durant les années soixante, Peñarol écrit aussi une histoire intercontinentale. L'un des objectifs de la naissante Libertadores était de désigner un champion continental pour affronter le champion européen de la naissante Coupe des Clubs Champions européens. Dès la fin 1960, une première finale est donc jouée entre le Real Madrid et Peñarol. Les Espagnols ayant déjà un fort accent sud-américain avec les Argentins Rogelio Domínguez (gardien), Alfredo Di Stéfano, ou le Brésilien Canario, repartent de Montevideo avec un match nul et s'imposent cinq buts à un à Madrid. Six ans plus tard, et après une première victoire de Peñarol en 1961 contre Benfica, Peñarol et Madrid se retrouvent de nouveau en finale de cette coupe intercontinentale. Les stars sud-américaines sont parties côté Real et Peñarol s'imposent à l'aller et au retour au stade Santiago Bernabéu, deux fois deux à zéro, l'un des matchs les plus aboutis de cette génération. La ligne d'attaque, Pedro Rocha, Juan Joya et Alberto Spencer, étant alors inarrêtable.

Le club a du mal à se régénérer dans les années soixante-dix, le pays traversant une période sombre avec la dictature. Le club qui avait dominé le pays et le continent dans les années soixante (sept titres nationaux sur dix en Uruguay, trois Libertadores et deux intercontinentales), ne retrouve plus les finales continentales malgré la régularité des titres nationaux, notamment de la main du nouveau buteur local, Fernando Morena. Il faut attendre 1982 pour voir Peñarol revenir au plus haut niveau continental avec une finale gagnée contre Cobreola, but de Morena à la dernière minute du match retour . Peñarol en profite pour ajouter une intercontinentale à sa besace (sa dernière à ce jour), en battant les Anglais d'Aston Villa à Tokyo. L'année suivante, Peñarol joue de nouveau la finale de la Libertadores mais la perd contre Grêmio. En 1987, Peñarol gagne sa dernière Libertadores à ce jour, dans une finale de légende. Les clubs colombiens montent en puissance à la fin des années soixante-dix grâce à une manne financière d'origine douteuse. L'América de Cali joue sur quelques années plusieurs finales, mais perd toujours contre Boca (1978), Argentinos Juniors (1985) puis River Plate (1986). En 1987, les Colombiens doivent affronter Peñarol en finale et ils ont vu les choses en grand avec de nombreux étrangers dans l'effectif dont Ricardo Gareca ou Roberto Cabañas. Au match aller, à Cali, l'América s'impose deux buts à zéro. Au match retour, Cabañas ouvre le score, et l'América commence à rêver d'un premier titre colombien. Évidemment, côté Peñarol, on est sûr de pouvoir gagner. Diego Aguirre égalise à la soixante-huitième, avant que sur un coup-franc, Jorge Villar offre un match d'appui à Peñarol à la 87e ! Au Chili, le 31 octobre 1987, le match d'appui est fermé, les équipes jouent à dix contre dix après deux cartons rouges, les hommes se provoquent. Oscar Washington Tabárez, jeune entraîneur arrivé sur le banc quelques mois plus tôt, a un peu peur. On en est presque à préparer les tireurs, quand, à la cent-vingtième minute, à la fin du fin de la fin des fins de la prolongation, Diego Aguirre déboule côté gauche et trompe l'Argentin Falcioni d'une frappe croisée. Peñarol, dans une double victoire au bout du suspense, remporte sa cinquième Copa Libertadores. De nouveau, les joueurs sont accueillis en héros au Centenario. C'est la première victoire de Peñarol sans grand buteur (pas de Spencer ou de Morena), sans grand leader autre que celui qui deviendra le Maestro. Cette année 1987 se termine dans la neige de Tokyo, où Peñarol perd une finale ubuesque contre le FC Porto, avec un ballon ne pouvant rouler. Comme si le climat mettait fin à la marche triomphale de Peñarol.

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Second quintuplé et fin de l'Histoire ?

Les années quatre-vingt-dix seront celles du développement des droits télés. Les budgets des clubs explosent dans les pays voisins et le football uruguayen s'enfonce inexorablement dans la crise, sans solution. Ces années sont marqués côtés Peñarol par un nouveau quintuplé, avec deux joueurs restés chers dans les cœurs des supporters : Pablo Bengoechea et Antonio Pacheco. Après les difficultés sportives viennent d'autres difficultés au début des années 2000, avec la violence qui s'installe dans les stades. La crise de 2002 a été très dure en Uruguay et a eu un impact direct dans les stades avec un développement exponentiel du narcotrafic. Les groupes de supporters de Peñarol sont gangrenés par la drogue, la violence et les armes et ni le club ni les forces de l'ordre n'ont les moyens d'arrêter ce jeu de massacre. Les stades se vident lentement, sauf pour les clásicos et pour la parenthèse enchantée qu'a représenté la finale de Libertadores 2011 contre le Santos de Neymar. De la main de Diego Aguirre, le buteur de 1987, le club se hisse en finale, pense à l'exploit, d'autant plus quand ils réduisent la marque au Brésil à dix minutes de la fin, mais l'adversaire et bien trop fort, et, pour une fois, en finale, les quinze dernières minutes ne sont pas magiques.

Le club vit une petite révolution en 2016 avec l'inauguration de son propre stade, le Campéon del Siglo. Pour la première fois depuis l'époque amateur, Peñarol évolue chez lui, et non plus au Centenario où il avait pris ses habitudes après 1930. Le stade est modeste, à l'extérieur de la ville, mais c'est déjà un exploit que le club ait pu le construire sur ses propres deniers. Depuis, notamment sous la présidence de Jorge Barrera, le club essaie de conserver une certaine stabilité encouragée par de bons résultats (Peñarol reste sur trois titres nationaux) et l'émergence de jeunes joueurs. Mais ces derniers partent tous au bout de quelques mois et le club n'a pas les moyens de les retenir. En Copa Libertadores, cela se traduit, malgré des performances honorables, par l'incapacité à sortir des groupes depuis 2012. Restent quelques épopées, comme celle de la Copa Sudamericana 2021 et le parfum d'une demi-finale pour rappeler le glorieux passé. En attendant des jours meilleurs.

 

Initialement publié le 28 septembre 2018, mis à jour le 28 septembre 2022

Jérôme Lecigne
Jérôme Lecigne
Spécialiste du football uruguayen, Suisse de l'Amérique du Sud, Patrie des poètes Jules Supervielle, Juan Carlos Onetti et Alvaro Recoba