Le mois de mai est enfin arrivé. Après de long voyages et d’intenses préparations, vingt-deux équipes se présentent à Paris pour un tournoi comme jamais le monde n’en a encore connu. Dès avant son début, la compétition est historique pour les footballeurs du monde entier.

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Épisode 5 - Épisode 6 - Épisode 7- Épisode 8

Au moment du tirage au sort effectué au mois d’avril, vingt-trois pays se sont inscrits, le tirage au sort est intégral et sept matchs de tour préliminaire sont prévus avant les huitièmes de finale. Un match de tour préliminaire était prévu entre la Suède et le Portugal, mais le désistement de ces derniers a entraîné la qualification directe des Suédois. Il n’y a donc que six matchs de tour préliminaire. Le tournoi est la suite logique de celui de 1920, durant lequel seize pays s’étaient affrontés sur le même modèle. De nombreux pays participent à nouveau comme l’Égypte (seul pays non-européen en 1920), la Belgique, l’Espagne, la France, l’Italie, le Luxembourg, les Pays-Bas, la Suède, la Tchécoslovaquie et la Yougoslavie. Ces pays, dont beaucoup sont proches de la France en termes géographique et footballistique, ne sont donc pas complètement inconnus. Dans tous les cas, de nombreux joueurs des autres équipes européennes sont connus via des tournées d’équipe, notamment pour ce qui est des équipes d’Europe centrale.

Parmi les autres, l’inconnue est presque totale. L’Irlande n’a jamais encore joué de match en dehors du giron britannique, les pays baltes viennent d’obtenir leur indépendance. L’Uruguay vient de jouer le premier match d’une équipe sud-américaine en Europe lors de sa tournée espagnole précédent le tournoi. Le guide du tournoi des lignes suivante ne présente pas les « Entraîneurs » ou « Sélectionneurs », postes absents des comptes-rendus et analyses de l’époque. Rappelons également qu’à cette période, il n’y avait pas de changement durant le match et le onze de départ était constitué par un comité, dans la majorité des cas avant la compétition.

Programme du début de la compétition

Tour Préliminaire

Dimanche 25 mai
Italie – Espagne
Tchécoslovaquie – Turquie
Suisse – Lituanie
États-Unis – Estonie

Lundi 26 mai
Uruguay – Yougoslavie
Hongrie - Pologne

Huitièmes de finale

Mardi 27 mai
France – Lettonie
Pays-Bas – Roumanie

Mercredi 28 mai
Vainqueur de Suisse – Lituanie contre Vainqueur de Tchécoslovaquie – Turquie
Irlande – Bulgarie

Jeudi 29 mai
Vainqueur d’Italie – Espagne contre Luxembourg
Suède – Belgique
Égypte contre Vainqueur de Hongrie – Pologne
Vainqueur d’Uruguay – Yougoslavie – Vainqueur d’États-Unis – Estonie

Les équipes

Belgique

S’il est bien une équipe connue des Français, il s’agit de la Belgique. Ils se sont d’ailleurs déjà rencontrés en 1900 lors des Jeux de Paris lors d’un match du tournoi de démonstration regroupant trois équipes, une Belge, une Française et une Anglaise. Depuis, hors Première Guerre mondiale, les deux équipes se rencontrent annuellement avec un France – Belgique déjà joué en janvier 24 et remporté par les Bleus (2-0). La Belgique joue aussi régulièrement les Pays-Bas, comme ils l’ont fait en mars 1924. L’équipe est championne olympique en titre et possède de nombreux joueurs expérimentés : « L'équipe nationale de Belgique n'est pas une inconnue pour les sportsmen français. Ses joueurs ont chez nous une réputation solide et bien établie. Brillants vainqueurs du tournoi olympique de 1920, à Anvers nos voisins et amis d'outre-Quiévrain, possèdent toujours une équipe d'excellente valeur. Les De Bie, Verbecke, Swartenbroeckx, Fierons et autres Coppée, qui furent, en 1920, les piliers du onze au maillot rouge, sont toujours présents et n'ont rien perdu de leurs brillantes qualités. Aussi, malgré la défaite subie en janvier dernier, à Buffalo, par l'équipe belge, il sied de la considérer comme l’un des plus dangereux adversaires des Jeux de Paris ». Les joueurs proviennent de différents clubs, dont six de l’Union Saint-Gilloise.

