Tout juste intronisé à la tête de la Fédération australienne de football, James Johnson a affaire à la pire crise de ce sport au pays : l’arrêt total des compétitions afin de réduire la propagation du coronavirus. Une pandémie qui pourrait avoir bien plus de conséquences.

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31 janvier 2015, Mile Jedinak, capitaine de l’équipe nationale australienne de football soulève la Coupe d’Asie des nations 2015 après une victoire en finale face à la Corée du Sud (2-1). À cette époque, le football en Australie était à son firmament puisque quelques mois auparavant, le Western Sydney Wanderers venait de remporter la Ligue des Champions asiatiques 2014. De quoi penser que l’Australie allait définitivement changer de dimension au niveau national et international. Il n’en fut rien, ces deux victoires continentales ont été le point d’une lente chute.

La fin d’une époque

L'Australie a toujours été une terre de football, nourrie par les flux migratoires venus du monde entier et plus précisément d’Europe (lire Il était une fois le football en Australie) à l’image du Brisbane Roar, héritier de l’immigration néerlandaise qui reprend le orange en couleur dominante surmonté du lion pour son logo. Si ce sport trouve ses origines à la fin du XIXe siècle, avec le Wanderers FC (nom de la première équipe de football au pays dont le Western Sydney Wanderers veut en être l’héritier), il n’a jamais été celui des Australiens qui lui ont toujours préféré le football australien ou footy, sport national et héritier d’une très longue histoire débutant également à la fin des années du XIXe siècle et qui aujourd’hui pèse 1,3 milliards d’euros de droits TV (partagés entre FOX Sports Australia et Seven). Afin de lui offrir une place dans le paysage du sport australien, il s’est réformé à partir de 2005. L’Australian Soccer Association devenait Football Federation Australia, faisant ainsi entrer dans le vocabulaire australien le mot « football » à la place de « soccer », la National Soccer League devenait la A-League. En changeant de patronyme, le sport des Européens entrait dans une cour qui ne lui était jusqu’ici pas réservée et, pour exister et prospérer, il choisissait de se dérouler quand les sports majeurs du pays (AFL, rugby à XIII et à XV) ne jouent pas. Le football a ainsi pu se développer, s’offrant ainsi quelques moments de gloire au niveau local, comme lors de la période historique du Brisbane Roar d’Ange Postecoglou qui entrait dans l’histoire du sport australien, ou au niveau international avec les succès du Western Sydney Wanderers et de la sélection. Mais l’équilibre reste précaire et depuis, la belle embellie est passée.

Chute libre

La faute notamment à une sélection nationale qui ne parvient à remplir les objectifs fixés pour la Coupe du Monde et pour la Coupe d’Asie. À une situation qui conduit le sélectionneur Graham Arnold à devoir désormais repartir de zéro avec une nouvelle génération qui manque de joueurs à renommée mondiale comme en comptait la précédente. Oubliés les Tim Cahill, Mile Jedinak, Harry Kewell ou Mark Bosnich, il n’y a désormais plus de grand joueur australien et les seuls présents en Premier League anglaise évoluent dans des clubs qui se battent pour le maintien quand, à titre de comparaison, la Corée du Sud a Son Heung-min qui évolue à Tottenham ou Hwang Hee-chan du Red Bull Salzbourg, et le Japon possède dans ses rangs des joueurs du calibre de Takumi Minamino de Liverpool FC ou Shoya Nakajima du FC Porto. L’appauvrissement de la sélection est tel qu’au poste de gardien de but, il y a très peu de concurrence et l’idée a été évoquée de suivre le modèle chinois qui consiste à contraindre les clubs de A-League à n’employer que des portiers australiens. Cette question du renouvellement des générations et, comme corollaire, de la formation des talents de demain est essentielle. Robbie Slater, ancienne légende locale, a ainsi adressé un message en ce sens : s’il faut continuer à faire aimer ce sport aux jeunes (chez qui le football est le sport le plus pratiqué), il faut aussi et surtout travailler de façon transversale, le rendre encore plus accessible et surtout élever le niveau. Slater va même jusqu’à vouloir faire de cette période de confinement le point de départ d’une révolution dans l’organisation en appelant Graham Arnold à prendre plus de responsabilités en ce sens : « nous sommes passés par le système, donc nous savons ce qui fonctionne, mais surtout ce qui fonctionne le mieux. Graham Arnold doit rassembler toutes les fédérations d'État pour arrêter de gaspiller l'argent des jeunes enfants, des parents, qui paient des milliers de dollars pour devenir joueur dans aucune ligue. Il n'y a pas de championnats pour les enfants »

