Joueur majeur de la U et de la Roja sous Jorge Sampaoli, Charles Aránguiz a mis du temps avant de rejoindre le Vieux Continent.

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Natif du quartier de Diego Portales à Puento Alto, localité située à une vingtaine de kilomètres au sud de la grande agglomération de Santiago, Charles Aránguiz baigne rapidement dans le football par l'intermédiaire de sa mère Mariana Sandoval. En effet, cette femme de caractère et déterminée a su faire face à de nombreux obstacles notamment liés à son genre pour s'imposer dans le football associatif de son quartier et déclare : « le football de quartier est le berceau du football professionnel. ». Entraîneuse puis dirigeante de l'association de football amateur de Puento Alto, elle transmet sa passion à son fils et le dirige même au Club Deportivo Nueva Esperanza. À l'âge de onze ans, le jeune Charles intègre les équipes de jeunes du prestigieux club de l'Universidad de Chile. Mais deux ans plus tard, il n'est pas conservé et doit trouver une nouvelle équipe. Pendant un temps, Aránguiz (treize ans) s'entraîne avec un autre club réputé de la capitale : Colo-Colo. Cependant, l'aventure tourne court avec le Cacique. Une anecdote racontée au site Redgol par le défenseur de Palestino Bruno Romo, formé chez Los Albos, nous éclaire sur les raisons de son départ : « Charles jouait avec nous et l'entraîneur lui a dit qu'il allait jouer arrière droit. Très calmement, Charles a refusé. Le coach a alors dit "non, mais je suis l'entraîneur, tu vas jouer latéral droit". Et Charles a répondu : "Si je ne joue pas milieu, je ne joue pas" et l'entraîneur a dit : "Si tu ne joues pas en tant qu'arrière, tu peux partir". Et Charles a pris ses affaires et il est parti" ». Aránguiz prend alors la direction de Cobreloa et rejoint son académie. Clin d’œil du destin, il recroise la route de Colo-Colo. La suite est toujours racontée par Bruno Romo : « trois semaines plus tard, nous jouions contre Cobreloa et Charles était titulaire dans l'entrejeu. Il nous a fait très mal et notre entraîneur s'est arraché les cheveux ». À Calama, ville minière située dans le désert d'Atacama, Charles poursuit sa formation avant d'intégrer l'équipe première de Cobreloa en juin 2005 sous Jorge Socías. Mais il doit patienter encore début 2006 pour faire ses débuts sous la direction de Jorge Aravena. Il n'a alors que seize ans. Buteur face à O'Higgins, homme du match contre l'Universidad de Chile et qualifié pour les play-offs mais éliminé par Huachipato en quarts de finale, Aránguiz accumule confiance et expérience. Lors de la Clausura 2006, il gagne ses galons de titulaire avec Los Loínos. Auteur d'un bon championnat, battu par le champion en titre Colo-Colo en demi-finale de play-offs, Cobreloa arrache néanmoins sa qualification pour la Copa Libertadores. Il débute sur la scène continentale contre Paraná et son parcours s'interrompt dès le tour préliminaire (0-2 /1-1). Lors de l'Apertura 2007, l'équipe échoue aux portes d'une nouvelle qualification continentale (cinquième). 

Une lente montée en puissance 

Malgré ces bonnes prestations, Charles quitte temporairement Cobreloa pour rejoindre en prêt Cobresal lors de la Clausura 2007. Cet autre club du désert de l'Atacama, basé à El Salvador, l'accueille donc dans ses rangs. Absent des premiers matchs en raison de sa participation avec les U18 chiliens, il prend part à quatorze rencontres dont les quarts de finale face à la U contre laquelle il marque au match aller son unique but sous les couleurs de Los Mineros. Insuffisant pour franchir l'obstacle et continuer l'aventure des play-offs. De retour à Cobreloa, Aránguiz devient un élément essentiel sous la direction de différents coachs : le Paraguayen Gustavo Benítez, les Chiliens Marco Antonio Figueroa et Rubén Vallejos et l'Argentin Marcelo Trobbiani, champion du Monde 86 qui ose même la comparaison avec Ricardo Bochini. Ses bonnes prestations lui valent d'être repéré par les scouts de l'Udinese. Toujours à l'affût d'un bon coup, les Frioulans signent le milieu de terrain contre le paiement des droits de formation et une petite compensation financière et l'envoient illico en prêt à ... Colo-Colo.