La « star » et capitaine de l’équipe est Armand Swartenbroeks, écrit aussi Swartenbroekx, docteur et défenseur central, qui a notamment participé à la Première Guerre mondiale en tant que médecin militaire. L’Auto le décrit ainsi : « Swart est un des joueurs les plus connus du continent. Athlète remarquable, grand, puissant et souple, il attire de suite l'attention dès qu'il pénètre sur le terrain. Pratique depuis ses débuts au Daring Club de Bruxelles dont il est l'âme et la meilleure unité. Il constitue avec De Bie et Verbeeck la défense de l'équipe nationale belge, qu'il commande depuis quelques années. Swart est un footballeur accompli. Malgré sa puissance rare, il pratique un jeu tout de finesse et ses interventions sont fort judicieuses. Il excelle à soutenir sa ligne de demis et il affectionne participer aux attaques de son équipe. C'est un des meilleurs arrières qu'ait produit la Belgique et son nom est attaché aux plus grands succès remportés par le onze national d'outre-Quiévrain. Très connu et estimé à Paris, Swart, qui adore notre capitale, se trouvera comme chez lui au prochain Tournoi Olympique ». L’équipe est exemptée de premier tour.

Bulgarie

La Bulgarie est footballistiquement une inconnue. L’annonce de la participation du pays est faite assez tôt, dès le 6 février 1924. La Fédération profite d’ailleurs du congrès de la FIFA ayant lieu juste avant la compétition pour obtenir son affiliation le 25 mai. « Sans avoir joué en Europe Occidentale, les Bulgares se sont fréquemment affrontés avec succès contre les meilleures équipes de l'Europe Centrale. […] La Bulgarie en maillot vert et culotte blanche ». Si les Bulgares ont affronté les meilleures équipes d’Europe Centrale, c’est en club car, pour ce qui est de la sélection, c’est en partance pour la France que la Bulgarie joue sa première rencontre internationale, contre l’Autriche à Vienne, qu’elle perd 6-0. La majorité des joueurs sont issus du Levski Sofia ou du Slavia Sofia. L’équipe est également exemptée de premier tour.

Égypte

Les Égyptiens sont tout à la fois connus et inconnus. Ils participent déjà aux Jeux en 1920, seul pays hors-Europe à participer à la compétition (même si sous protectorat britannique). Début mai 1924, la revue L’Égypte Nouvelle annonce : « L’Égypte n’est plus seulement en Afrique, elle fait aussi partie de l’Europe… Et l’Égypte sportive sera elle aussi dignement représentée dans la grande manifestation internationale de la Huitième Olympiade. L’équipe d’Égypte de Football qui est arrivée mercredi matin à Paris autorise les meilleurs espoirs. Accompagnés de M. A. C. Bolanachi, délégué au Comité Olympique pour l’Égypte, les équipiers égyptiens ont été reçus immédiatement dans les salons du Comité Olympique français par M. Jules Rimet, vice-président du Comité et président de la Fédération Internationale de Football-Association. […] Le secrétaire de l’équipe égyptienne, Mohamed Youssef [il s’agit de l’arbitre également appelé Youssouf Mohamed] remercia au nom de tous ses coéquipiers de la réception qui leur était faite et qui les avait tous très touchés. Il ajouta que si les Égyptiens avaient attiré l’attention des sportifs à Anvers en 1920, ils avaient fait depuis de grands progrès et comptaient cette année faire mieux encore ». L’article continue en expliquant que les joueurs ont été sélectionné dans les meilleurs clubs d’Alexandrie (il y en aurait une dizaine) et du Caire (il y en aurait six).