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Reste que pour maintenir la passion, il faut aussi savoir entretenir le rêve. Cela passe par un championnat local évidemment performant mais également attractif. Mais là aussi, les chiffres ne sont pas bons. La A-League n’attire plus autant de monde qu’auparavant : la A-League 2019/20 a attiré un million de spectateurs soit entre 200 à 300 milles de moins que les années précédentes et surtout, la dynamique à la baisse se poursuit en termes de fréquentation moyenne des stades (en cinq ans, la moyenne a chuté de près de 30% !). Un chiffre qui s’explique par deux éléments : le prix des places et les stades qui ne sont pas adaptés. Le public du football est un public de jeunes, qui n’a ainsi pas les moyens de s’offrir des places dont les prix sont trop lourds à supporter. En 2018, Fox Sports avait rapporté le mécontentement des supporters de football sur des prix bien trop élevés pour un sport qui cherche encore à conquérir des spectateurs. Il en ressortait par exemple que pour aller voir un match de cricket du championnat national à Melbourne cela coûtait vingt dollars quand un match du Melbourne Victory coûtait trente-huit dollars. Alors la ligue a réagi et tente de fidéliser les plus jeunes en ouvrant les stades aux écoles de football, en créant des pack famille comme le « Summer of Football » en 2018 dans lesquels l’enfant ne paye pas sa place. Le tout en travaillant le marketing à destination de cette génération : e-league, attractions autours des stades, mascottes et campagnes de communication orientées sur les enfants. Reste le deuxième chantier, celui des stades. 

À l’image de ceux de la MLS d’il y a quelques années, ou de la K League, les clubs australiens évoluent dans des enceintes qui ne sont pas appropriées à l’affluence locale : le Western United, nouvelle franchise, évolue au Kardinia Park, le plus grand stade de la zone avec une capacité de 36 000 places, Brisbane Roar évolue au Suncorp Stadium, d’une capacité de plus de 52 000 places. Quand on sait que Western United attire en moyenne 5600 spectateurs et le Roar 9400 supporters, le nombre de places vides visibles à la télévision rend le spectacle en tribunes peu attractif. Payer des places chères pour aller dans des stades vides est donc un problème à résoudre. Comme l’a fait la MLS, la A-League a semble-t-il compris qu’elle avait besoin de stades à taille humaine : après avoir longtemps évolué à l’ANZ Stadium (82 000 places), le Sydney FC, meilleure équipe du pays, évolue désormais au Jubilee Stadium quatre fois moins grand, quand le Western Sydney Wanderers a choisi d’émigrer vers son nouveau stade, le Bankwest Stadium, d’une capacité de 30 000 places (soit plus de deux fois moins). Les deux équipes possèdent deux des trois meilleures moyennes de fréquentation. La fédération australienne de football va s’appuyer sur la candidature pour la Coupe du Monde féminine de 2023 avec la Nouvelle-Zélande pour rénover ses stades. Le Brisbane Roar pourrait ainsi avoir sa propre enceinte, moyennant un investissement de soixante millions de dollars. Un stade qui serait alors plus petit, à l’exemple du Dolphin Stadium (10 000 places) dans lequel le club dirigé par Robbie Fowler a vaincu le Melbourne City à guichets fermés. Ces mauvais signaux ne sont pourtant pas le fruit d’un désamour du public pour ce sport : quand le Melbourne Victory accueillait Liverpool en 2013, ils étaient près de 100 000 à se masser dans le MCG. Chaque saison, des clubs de Premier League, le championnat le plus populaire au pays, foulent les pelouses australiennes et attirent les fans. L’Australien aime le football, il faut donc lui en offrir. Cela confère un véritable potentiel à la A-League en termes de marché, mais au-delà de la formation des talents, des infrastructures à repenser, cela nécessite un élément dont l’équilibre est encore plus précaire : l’économie. Un élément qui est directement menacé par la crise du coronavirus.