Une opération facilitée par l'agent Fernando Felicevich. Malgré son amour pour le rival de la U, comme en atteste sa mère dans les colonnes de La Tercera : « toute ma famille est bleue. », Charles fait preuve de professionnalisme et se donne à fond pour le Cacique. Il développe une relation forte avec Hugo Tocalli. Titulaire indiscutable (vingt-trois matchs) malgré un statut de jeune en devenir, il prend part activement au titre acquis lors de la Clausura 2009. Avec le départ de Tocalli et l'arrivée de Diego Cagna, Charles perd du temps de jeu (neuf matchs). Le nouveau technicien ne veut pas s’appuyer sur un joueur juste de passage. Colo-Colo ne renouvelle pas le prêt. De toute façon, les Argentins de Quilmes dirigés par Hugo Tocalli offrent de meilleures conditions financières aux Italiens et l'international U20 chilien se dirige vers sa première expérience hors de ses frontières. Cette expérience n'est pas une franche réussite. La mauvaise passe de Quilmes lors de ce tournoi d'ouverture 2010 n'a sûrement pas aidé le joueur à s'exprimer totalement. Sa situation ne décourage pas le coach de l'Universidad de Chile de le recruter. Il s'agit d'un certain Jorge Sampaoli. L'Argentin est séduit par toutes les qualités du joueur et veut en faire la pierre angulaire de son milieu de terrain. Après avoir indemnisé Quilmes et acquis cinquante pour cent des droits, Charles endosse la tunique azul. Sampa installe un jeu offensif dans lequel l'activité incessante de son nouveau milieu matche parfaitement. Dès sa première année (2011), le succès est au rendez-vous avec les victoires lors de l'Apertura, de la Clausura et surtout le premier titre international du club : la Sudamericana.  

L'histoire sud-américaine de Jorge Sampaoli

Pièce maîtresse de l'effectif avec Edu Vargas, Marcelo Diaz et Eugenio Mena, Aránguiz découvre la sélection et glane un nouveau titre avec l'Apertura 2012. Désormais installé dans une grande équipe et international, statut renforcé par l'arrivée de Sampaoli à la tête de la Roja en novembre 2012, Charles éclabousse le championnat local de ses qualités de vitesse, d'endurance, de discipline tactique, d'agressivité dans le pressing et dans les duels. Néanmoins, la U rentre dans le rang et n'ajoute qu'une Coupe (2013) à son palmarès. Après toutes ces victoires, considéré comme l'un des meilleurs milieux du pays et membre de la génération dorée de Los Azules, il prend la direction du Brésil et de Porto Alegre. Toujours dans le giron de l'Udinese, il est prêté dans un premier temps à l'Internacional avec une option de rachat fixée à huit millions de dollars en faveur des Italiens. Mais ses bonnes performances incitent le board brésilien à l'acheter définitivement. Une bonne affaire pour le Colorado puisque, en plus de son titre de "Craque del Gauchão" du championnat Gaúcho remporté pour la 43e fois par l'Internacional, le Chilien réalise une Coupe du Monde 2014 de haut standing.

« Il est timide, parle peu, mais est important en tant que leader dans le vestiaire de l'Internacional. C'est un bon milieu de terrain, efficace en défense et capable de se projeter rapidement vers l'avant pour attaquer. Il a d'ailleurs inscrit onze buts en cinquante-sept matchs » - Alexandre Ernst, journaliste à Zero Hora

Encore méconnu du grand public, focalisé sur Alexis, Medel ou Vidal, le milieu d'un mètre soixante-douze crève l'écran. Dans le groupe B, composé de l'Espagne (tenante du titre), des Pays-Bas et l'Australie, le Chili se classe deuxième grâce à ses succès face aux Socceroos (3-1) et la Roja (2-0). Charles est impliqué dans les deux rencontres avec notamment un but inscrit à Iker Casillas. Malheureusement, l'aventure s'interrompt dès le premier tour à élimination directe. Confronté au pays hôte, le Chili laisse passer sa chance aux tirs au but et voit le Brésil poursuivre son chemin. Séduisante et joueuse, la Roja de Sampaoli a marqué la compétition malgré son élimination précoce. De son côté, Aránguiz s'est montré à son avantage et les sollicitations vont grandir en même temps que sa médiatisation. Mais avant de rejoindre le Vieux Continent, l'équipe d'Abel Braga se hisse sur le podium (troisième) du Brasileirão validant ainsi son ticket pour la Libertadores. Charles est récompensé personnellement par le titre de meilleur milieu de l'année et par sa nomination au XI type de la saison 2014. Comme l'année précédente, le Colorado domine le championnat d’état et s'adjuge le titre contre Grêmio dans un Grenal plus serré qu'en 2014. En Libertadores, l'Internacional règne sans problème dans son groupe où figure également l'Universidad de Chile. Les Brésiliens atteignent sans trop de difficultés le dernier carré après avoir sorti l'Atlético Mineiro et Santa Fe, mais la double confrontation face aux Mexicains de Tigres tourne à l'avantage du club d'APG.   