L’équipe est composée au total de vingt joueurs. Exempte de tour préliminaire, mais déjà présente sur le territoire, la sélection égyptienne cherche un adversaire pour un match de préparation. Le 14 mai, le Journal de Rouen annonce la tenue d’un match entre la sélection égyptienne et l’équipe de France B : « Les Rouennais n’ont pas appris sans une grosse émotion l’annonce d’un match international préolympique sur le stade des Bruyères dimanche prochain. […] Il serait superflu de vouloir démontrer l’importance de cette rencontre qui arrive sans crier gare, mais qui, de ce fait même, est appelée à n’en obtenir que plus de succès auprès de nos fervents habitués et de tous ceux qui savent ce que les Jeux Olympiques apportent d’émulation sportive dans le monde entier. Prix des places fixé par la Fédération : Tribune, 8fr, Pesage, 5fr, Pourtour, 3fr ». Le quotidien poursuit toute la semaine à faire monter la pression sur ce match, mettant en avant le choix de la Fédération Française pour la ville de Rouen, amatrice de football. Le 15, le quotidien écrit :« L’équipe nationale d’Égypte est sûre de recevoir de la grande foule un accueil enthousiaste. Les joueurs qui la composent sont dignes de leur sélection olympique. Entraînés grâce aux méthodes anglaises, ils sauront s’imposer et allieront leurs qualités nationales aux principes reçus de leurs éducateurs. De plus, la chaleur estivale dont nous sommes gratifiés en ce moment leur rappellera les jours brûlants de leur pays ». Le 16 et le 17, à nouveau : « Ce serait un tort de croire que l’équipe d’Égypte, parce que inconnue de nous, n’est pas à même de se mesurer dans des rencontres de cette envergure. On a pu voir ces jours-ci que l’équipe de l’Uruguay, totalement inconnue elle aussi, avait battu les meilleures équipes espagnoles ». Le 18, le journal précise que l’équipe joue en maillot rayé rouge et blanc, culotte blanche et bas rouge et blanc, et que le gardien Kamel Taha est le capitaine, lui qui était déjà du groupe à Anvers. Sous un soleil de plomb, après un levé de rideau entre les juniors du FC Rouen et la Vie au Grand Air de Saint Maur, l’Égypte et la France font match nul (2-2). Plus de cinq mille personnes garnissent les gradins. La première mi-temps est marquée par la domination française, dans le jeu et au score avec les deux premiers buts. À la reprise, l’Égypte attaque et Ismail, l’ailier droit, marque de la tête avant que Riad n’égalise d’une reprise sur un centre venu de la gauche. Les Égyptiens repartent ovationnés par la foule, satisfaite du spectacle. Leur jeu est caractérisé comme très anglais : « la balle haute, et même très haute, est très en honneur ». L’Auto les décrit ainsi : « Les Égyptiens sont de beaux athlètes, pratiquant un jeu courtois mais sans grand relief. Ils affectionnent le jeu en l’air, longs dégagements très puissants et le débordement rapide ».

Espagne

L’Espagne avait laissé une très belle impression en 1920 et arrive en 1924 avec un statut d’outsider, presque de favori. En 1920, l’équipe avait obtenu une médaille d’argent lors d’un tournoi de classement, après avoir perdu en quarts contre la Belgique. L’équipe se prépare depuis fin 1923 et a recruté à cette occasion un allemand, Walter Kleffel, comme préparateur. Elle joue l’Italie en mars (0-0), équipe qu’elle va retrouver, hasard du tirage au sort, au tour préliminaire. Ce match, l’un des premiers du tournoi, est attendu avec impatience. La star de l’équipe est Ricardo Zamora, son gardien. « Nos joueurs le connaissent bien. Bel athlète, sûr de lui, agile et décidé, il défend les bois espagnols. Son exhibition aux Jeux Olympiques d'Anvers en 1920, fut remarquable et l'imposa. Ricardo Zamora, âgé d'une trentaine d'années, fit ses premières armes dans l'équipe du F.C Barcelona en 1909. À cette époque, il ne connaissait du football que ce qu'il en avait appris pendant les récréations à l'Institut Général Technique de Barcelone où il jouait avec de petites balles en compagnie de quelques futurs as dont Alcantara, Zamora a pratiqué tous les sports, depuis la pelote basque jusqu'au water-polo en passant par le cyclisme et la boxe. Bien entendu il fut aussi matador...L'attribut de Zamora est un chat qu'il porte brodé sur son maillot. Il a de cet animal la souplesse et la détente et aussi, l'inquiétante félinité. Les compatriotes l'admirent sans réserve. Ils ont baptisé son fameux dégagement au poing la Zamorana, tout simplement ».

L’équipe arrive le 22 mai à Paris, gare d’Orsay. Elle vient de battre Newcastle en match de préparation. Cinq joueurs étaient déjà présents en 1920. L’écho des Sports décrit le match du tour préliminaire contre l’Italie ainsi : « Les rencontres préliminaires seront loin d’être à dédaigner. L’une d’elles aura même une importance considérable et ne sera pas loin d’être considérée par certains comme le clou du tournoi, ou tout au moins comme une manière de championnat des pays latins encarté dans le programme du tournoi. C’est le grand, le très grand match de la journée de dimanche. Ces deux pays qui, depuis la guerre, ont battu la France, ne se sont rencontrés qu’une fois, et cette saison même. Ils firent match nul, aucun d’eux n’arrivant à marquer. L’on conçoit quelle rivalité existe entre les deux adversaires. Ce sera un vrai régal de contempler ce match : merci au tirage au sort de nous l’avoir réservé. Mais regrettons toutefois que l’un des deux adversaires soit prématurément éliminé ».