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Une économie précaire, un football à repenser

Depuis l’annonce de l’arrêt du championnat, le diffuseur, Fox Sports Australia pourrait en effet ne pas verser les cinquante-six millions de dollars australien (environ trente-deux millions d’euros) de droits télévisuels annuels, le contrat reposant sur un minimum de vingt-sept journées disputées. Ce montant est vital pour les clubs, Greg O’Rourke, patron de la A-League l’a ainsi très vite compris en déclarant « il n’est pas impossible que des clubs ne survivent pas à cette crise », Paul Lederer, patron des Western Sydney Wanderers et à la tête du syndicat des clubs sentant le danger et appelant à l’union nationale en ces temps de crise. Un sentiment partagé par le propriétaire du plus riche club du championnat, le Melbourne Victory, Anthony Di Pietro, ou encore ceux d’Adelaïde et de Brisbane. Certes, chaque club de A-League est géré par un fonds d’investissements, mais il n’est pas certains que ceux-ci soient prêts à perdre plusieurs millions d’euros. Les premiers dommages semblent désormais approcher. Tony Sage, propriétaire de Perth Glory, finaliste 2019, candidat au titre en 2020, a déjà licencié l’ensemble de son effectif et l’ensemble du personnel du club. Dans le Sunday Times, il laisse planer le doute quant au retour du club à la reprise du championnat. D’abord vertement critiqué, il a été suivi par Brisbane et Central Coast qui ont également licencié l’ensemble de leur personnel.

Au-delà du problème des recettes, se pose en effet le souci du paiement des salaires : le Sydney Morning Herald rapporte que le salaire moyen en A-League se situe entre 130 et 140 000 $ (même si cette moyenne est sans doute surévaluée par les marquee players - les joueurs qui échappent au plafond salarial). La situation économique des clubs pourrait à terme contraindre la fédération à devoir en « récupérer » certains, comme elle l’avait fait avec les Newcastle Jets avant que Ledman Group rachète le club en 2016. Mais la FFA ne dispose pas non plus de fonds infinis, pire, elle traverse également une crise. Le 27 mars, la FFA annonce dans un communiqué de presse licencier près de 70% de ses effectifs afin « de stabiliser l’organisation afin qu’elle puisse continuer de servir le sport, même dans un paysage très différent ».  

C’est dans ce contexte que le football en Australie doit se réinventer. Arrivé en janvier dernier, James Johnson est un homme du sérail, connaissant parfaitement le paysage du football là où son prédécesseur, David Gallop, venait du rugby et n’avait pas les codes du football. James Johnson entend bien réformer et réorganiser le football local. Son premier dossier se nomme The Championship. Il repose sur l’idée de la création d’une seconde division et l’ouverture d’un système de promotion/relégation pour se substituer au système actuel, un championnat fermé entre franchises qui montre aujourd’hui ses limites, à la fois sur le plan sportif (il suffit de voir les rencontres du Central Coast Mariners depuis quelques saisons) que sur le plan économique. Le projet du Championship est dans les cartons, il faudra désormais trouver des pistes d’investissements et parvenir à s’appuyer et à attirer des clubs de National Premier League (division inférieures). À l’intérêt sportif, Johnson entend bien fédérer les fanbases en revenant notamment sur la National Club Identity Policy, cette norme qui obligeait tous les clubs australiens à ne pas montrer leurs origines étrangères. Pendant ce temps, les clubs de divisions inférieures se sont davantage structurés autour de leurs fédérations qui communiquent parfaitement, notamment en diffusant les matchs sur YouTube avec cette volonté de fédérer supporters, sponsors et investisseurs.

Reste enfin à rendre la A-League plus spectaculaire. Cela passera certainement par des entraîneurs ambitieux, comme le furent des Ange Postecoglou époque Brisbane Roar, Josep Gombau et Guillermo Amor époque Adelaïde. Mais aussi par l’établissement de passerelles avec le reste du monde, en particulier l’Europe. Celles-ci existent, citons par exemple le partenariat noué entre l’Ajax et le Sydney FC visant à réformer le système de formation du club australien ou encore évidemment la présence du City Group à Melbourne. Le chantier est réel, il sera évidemment dépendant de l’état dans lequel la pandémie laissera les structures fédérales et locales ainsi que les clubs de l’élite. Mais si certains redoutent le chaos, surtout en cas de perte du diffuseur historique, les espoirs d’avenir souriant sont encore loin d’être enterrés. 

Antoine Blanchet-Quérin
Antoine Blanchet-Quérin
Spécialiste du football australien, néozélandais et océanien pour Lucarne Opposée.