La confirmation en Allemagne  

Sélectionné pour la Copa América 2015 organisée au Chili, Charles va encore briller et prendre une nouvelle dimension. Facile leader du groupe A devant la Bolivie, l’Équateur et le Mexique, la Roja efface l'obstacle uruguayen pour atteindre la demi-finale. Face au Pérou, le doublé signé Edu Vargas propulse le Chili en finale malgré le csc de Medel. Outsider face à l'Albiceleste, la sélection toujours dirigée par Sampaoli, oppose une lutte farouche à Messi and co. Claudio Bravo sort le grand jeu devant Kun Agüero pour préserver le score. Si chaque équipe a l'occasion d'ouvrir la marque, le tableau d'affichage n'évolue ni pendant le temps réglementaire ni pendant la prolongation. La séance des tirs au but détermine la vainqueur et le Chili ne tremble pas avec un sans-faute dont celui de Charles et la panenka décisive de Alexis. De l'autre côté, seul Messi réussit sa tentative. Higuaín, au-dessus, et Banega, stoppée par Bravo, manquent leur frappe. Le Chili remporte son premier titre continental, un succès qui porte la marque de Aránguiz comme le déclare Marcelo Díaz : « Charles Aránguiz est le joueur le plus décisif que l'équipe nationale chilienne a et a eu. Il n'a pas les lumières d'Arturo Vidal ou d'Alexis Sanchez, mais il fait tout le travail, le bon comme le mauvais. Je l'admire beaucoup en tant que footballeur, mais aussi en tant que personne, car il ne veut apparaître nulle part. Pour moi, c'est le meilleur d'entre eux. Il a d'ailleurs été le meilleur joueur de la Coupe du Monde au Brésil et de la Copa América 2015 ».

Désormais reconnu sur le continent sud-américain mais aussi à l'international, le temps est venu pour El Príncipe de régner sur un nouveau royaume. Sur les tablettes de Marseille et de Leverkusen, le Chilien opte pour la Bundesliga avec un transfert estimé à environ treize millions d'euro. Âgé de vingt-six ans, Charles traverse l'océan Atlantique pour poser ses bagages en Rhénanie-du-Nord-Westphalie dans la capitale allemande de l'industrie chimique. Mais son aventure avec Die Werkself commence par un très gros coup dur. Quelques jours après sa signature, le 20 août 2015, il se rompt le tendon d'Achille de la jambe gauche à l'entraînement. Sur le carreau pendant près de huit mois, Aránguiz manque la majeure partie de la saison 2015/16 et n'effectue ses débuts officiels que le 1er avril 2016 en remplaçant Stefan Kiessling (88e) lors de la victoire 3-0 du Bayer sur le VfL Wolfsburg. Néanmoins, il ponctue sa « première saison » sur une note positive, signant une réalisation contre le Borussia Mönchengladbach lors de l'avant-dernière journée. En dépit de sa grave blessure et du départ de Sampaoli pour Séville, il conserve la confiance du nouveau sélectionneur Juan Antonio Pizzi et fait partie de la liste des vingt-trois pour la Copa América Centenario, organisée aux États-Unis. Tenant du titre, le Chili inaugure son parcours par une défaite face à l'Argentine (0-1) dans le groupe D mais les victoires contre la Bolivie (2-1) et Panamá (4-2) lui assure un ticket pour la phase éliminatoire. Après avoir étrillé le Mexique en quarts de finale (7-0), la Roja efface l'obstacle colombien et Charles s'ajoute à la table de marque (2-0). En finale, le Chili retrouve l'Albiceleste de Messi au MetLife Stadium pour la revanche de l'édition précédente. Dans un match équilibré et âprement disputé, les deux équipes ne parviennent pas à se départager et doivent en passer par la séance de tirs au but. Si Messi et Vidal manquent chacun leur tentative, plus aucun Chilien ne rate (dont Aránguiz) alors que Biglia voit son tir arrêté par Claudio Bravo. Bicampeones de América, les joueurs de la génération dorée frappent un grand coup sur le continent.   

