Testée en 2000, installée en 2005, la Coupe du Monde des clubs 2023 s'offre un dernier tour d'honneur. Si elle ne passionne pas les foules en Europe malgré une domination totale de ses représentants, et si elle peine à véritablement convertir les foules, elle reste pour les autres équipes du globe qui y participent une formidable vitrine mondiale. Et surtout, s’inscrit dans une longue tradition.

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Souvent méprisée en Europe, la Coupe du Monde des Clubs est pourtant l’héritage de plus de cinq décennies d’affrontements. Où légendes des deux continents se sont croisées. Les graines du football plantées sur le nouveau monde par les européens, avec son développement et son assimilation par les locaux, l’idée de s’opposer aux pères naît rapidement et génère bien des envies des deux côtés de l’océan. Seul manque alors un cadre, une véritable organisation de part et d’autre pour sortir des tournées amicales de la première moitié de siècle, seuls moments de lutte entre continents. C’est ainsi qu’il faut attendre le début des années cinquante pour qu’enfin l’idée devienne réalité.

Une longue histoire

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À l’époque, alors que l’Europe commence à s’offrir des compétitions continentales avec notamment la Coupe Latine, l’Amérique du Sud n’a pas encore sa Libertadores. Au Brésil, la Copa Rio pioche chez les champions de différents championnats européens et leur offre des duels face à des brésiliens, des uruguayens et des paraguayens (l’OGC Nice participe à la première en 1951). L’année suivante, au Venezuela, la Pequeña Copa del Mundo de Clubes invite européens et sud-américains à s’affronter (lire 12 juillet 1952 : le Venezuela invente la Coupe du Monde des Clubs). Le Real Madrid croisera par exemple Millonarios et River Plate. Les deux épreuves ne durent qu’un temps. Alors que la Pequeña Copa del Mundo de Clubes touche à sa fin, le Tournoi de Paris voit le jour en France. Tenant un rythme annuel pendant une décennie, il devient plus épisodique par la suite mais se perpétuera jusqu’aux années 2010. S’il n’est en rien estampillé Coupe du Monde des Clubs, ce tournoi fait tout de même office de précurseur, aide à développer la graine qu’est l’idée d’un affrontement mondial entre géants des deux continents.

L’Europe ayant déjà sa Coupe, il faut donc attendre la première Copa Libertadores pour que l’idée d’une Coupe du Monde à l’échelle des clubs prenne enfin sens. Henri Delaunay, qui est notamment l’un des artisans de la création de la grande Coupe du Monde et de l’EURO, en est alors l’instigateur. Une fois l’accord trouvé avec la CONMEBOL, la machine est lancée, les champions européens et sud-américains, considérés à l’époque comme les meilleurs au monde, vont pouvoir s’affronter en match aller - retour. Le 3 juillet 1960, Montevideo, qui avait accueilli la première finale de Coupe du Monde 30 ans plus tôt, accueille ainsi le premier match d’une Coupe Intercontinentale entre Peñarol et le grand Real. Les premières années sont celles des premiers géants, devenus légendes. Le Real Madrid de Di Stefano et Puskás, le Peñarol de Spencer, le Santos de Pelé sont les premiers vainqueurs (lire Santos - Benfica : quand Pelé porte Santos sur le toit du monde). La compétition s’installe rapidement, malgré la difficulté des voyages à travers l’océan, le titre de Champion du Monde attise bien des convoitises.