Estonie

Les pays baltes dans l’ensemble sont des inconnus. L’Estonie par exemple, écrit Esthonie dans la presse, vient d’obtenir son indépendance et joue son premier match en tant que sélection en 1920 contre la Finlande. Comme nombre de ces pays, la fédération s’affilie à la FIFA (en 1923) et s’inscrit pour le tournoi olympique de 1924. L’équipe quitte Tallinn début mai et passe par Budapest pour jouer un match de préparation contre des joueurs issus des équipes de la ville. Arrivés à Paris, ils assistent au dernier match de préparation de l’équipe de France contre West Ham. Ils affrontent les États-Unis lors du tour préliminaire. L’auto écrit : « L'équipe américaine de football aura pour adversaire le onze de l'Esthonie. Avouons que cela sera du nouveau pour nous que d'assister à ce match. Que vaut l'Esthonie ? Encore un X de plus ». Ils évoluent maillot bleu, culotte blanche.

États-Unis

Voir l’article spécial ici.

France

Le pays hôte se prépare depuis de nombreux mois, adaptant sa saison, organisant plus de rencontres internationales que d’habitude. La presse hésite entre dépit et espoirs. Ainsi, le 1er janvier, Gauthier-Chaumet souhaite dans L’auto une performance « honorable » à la France. Il faut dire que le pays a (déjà) un rapport paradoxal avec le ballon rond. Sur la place du football, on peut lire : « Pourquoi faut-il que le football, si populaire, si puissant, avec son armée de pratiquants, ne jouisse pas de la même popularité que le rugby, dont les adeptes sont une fois et demie moins nombreux? Comment se fait-il que la vogue de ce sport ne soit pas au moins égale à celle du ballon ovale ? Entendons-nous bien. Il ne s’agit pas de discuter l'intérêt que la Province et que Paris témoignent au football. Mais, cependant (et je le sais par ce que je vois, par ce que j 'entends), le football ne remue pas les foules. Une rencontre internationale de rugby est un événement dont on parle longtemps à l'avance. Les grands quotidiens d'informations ouvrent largement leurs colonnes au compte rendu d’un match France - Écosse de rugby ; ils commentent assez longuement les parties de Championnat de ballon ovale; et, par contre, leurs rédacteurs sportifs doivent quelquefois batailler pour obtenir la place indispensable que nécessitent une rencontre internationale ».

L’Auto conteste aussi le choix des sélectionnés dans ses articles, indiquant en avril :  « J'avoue que ses détracteurs ont quelque raison d'être étonnés de la désignation de certains joueurs. On a froidement éliminé Hugues... qui revient en forme, on remplace Bernard Lenoble, surentraîné, par... Gravier, qui est en déclin de forme. Et pour continuer cette façon bizarre de choisir des internationaux appelés à rencontrer des équipes de grande classe, on conserve Gross qui, après un France - Belgique où il fit figure honorable, fut terne au cours du match Armée Française contre Armée Anglaise, et inexistant au dernier France - Suisse. Gross est une possibilité pour l'avenir, mais il n'a pas actuellement la classe internationale. Et que fait-on de Darques qui a sa place dans l'équipe de France ; de Bard, qui est en belle forme et est toujours un de nos meilleurs avants. Nicolas reprendra sa place au centre, c'est maintenant certain et heureux pour nos couleurs, car Rénier, malgré toute sa valeur, ne peut espérer mieux que le poste de suppléant ».

Le dernier match de préparation a lieu le 17 mai contre une sélection professionnelle anglaise à Pershing. Malgré la défaite (3-1), L’Auto écrit : « Nos footballeurs ont réalisé enfin cet esprit national sans lequel il n'est point de succès. Surtout lorsqu'une technique imparfaite, une équipe inégale, une tactique incohérente viennent par surcroît réduire à zéro les chances de succès. Nous n'aborderons pas les Jeux Olympiques avec la certitude d'y vaincre, mais avec de belles possibilités. On peut, en tout cas, être persuadé que nous y jouerons avec honneur ». Le tirage au sort a dans tous les cas exonéré la France de tour préliminaire.

Hongrie

La Hongrie est une vieille connaissance et une de ces puissances centrales comme l’appel la presse de l’époque pour parler de l’Europe Centrale. La sélection existe depuis plus de vingt ans et trente joueurs sont sélectionnés en avril pour participer à un camp d’entraînement. Les joueurs sélectionnés affrontent d’abord l’Autriche à Budapest le 5 mai (2-2) et quittent la Hongrie pour la Suisse pour jouer deux rencontres de préparation contre la sélection locale puis contre l’équipe d’Aarau. Le 18, la Suisse bat la Hongrie sur le score de 4 buts à 2. La France n’a plus joué la Hongrie depuis l’avant-guerre mais l’équipe n’est pas une inconnue puisque : « Nous avons pu constater à Paris la valeur des équipes de Pologne et de Hongrie. La Cracovia F.C. et l'U.T.E. de Budapest ont joué la saison 1922-23 à Paris. L'exhibition fournie par chacun de ces deux est encore présente à la mémoire des Parisiens ». La liste hongroise contient la particularité, peu commune pour l’époque, de contenir des joueurs jouant à l’étranger comme Béla Guttmann qui évolue à l’Hakoah de Vienne en Autriche ou Ferenc Hirzer qui évolue au Makkabi Brno en Tchécoslovaquie. Les deux seront d’ailleurs amenés à devenir de célèbres entraîneurs. L’équipe doit participer au tour préliminaire en affrontant la Pologne.