« Charles est un joueur très intelligent tactiquement. Il se démarque aussi en matière de courage et d'engagement. Désormais, c'est l'un des leaders de ce groupe. » - Iván Zamorano

Et la prestation de Charles est encore saluée par la critique, notamment pour un joueur revenant après une grave blessure. De retour en Allemagne, auréolé de ce nouveau titre continental, El Príncipe peut enfin montrer l'étendue de ses talents aux fans du Bayer. Grâce à leur troisième place acquise lors de l'exercice précédent, Die Werkself disputent la Champion's League. Dans le groupe E, Leverkusen termine à la seconde position derrière Monaco, devant Tottenham et le CSKA Moscou, mais l'aventure européenne s'interrompt dès les huitièmes de finale contre l'Atlético de Madrid (2-4 / 0-0). En revanche, le parcours en Bundesliga est moins glorieux avec une modeste place dans le ventre mou du classement (douzième). Après deux saisons contrastées, Charles prend enfin son envol lors de la saison suivante. La progression d’Aránguiz, élu meilleur milieu défensif de Buli, permet de solidifier la défense du Bayer (quarante-quatre buts encaissés contre cinquante-cinq en 2016/17), de retrouver le top 5 du classement et les joutes continentales via l'Europa League. La saison 2018/19 débute mal avec trois défaites consécutives qui fragilisent la position d’Heiko Herrlich, remplacé en janvier par Peter Bosz. La nouvelle donne et l'émergence de Kai Havertz stimulent l'effectif. Le club enregistre onze victoires, un nul et quatre défaites lors de la phase retour et accroche une belle quatrième place, synonyme de Champion's League. Parallèlement, l'équipe allemande doit céder contre Krasnodar en seizièmes de finale (0-0 / 1-1) d'Europa League mais Charles en profite pour inscrire son premier but européen. En 2019/20, Leverkusen conserve sa bonne dynamique et reste dans le top 5 allemand. Le Chilien est l'un des joueurs clés de ce groupe et ses stats sont régulières d'une année à l'autre. Dans un groupe relevé avec la Juventus et l'Atlético de Madrid, le Bayer parvient à sauver les meubles avec la troisième place et file en Europa League. Et même si les Allemands éliminent Porto (2-1 / 1-3) et les Rangers (1-3 / 1-0), ils s'inclinent face à l'Inter (2-1) en quarts. Nommé capitaine à la place de Lars Bender, Aránguiz prend du galon à la BayArena. Amputé des départs de Havertz et de Volland, Leverkusen réalise une année paradoxale. Leader en décembre, l'équipe s'effrite après la trêve et Bosz doit quitter son poste après une inquiétante série de défaites. Le club stabilise sa chute au classement à la sixième position et va rejoindre l'Europa League en 2021/22. Si des problèmes de tendon d'Achille l'ont à nouveau ennuyé pendant plus de deux mois, il a ensuite récupéré ses moyens pour aligner des performances dans la lignée des saisons précédentes. Avec quatorze buts et vingt assists en cent quarante-cinq matchs (toutes compétitions confondues), son influence n'est plus à démontrer comme le confirme Simon Rolfes, ancien coéquipier d'un autre Chilien (Vidal) en Allemagne et désormais directeur sportif du Bayer, au journal As au Chili : « Grâce à Bundesliga Match Facts, nous pouvons analyser les performances de Charles lors de cette saison 2020/21. Avec un taux de réussite des passes de 87%, 91% sans pression et 79% sous pression et une moyenne de 12,3 kilomètres par 90 minutes jouées, il possède l'un des meilleurs bilans du Bayer Leverkusen ». Au club depuis six ans, Charles est devenu un élément majeur pour Die Werkself. Une carrière construite discrètement mais efficacement.

 

Crédit photo : imago/Photosport

Nicolas Wagner
Nicolas Wagner
Rédacteur Europe pour Lucarne Opposée