Violence et difficultés économiques

Malheureusement, la conséquence est que les choses vont dégénérer. La deuxième moitié des années soixante marque un tournant. Il y a dans un premier temps la violence qui s’installe sur les terrains sud-américains, Roberto Perfumo le résumant parfaitement d’une simple phrase « le match durait trois minutes, ensuite ce n’était que combat, coups et protestations », elle finit par se répandre. Il y avait déjà eu la « Bataille de Santiago » entre Chiliens et Italiens en 1962, la Coupe du Monde 1966, qui voit les Brésiliens sortis sous les coups adressés à leurs meilleurs joueurs, Pelé étant la cible principale, et les joueurs argentins traités « d’animaux » par le sélectionneur anglais de l’époque, enfonce le clou (lire 23 juillet 1966 : le vol pour la couronne, quand Europe et AmSud se divisent). Les Sud-Américains vont profiter de la Coupe Intercontinentale pour se venger. L’année suivante, le Racing s’impose face au Celtic lors d’un match de barrage organisé au Centenario de Montevideo (lire Quand le Racing apporte le football total en Argentine), un match qui reste aussi dans les mémoires sous le nom de « Bataille de Montevideo » par ses six expulsions, l’intervention de la police pendant la rencontre et les coups qui s’en suivent. Un cap supplémentaire est franchi lorsque le Milan AC de Neston Combin arrive à Buenos Aires deux ans plus tard pour y jouer Estudiantes. À l’époque, les Pinchas de Zubeldía dominent le continent par leur vice et leur pragmatisme, Matt Busby, qui les a croisés l’année précédente avec Manchester United avait déjà réclamé leur exclusion. Battus 3-0 à l’aller, les Argentins réservent un traitement honteux aux Italiens. Les coups donnés dans le tunnel au café chaud jeté sur les Milanais par les supporters lors de l’entrée de joueurs, les agressions de Poletti sur Rivera ou du KO reçu par Peirino Prati ne sont qu’un début. Car pendant ce temps, le traitement reçu par Nestor Combin, l’Argentin naturalisé Français et passé au rang de traitre par les locaux, est d’une violence inouïe. Déjà frappé par Poletti, Combin s’écroule ensuite, nez brisé par Ramón Aguirre Suárez. L’arbitre, d’une complaisance rare, ne bronche pas et demande même à l’attaquant milanais de reprendre le jeu. Ce dernier s’évanouit sur le terrain. Il est alors arrêté par la police militaire avant d’être relâché. Le scandale est immense. En Italie, les médias parlent de chasse à l’homme, rappellent que les Anglais avaient raison au sujet des Argentins. En Argentine, les sanctions tombent (Poletti par exemple est exclu à vie, Eduardo Luján Manera goûte même à la prison). Mais le cap est franchi, le retour en arrière impossible, les éditions suivantes se poursuivent dans la violence. L’année suivante, Estudiantes détruit (au sens premier du terme), Feyenoord, puis l’Ajax refuse de jouer Nacional en 1971, envoyant le Panathinaïkos à sa place qui termine avec une jambe fracturée pour Yiannis Tomaras. Les coéquipiers de Johann Cruijff décident de participer à l’édition 1972 qui leur offre Independiente et subissent encore de multiples agressions à l’aller disputé à Buenos Aires. Les Néerlandais décident alors de ne plus participer. La Juve prend la place en 1973, l’édition 1974 est refusée par le Bayern qui refuse de rencontrer Independiente et envoie l’Atlético de Madrid à sa place.

Estudiantes-Milan 1969, le tournant

Face à ce ras-le-bol européen, la résistance s’organise. L’Équipe tente de mettre en place une Coupe du Monde ouverte, intégrant champions de la CONCACAF et champions Africains lors d’un tournoi unique disputé à Paris. Refus des clubs européens. L’édition 1975 est annulée faute de participant issu de l’UEFA, le Bayern revient en 1976, explique les raisons de son absence de 1974 par le peu d’intérêt économique d’une telle épreuve, les éditions suivantes voient le champion d’Europe refuser d’y prendre part. La fin semble proche.

Renaissance et expansion

Pour sauver l’Intercontinentale, il faut une aide extérieure aux fédérations. Elle vient d’un partenaire. Le groupe japonais Toyota décide alors de s’investir dans cette compétition, la prend sous sa coupe avec pour contrepartie de la voir se dérouler chaque année sur un match au Japon et l’obligation donnée aux champions européens et sud-américains d’y participer (les deux équipes reçoivent alors une prime attractive). L’Intercontinentale est sauvée. Nacional remporte la première édition de la nouvelle version face à Nottingham Forest, lance la domination sud-américaine des années quatre-vingts, l’épreuve devient un vrai rendez-vous pour les deux continents. Au point qu’elle fait naitre l’envie aux autres champions d’y participer. L’Intercontinentale touche à son terme mais cette fois, pour la bonne cause.

Exclus depuis le début, champions de la CONCACAF, de la CAF et de l’AFC attendent toujours d’avoir leur chance, les quelques tentatives des années soixante/soixante-dix pour les incorporer ayant jusqu’ici toutes essuyées des refus. La FIFA prendra alors les choses en main. En 2000, le projet d’une Coupe du Monde élargie à l’ensemble des continents voit le jour, soutenu par le fait qu’alors chaque confédération dispose d’une véritable compétition continentale majeure parfaitement établie. Organisée au Brésil, cette compétition parallèle à l’Intercontinentale est un premier test. Malheureusement pour la FIFA, son partenaire marketing tombe, l’édition 2001 est annulée, les suivantes ne se disputeront pas. Mais le test a finalement ouvert la voie de l’expansion.

En 2005, l’idée de fusionner ce Championnat du Monde des Clubs avec l’Intercontinentale devient réalité. La Coupe du Monde des clubs voit le jour avec un nouveau trophée et l’ensemble des continents représentés. Elle s’est depuis installée dans le paysage footballistique, prenant une ampleur pour les autres confédérations qu’elle peine à trouver en Europe, faute d’une exposition similaire à celle qu’a pu connaître un temps l’Intercontinentale plusieurs décennies plus tôt, victime d’un manque d’intérêt pour les grands médias et un manque d’attractivité financière pour les nouveaux géants européens, mais aussi victime enfin d’un format qui ne fait plus l’unanimité. Au point que de nouvelles réformes sont désormais envisagées. En 2015, l’Afrique et l’Asie poussent pour une réforme, pour que le format change, en proposant de répartir les six participants en deux groupes de trois, un comprenant le représentant européen, l’autre le représentant sud-américain. Longtemps toute réforme est refusée par la FIFA alors que ce format aurait pourtant l’avantage d’offrir le même nombre de matchs à tous les engagés, de ramener un semblant d’équité. Mais les choses bougent. En 2022, un nouveau format sera mis en place. Si l'on n'en connait pas encore véritablement les contours, on sait déjà que le nombre de participants sera augmenté. L'Europe enverra huit équipes, l'Amérique du Sud en enverra six, l'Amérique du Nord et l'Afrique trois, l'Asie aura 2,5 spots, l'Océanie 0,5. Pas encore l'égalité parfaite, mais déjà une avancée.