Irlande

L’État libre d’Irlande est nouvellement indépendant et profite de la FIFA pour marquer son indépendance. Entre septembre et octobre 1923, l’Irlande se fait affilier par l’organisme d’Amsterdam et arrive tant bien que mal à se faire accepter par Londres, qui refuse cela dit que des joueurs de l’Ulster participe à cette nouvelle sélection, comme indiqué dans un communiqué du Comité Olympique du Royaume Uni le 1er avril, qui outre-passe largement les prérogatives de ce comité. Dans tous les cas, la presse est extrêmement heureuse de cette participation « Anglo-saxonne », qui est clairement une épine dans le pied dans Anglais. L’Irlande va donc jouer son premier match de compétition en tant que sélection à Paris en 1924, sous réserve de trouver le financement du voyage. Une collecte est donc organisée longtemps à l’avance incluant les contributions de club irlandais (Bohemians, St James Gate, Athlone Town, Shelbourne ou encore Shamrock Rovers). Mais un match amical est aussi joué contre le Celtic Glasgow, devant 22 000 personnes, qui permet de récolter les fonds nécessaires. La compétition de 1924 joue donc un rôle fondamental pour la sélection irlandaise, comme cela a été reconnu récemment par la Fédération. L’équipe arrive tardivement, le 25 mai, étant exonérée de premier tour. Elle arrive par la gare du nord et va déposer le lendemain, à 11 heures, une gerbe sur la tombe du soldat inconnu. Selon L’Auto, l’Irlande joue en maillot bleu avec trèfle vert et les joueurs tiennent fièrement leur drapeau, libres. L’Humanité, qui ne perd pas une seule opportunité de critiquer le tournoi, reproche à l’équipe de ne pas avoir de joueur de la province de l’Ulster, « les meilleurs de la verte érine ».

Italie

L’Italie fait partie des équipes ayant déjà participé au tournoi de 1920 et qui se sont inscrits très tôt et logiquement au tournoi de 1924. L’équipe se prépare en rencontrant l’Espagne en début d’année (0-0), puis selon L’Auto le Makkabi Budapest début mai à Bologne (1-1) et ensuite l’Austria Vienne, champion d’Autriche 1923/24, appelé à l’époque le SV Amateure (1-1). Le match se déroule à Turin, « en chemin » vers Paris ou l’équipe arrive le 22 mai à la Gare de Lyon. L’Italie fait partie des quelques nations refusant de se joindre au village olympique et l’équipe reste à la villa des italiens à Neuilly Sur Seine. Leur premier match, contre l’Espagne, est le choc du tour préliminaire, le Derby Latin selon la presse. Les Italiens déclarent dans la presse : « Hélas ! Nous débutons contre un adversaire redoutable, un des plus sérieux du tournoi, […] mais nos joueurs tenteront l’impossible pour la victoire ! ». L’Italie joue maillot bleu avec l’écusson de Savoie, culotte blanche.

Lettonie

Comme ses voisins baltes, la Lettonie profite de son indépendance pour s’affilier à la FIFA en même temps que la sélection joue ses premiers matchs. La première rencontre a lieu en 1922 contre l’Estonie, la même année que son affiliation à la FIFA. Deux ans plus tard, l’équipe est l’une des premières à confirmer sa venue à Paris, bouclant son inscription dès le mois de mars. L’équipe est exonérée de premier tour et affronte la France lors des huitièmes de finale. « Nos joueurs vont aujourd'hui rencontrer l'équipe de la Lettonie. Qu'ils ne croient pas que la victoire est pour eux chose aisée et assurée ; qu'ils n'oublient pas que toutes les équipes qui prennent part aux Jeux Olympiques représentent chacune une nation, dont elles veulent faire triompher les couleurs, et surtout qu'ils pensent que l'honneur de notre football exige qu'ils donnent leur maximum moral et physique. Les Lettoniens sont de valeur sensiblement égale à celle des Esthoniens. Ceux-ci firent contre les Américains mieux que figure honorable, puisqu'ils eurent constamment le meilleur dans le jeu. Mais il est probable qu'ils seront inférieurs en vitesse et en décision. Aussi, il est probable que la France se qualifiera pour le tour suivant ».

