« La Couronne d’Asie ». C’est par cette humble sobriquet que les fans de l’Esteghlal Téhéran surnomment leur club. Un tantinet pompeux mais pas si usurpé, tant le géant iranien a collectionné les médailles sur le continent (2 or, 2 argent, 2 bronzes, troisième au classement asiatique). Retour sur « la fierté d’Iran ».

banutip

Les liens entre l’Angleterre et l’Iran sont anciens et remontent à un demi-siècle en arrière, lorsque des marchands anglais envoyés par Edouard VI pour prospecter de nouveaux marchés rencontrèrent le Shah Tahmasp, souverain de l’empire séfévide. Mais, comme souvent, la perfide Albion allait révéler son plus horrible visage en s’emparant du pays à la faveur de traités et de guerres sur fond de colonialisme européen. L’influence britannique fut telle qu’ils prirent le contrôle de l’économie, de la politique, de la mode et de la culture… Les « clubs » au sens britannique du terme (sandwichs froids, messieurs qui fument une pipe avec une longue barbe, accent rigolo) commencèrent à ouvrir et les sports les plus en vue étaient alors le cyclisme, le polo, le tennis ou encore le bowling. En 1925, ils installèrent le Shah Reza Pahlavi sur le trône, le père de Mohammed Reza Pahlavi, l’homme qui changea la face de l’Iran. Après la Seconde Guerre Mondiale, l’heure est à la reconstruction et à la joie. De jeunes athlètes et étudiants se décident alors à fonder un club multisports, le Docharkhe Savaran, qui voit le jour le 20 septembre 1945. Ce nom est un hommage à la passion première de ses fondateurs, « les cyclistes », car le club se voulait pluridisciplinaire et comportait des sections de football, lutte, haltérophilie, cyclisme ou encore basketball et ping-pong. Le logo est d’ailleurs un hommage au vélo, avec la présence des trois roues en enfilade.

À peine eut-il engrangé ses premiers succès que le club subit un changement de nom. Le Docharkhe Savaran devint le Taj Téhéran. Un nom qui ne doit rien au hasard, Taj signifiant la couronne en persan. Le fils de Reza Shah, Mohammed Shah, devint roi d’Iran en 1941 et, mégalomanie oblige, voulut faire de son pays le plus moderne et le plus beau. Il engagea l’Iran dans une série de réformes sociales et économiques, ainsi qu’un développement intense de l’industrie et de l’armée. Nul ne sait si le Docharkhe voulut s’inspirer du succès du Shah, si celui-ci imposa le surnom ou s’il ne fallait y voir qu’un hommage à la culture persane, toujours est-il que le Taj fut vite adopté parmi les supporters. Le mot Taj représente bien plus qu’une simple couronne, dans la littérature persane il est synonyme du meilleur de chaque chose (comme le Taj Mahal). Un peu à l’image du Real Madrid, il symbolise l’excellence, la noblesse et le succès. Et en termes de succès, ce n’est pas peu dire que le Taj va faire parler de lui.hejazi

L’Iran n’ayant pas de championnat officiel avant 1970, le Taj en a profité pour rafler neuf titres de la ligue de Téhéran. Les 70’s sont d’ailleurs le point d’orgue du club : pour la troisième Coupe d’Asie des clubs champions, le Taj rafle la mise en battant l’Hapoël Tel-Aviv en finale et en arrachant le bronze un an plus tard. En championnat iranien, il remporte deux titres (70 et 74) et décroche l’argent (73), tout en agrémentant son palmarès d’une Coupe Hazfi en 76. D’illustres joueurs qui participèrent aux Jeux Olympiques ou à la première Coupe du Monde iranienne garnirent les rangs du Taj. Citons les plus éminents, Andranik Eskandarian, Iraj Danaeifard, Ali Jabbari, Akbar Kargarjam, Hassan Rowshan ainsi que le grand, l’immense Nasser Hejazi (élu deuxième meilleur gardien asiatique du XXe siècle).

Le renversement du Shah et l’instauration de la République islamique changea profondément le paysage iranien. Tout ce qui appartenait à la monarchie devant être éliminé, un club surnommé « la couronne » avait à priori peu de chances d’échapper à pareil purge. Mais, plutôt que de dissoudre le club vu sa popularité, les autorités décidèrent de changer son nom en « Esteghlal », mot persan venant de l’arabe « Istiqlal » signifiant l’indépendance. Dans ce cas-ci, il faut bien y voir l’indépendance par rapport à l’oppression du Shah et de ses alliés occidentaux.

La guerre Iran-Irak met un gros frein au développement du football au pays. Dans l’impossibilité d’organiser des déplacements dans le pays dû aux bombardements iraquiens, les ligues régionales refont leur apparition. L’Esteghlal remportera deux nouveaux titres mais ne peut pas se mesurer aux meilleures équipes du pays. En 1989, à la fin de la guerre, la Qods League fut instaurée et l’Esteghlal la remporta aux dépens de l’archi-rival Persepolis. Cette ligue ne dura qu’un an et fut remplacée par l’Azadegan League. esteghlal90S’ils n’y furent pas glorieux (deux victoires en 97 et 2001 en neuf ans d’existence), ils purent se consoler avec une deuxième Coupe asiatique des clubs champions en 91 en disposant de Liaoning. L’année d’après, ils atteignirent encore une fois la dernière manche mais échouèrent aux penalties contre les Saoudiens d’Al-Hilal. En quelques années, ils récoltèrent les places d’honneur en compétitions asiatiques avec deux quatrièmes places en Coupe des vainqueurs de coupe, une nouvelle seconde place en Coupe des clubs champions en perdant face au Jubilo Iwata en 99 et une dernière troisième place en 2002.

Depuis l’avènement de l’Iran Pro League en 2001, l’Esteghlal est un peu rentré dans le rang, ne s’adjugeant la couronne nationale qu’à trois reprises (et quatre deuxièmes places). Surtout l’émergence des clubs de province commencent à se faire sentir à Téhéran, dépassée par les équipes d’Ispahan (Sepahan), Ahwaz (Foolad) ou Tabriz (Tractor Sazi). Surtout, la série de trois titres consécutifs de l’ennemi juré de Persépolis restent en travers de la gorge des bleu et blancs. Le derby entre les deux géants de Téhéran est d’ailleurs connu sous le nom de Shahravard et est l’un des plus bouillants affrontements d’Asie, si pas du monde. Pour cette nouvelle saison 2019-2020, le club a décidé de miser sur le coach italien Andrea Stramaccioni et sur la légende malienne Cheick Diabaté pour glaner une couronne qui lui échappe depuis 2012. Un comble pour le Taj.

Boris Ghanem
Boris Ghanem
Chroniques d'un ballon rond au Moyen-Orient, de Beyrouth à Baghdad, de Manama à Sanaa, football sous 40 degrés à l'ombre d'un palmier.