Quand Bosman et la finance tuent l’AmSud

Tout imparfaite qu’elle est – pourrait-il en être autrement d’une compétition qui n’a que quatorze ans – la Coupe du Monde des Clubs vient pourtant s’inscrire dans une histoire bien plus grande, assurant un héritage vieux de plus d’un siècle, d’abord restreint à l’Europe et l’Amérique du Sud, depuis ouvert sur le monde. À l’heure du bilan statistique, l’Europe domine aujourd’hui outrageusement le reste du monde même si ce bilan doit être divisé en deux périodes bien distinctes articulées autour d’une date charnière : le 15 décembre 1995.

ajaxgremio95Photo : TOSHIFUMI KITAMURA/AFP via Getty Images

Ce jour-là, l’arrêt Bosman change à jamais le football désormais mondial. Comme le souligne Raffaele Poli dans Le Monde « La conjonction de deux facteurs, juridique et économique, amène une concentration de talents et des inégalités de plus en plus fortes ». L’argent des droits TV qui va permettre ainsi aux meilleurs clubs européens de piller sans relâche les autres équipes du continent mais aussi celles d’Amérique du Sud de leurs meilleurs éléments. L’arrêt Bosman catalyse le processus de mondialisation du football, creuse les fossés. Le palmarès de l’Intercontinentale qui deviendra ensuite Coupe du Monde des Clubs, n’y échappe pas. Alors que l’Ajax, symbolique dernier vainqueur pré-Bosman et ses neufs Néerlandais face au Grêmio de Scolari et ses neufs Brésiliens, met fin à trois années de domination sud-américaine, la suite n’est qu’une longue succession de défaites pour les équipes du nouveau monde.

Qu’importe la nouvelle formule faisant entrer en lice Océaniens, Asiatiques et Africains, plus rien ne peut stopper la domination européenne. Ils ne sont que quatre à réussir à sauver l’honneur sud-américain : Boca Juniors (qui s’offre le luxe d’un doublé), l'Internacional, São Paulo et le Corinthians de Tite, dernier vainqueur hors Europe (on met de côté l’édition 2000 qui n’était finalement qu’un test). Pendant ce temps, neuf équipes européennes se partagent les décrochent autres titres distribués. Le football a évolué, il a creusé les écarts, l’Intercontinentale avec. Le 23-5 pour l’Europe sur les vingt-huit dernières années illustre ce changement quand les trente-cinq premières années précédentes, malgré les polémiques et les formats (aller – retour ou match unique) s’étaient conclues sur un score plus serré de vingt à treize pour les Sud-américains. Pire, depuis 2012, l’Europe s’est toujours imposée, soit dix victoires de rang.

2023, la der'

L’heure est donc venue du dernier tour de piste d’une compétition dont le format est largement dépassé. On y croisera quelques habitués, comme Al Ahly, géant égyptien vainqueur de sa onzième Ligue des Champions et qui viendra ainsi disputer sa dixième Coupe du Monde des clubs, espérant pouvoir aller défier Fluminense en demi-finale, ou comme Auckland City, qui court depuis 2014 après le même miracle et doit d’abord passer un obstacle qui semble insurmontable en la personne du géant saoudien Al-Ittidad de Karim Benzema et désormais dirigé par Marcelo Gallardo. On y croisera aussi un León au costume du débutant quelques mois après son exploit en finale de CONCAChampions et un revenant, Urawa, qui boucle sa fin d’année par quelques matchs de Ligue des Champions et donc cette épreuve après avoir terminé au pied des accessits continentaux en J.League. Reste qu’évidemment, tous les regards se tourneront vers Fluminense. Tout aussi débutant que les Mexicains, le Flu de Diniz a vécu un dernier mois de décompression et n’a qu’une ambition, se frotter au City de l’anti-Diniz, Pep Guardiola, pour ce qui serait finalement l’un des grands intérêts de l’épreuve, voir ces deux écoles s’affronter. Difficile cependant de voir l’ogre anglais chuter, subsiste alors l’espoir de voir Fluminense accrocher le champion d’Europe comme Flamengo, Palmeiras et Tigres sont parvenus à le faire en 2019, 2020 et 2021. Histoire aussi de dire adieu à ce format avec une once de suspense, et ainsi se préparer au mieux à une toute nouvelle épreuve en 2025.

Nicolas Cougot
Nicolas Cougot
Créateur et rédacteur en chef de Lucarne Opposée.