Lituanie

Comme les autres pays baltes, la Lituanie envoie une équipe à Paris alors que sa sélection est toute jeune. Dans son cas, il ne s’est pas passé un an depuis son premier match contre l’Estonie en juin 1923. Quinze joueurs sont du voyage vers Paris, alors que l’équipe s’apprête à jouer la Suisse en tour préliminaire. Selon L’Auto, les Lituaniens « jouent au football depuis deux ans seulement et le team est composé d'étudiants de l'Université de Kovno et d'officiers ». La Lituanie joue maillot blanc, parements verts, culotte verte.

Luxembourg

Habituée à la compétition internationale avec ses voisins, l’équipe du Luxembourg joue depuis plus de dix ans déjà. Début mai 1924, elle se prépare en affrontant une sélection B de la Belgique, victoire 2-1. Le Luxembourg s’apprête à jouer le vainqueur d’Espagne-Italie après avoir été exempté de tour préliminaire. L’équipe joue maillot rouge (grenat, selon les sources), culotte blanche, bas bleus. Après la victoire italienne et avant la rencontre, L’Auto indique : « Que fera le Luxembourg contre le onze italien ? Les Luxembourgeois ne sont pas à dédaigner, loin-de là. Ils présentent une équipe de tout premier ordre qui saura par son calme tenir tête à la fougue italienne et peut-être même lui imposer son jeu ».

Pays-Bas

C’est, avec la France, l’autre pays qui se sera battu pour internationaliser le football avec la FIFA. C’est d’ailleurs un hasard glorieux qui fait que deux Olympiades de suite se disputent à Paris puis Amsterdam, hasard auquel le football doit beaucoup. La Hollande, comme elle est mentionnée, s’inscrit dès février au tournoi. Une sélection de joueurs est faite dès le 5 mars avec trois joueurs par poste. Cette sélection affronte la Belgique en mars, puis l’Allemagne le 22 avril devant plus de 30 000 personnes (victoire allemande 1-0).  L’Auto qualifie le jeu néerlandais de « méthodique, fait de courtes passes. La défense est excessivement solide ». Contre la Roumanie en huitièmes « il apparaît que la Hollande ne peut être battue et sa victoire est quasi-certaine ». L’équipe est connue et reconnue mais ne fait pas partie des favorites.

Pologne

La Pologne est à ranger dans la catégorie des nouveaux venus avec une fédération fondée en 1919 juste après que le pays a recouvré son indépendance. La fédération indépendante est affiliée à la FIFA en 1923. Dès 1921, l’équipe commence les rencontres internationales avec une défaite contre la Hongrie (0-1). La Pologne s’inscrit donc naturellement pour le tournoi et se prépare en se déplaçant à Stockholm pour y jouer la Suède le 18 mai. La Pologne doit jouer le tour préliminaire contre la Hongrie à Bergeyre.

Roumanie

La Roumanie est bien présente sous l’impulsion de Carol II, prince héritier et futur Roi de Roumanie, qui adore le sport. Dès début mars, selon L’Auto : « Le Comité Olympique Roumain s'est réuni ces jours-ci sous la présidence de S.A.R. le Prince héritier Carol. Il décida d'aviser le Comité International Olympique que la Roumanie sera représentée aux Jeux de Paris dans les sports suivants : Football association (15 athlètes), athlétisme (15), rugby (19), tennis (4), tir à la cible (6), tir au pigeon (3), escrime (10), soit 72 représentants et huit remplaçants et officiels. Le Ministère de la Guerre sera sollicité pour l’organisation et l'envoi d'une équipe hippique. Quatre millions de leis sont prévus pour la préparation olympique et le voyage des athlètes. On espère couvrir une partie de cette somme par souscription et faire appel à L’État pour le reste ». La Roumanie participe donc en football et en rugby, et sera aussi l’un des seuls pays européens à se rendre à l’appel de l’Uruguay pour la première Coupe du Monde de 1930. En chemin vers Paris, l’équipe roumaine joue l’Autriche à Vienne et les locaux l’emportent par 4 buts à 1. Les Roumains sont exemptés de tour préliminaire, mais doivent jouer les Pays-Bas en huitièmes. Le pronostic est sombre pour la Roumanie, même si « l'équipe de Roumanie est moins connue en France. Ses principales performances sont les suivantes : match nul avec la Turquie (2 à 2), match nul avec la Pologne (1 à 1), battue par la Yougoslavie (3 à 1). Ces résultats montrent bien que l'équipe de Roumanie n'est pas dénuée de valeur. Son jeu s'apparente très certainement avec le jeu hongrois. Ce sont en effet les équipes de ce pays qui ont été généralement leurs adversaires dans les matches interclubs. Néanmoins, il apparaît que la Hollande ne peut être battue, et sa victoire est quasi-certaine ».

Suède

La participation de la Suède est en même temps une évidence, puisqu’il s’agit d’une puissance de l’époque, et en même temps une surprise car les Nordiques, un peu comme les Anglais, ont souvent cherchés des excuses pour ne pas participer. D’où les absences des autres Nordiques, du Danemark à la Norvège en passant par la Finlande. Ces derniers pays mettent en avant le championnat ne faisant que démarrer. Par exemple, d’après une interview avec le président de la fédération norvégienne faite par L’Auto en octobre 1923 : « Il est certain que le Danemark, la Finlande et la Suède ne participeront pas aux concours de football des Jeux Olympiques. La date des rencontres donnant trop peu de temps à ces nations pour entraîner leur équipe, par suite de leur situation climatique ». Les Danois annoncent leur non-participation dès le 20 novembre : « L'Union Danoise de football vient de décider que ses joueurs ne disputeront pas le Tournoi de football des Jeux Olympiques. Sous quelques jours l'Union Danoise exposera le pourquoi de cette singulière décision. On ne peut que regretter le forfait d'une des équipes qui s'est toujours distinguée au cours des grands tournois olympiques ». Le Danemark est le seul des membres fondateurs de la FIFA à ne pas participer. La Norvège communique de même le 30 novembre : « Le football ne peut commencer à être pratiqué que vers le 15 avril, les terrains étant gelés et trop durs jusqu'à ce moment. Le tournoi olympique commence le 15 mai, le délai pour la préparation de l'équipe est donc assez court ». Le président du Comité Olympique Finlandais donne d’autres raisons en décembre : une question de priorité. Martti Jukola déclare à L’Auto : « Malgré les succès que les joueurs finlandais ont remportés dernièrement dans différents matches internationaux, ils sont quand même très en retard. Il serait imprudent de dépenser de l'argent pour un résultat douteux et faire faire à notre équipe un voyage aussi long et aussi coûteux. Nous préférons utiliser nos disponibilités et compléter notre équipe d'athlètes ». C’est donc avec surprise et le plaisir de l’organisateur que la Suède s’inscrit malgré tout au tournoi fin mars, permettant aux organisateurs de valider un pays nordique, représentant de sa zone, comme le fait un peu l’Irlande pour les pays des îles britanniques.

Pour se préparer, l’équipe joue en amical la Pologne et l’Estonie. Le forfait du Portugal qui ne se présente finalement fait les affaires de la Suède qui se qualifie directement en huitièmes de finale, pour ce qui est le choc de ce tour selon la presse, Suède – Belgique. L’Auto analyse l’équipe ainsi : « La Suède, au jeu posé, scientifique mais un peu lent, présentera un team solide aux qualités physiques transcendantes et bien disposé à défendre vaillamment sa chance. Que fera-t-elle contre l'équipe de Belgique ? Nous pensons que le brio supérieur des joueurs de Swartenbroeckx leur vaudra d'acquérir la victoire et de se qualifier pour le tour suivant ».

Suisse

Dans la série des pays « amis » de la France qui se devaient de participer, après la Belgique et le Luxembourg, on retrouve la Suisse. Comme les précédents, il s’agit d’un membre fondateur de la FIFA. Dès février 1924, l’équipe se prépare, « au cours d'un débat sur la préparation en vue des Jeux Olympiques de Paris, il a été décidé que trente joueurs seront invités à suivre un entraînement. […] La Suisse est dirigée par les quatre entraîneurs anglais ». La France se déplace à Genève fin mars pour une rencontre internationale que L’Auto décrit en ces termes : « Le match qui, demain à Genève, mettra aux prises les équipes nationales de France et de Suisse, compte comme l'un des plus classiques de notre calendrier international. Jusqu'à présent, nos voisins et amis n'ont pu prendre l'avantage sur nous et le palmarès des rencontres France-Suisse est très nettement en notre faveur. Avant 1921, les Suisses pratiquaient un football précis et scientifique, mais exagérément lent, et la vitesse et la fougue de nos représentants arrivait presque toujours à vaincre les équipes helvètes qui, pourtant, possédaient une incontestable supériorité technique. Mais, depuis deux ou trois ans les Suisses ont changé leur méthode et ont acquis une rapidité qui a donné à leur jeu une efficacité qui leur manquait totalement. On a vu l'an dernier, à Pershing, que les Suisses ne nous étaient inférieurs à aucun point de vue. Aussi, le match France-Suisse a-t-il gagné en intérêt, du fait de l'incertitude du résultat ». C’est finalement la Suisse qui s’impose, comme un présage du tournoi à venir. Quelques jours plus tard, pour Pâques, les Suisses reçoivent les Danois et les battent 2-0 : « Aujourd'hui, le onze national suisse a remporté une victoire nette et méritée sur l'équipe représentative du Danemark. Les Helvètes marquèrent leur premier but après une minute et demie de jeu et conservèrent constamment le commandement du match. Leur supériorité se traduisit par un second but, qui confirma l'avantage des Suisses. La performance réalisée cet après-midi à Bâle donne grande confiance sur la représentation suisse aux prochains Jeux Olympiques ». La Suisse affronte la Lituanie au tour préliminaire et est grandement favorite. Elle joue « maillot rouge, croix blanche, culotte blanche ».

Tchécoslovaquie

Les Tchécoslovaques est une équipe peu connue mais assez attendue, étant décrite comme l’une des grandes sélections du football « Central ». C’est pourtant une sélection jeune, d’un pays issu de la réorganisation de l’Europe à la suite de la Première Guerre mondiale. L’équipe était finaliste des Jeux en 1920 à Anvers en Belgique, mais abandonne le terrain après une demi-heure de jeu, contestant l’arbitrage, et ne reçoit donc pas de médaille. L’équipe arrive le 23 mai à Paris par la gare de l’est, après un voyage de nuit, à deux jours de son tour préliminaire contre la Turquie. Pour L’Auto : « Les Tchèques sont de rudes adversaires, beaucoup les voient vainqueurs du Tournoi ; affirmeront-ils leurs prétentions ? C'est probable, mais de nombreux spectateurs voudront se rendre compte de la forme actuelle de la brillante équipe ».

Turquie

Si le tournoi est un vrai tournoi mondial grâce aux participations de pays comme l’Égypte, l’Uruguay et les États-Unis, les Turcs ont aussi un long voyage et internationalisent encore plus la participation. Ils se préparent de longues dates car leur participation est indiquée dès le mois de mars 1924 et les footballeurs font l’objet d’un « entraînement sévère et continu » depuis cette date. L’équipe navigue de Constantinople à Marseille du 15 au 20 mai, avant de rejoindre Paris en train, gare de Lyon. Comme d’autres sélections, elle possède un manager anglais. Elle est reçue à son arrivée au siège du Comité Olympique Français par son vice-président, Jules Rimet, également président de la FIFA, et grand orchestrateur du tournoi. La sélection est accompagnée du président, du vice-président et du trésorier de la Fédération. L’équipe est loin d’être favorite pour son tour préliminaire contre la Tchécoslovaquie puisque Le Miroir des Sports parle d’une technique « rudimentaire », L’Auto allant jusqu’à écrire : « La Turquie a surtout envoyé ses soccers à Paris pour qu'ils puissent prendre une bonne leçon de football. Les joueurs turcs ont le désir de progresser ; soyons sûrs qu'ils rapporteront à Constantinople les enseignements les plus profitables et qu'aujourd'hui ils défendront vaillamment leur chance. »

Uruguay

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Yougoslavie

La Yougoslavie envisage sa participation très tôt, dès novembre 1923. Pour financer le voyage, elle lance une souscription pour récolter des fonds et impose une « taxe » de 1 % sur la billetterie des matchs de football pour financer le voyage. L’équipe arrive le 22 mai, le groupe étant composé de dix-huit joueurs et de deux officiels. Comme de nombreuses autres délégations, elle commence par déposer une gerbe sur la tombe du soldat inconnu, monument inauguré en 1920. Pour le match de tour préliminaire contre l’Uruguay, les Yougoslaves sont accompagnés de spectateurs surprises : le Roi et la Reine de Serbie. Comme l’indique L’Auto : « Il aura fallu le tournoi olympique de football pour que les équipes sélectionnées de ces deux nations aient la possibilité de jouer l'une contre l'autre. Les Yougoslaves ont été surtout sélectionnés parmi les clubs de la Nouvelle-Serbie, la région d'Agram (Zagreb) notamment. Leur plus belle performance est certainement le match nul qu'ils réussirent le 28 octobre à Prague même, contre la forte équipe nationale tchèque, laquelle était composée de joueurs du Slavia et du Sparta. La renommée mondiale de ces deux équipes nous dispense de tous commentaires sur la valeur des Yougoslaves ».

 

 

 

Jérôme Lecigne
Jérôme Lecigne
Spécialiste du football uruguayen, Suisse de l'Amérique du Sud, Patrie des poètes Jules Supervielle, Juan Carlos Onetti et Alvaro Recoba