Premiers matchs du tournoi et une logique respectée dans la majorité des cas sauf pour le premier choc, Espagne - Italie, dont les Italiens sortent vainqueurs. Les matchs du dimanche sont un immense succès public et le tournoi est lancé.

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Depuis le tirage au sort, c’était le choc annoncé. Le Derby Latin. Alors que l’Île de France brille de football avec trois matchs qui démarrent en même temps en ce dimanche 25 mai, tous les yeux sont rivés vers cet Espagne – Italie. L’Auto écrit « L'Espagne devrait battre l'Italie, mais cette dernière nous a habitués à des surprises. Des quatre rencontres d'aujourd'hui, il est indéniable que la plus importante est celle qui mettra aux prises les équipes de l'Espagne et de l'Italie ». Le match est joué en même temps que Tchécoslovaquie – Turquie à Bergeyre et que Suisse – Lituanie à Pershing. Après le match des Helvètes, États-Unis et Estonie s’affrontent dans le même stade. Le lendemain, lundi 26, l’Uruguay affronte la Yougoslavie à Colombes et la Hongrie affronte la Pologne à Bergeyre. Il y a une vraie différence d’affluence entre les matchs du dimanche qui attirent une foule nombreuse et les deux du lundi qui se jouent devant des tribunes dégarnies.

Dans un cadre général, et au soir de ce tour préliminaire, selon Le Sport Universel : « Le tournoi olympique de football pour lequel vingt-deux nations sont inscrites, s’annonce [...] comme un des plus gros succès des VIIIe Jeux Olympiques. Dimanche fut la consécration de ce jeu populaire, qui plaît à la masse et qui n’est pas l’apanage d’une élite comme le polo à cheval, le lawn tennis ou le rugby. Car le football, sans exiger une condition physique extraordinaire, demande tout au moins une compréhension exacte de la place à occuper, du mouvement à faire en temps opportun, de l’abnégation complète de l’individu envers l’équipe. Jusqu’au 8 Juin les parties éliminatoires vont se dérouler pour ne laisser en présence le 9 juin que deux équipes appelées à disputer la finale. Et ce jour-là, le spectacle du jeu ne manquera pas d’intérêt, de grandiose, de pathétique même. C’est que les vingt-deux joueurs appelés à disputer cette finale seront vraiment les meilleurs footballeurs du monde et la gloire qui découlera de leur victoire sera pour leur pays l’hommage du football mondial ». L’Auto écrit au soir des premiers matchs: « C'est une vie intense que vivent actuellement les amateurs du magnifique jeu de la balle ronde et il est bien difficile au chroniqueur de mettre en ordre les multiples impressions qui l'assaillent, de dire tous les enthousiasmes suscités en lui par le succès du plus formidable des Tournois sportifs qui aient jamais été organisés, de classer ses pensées pour essayer de dégager les conséquences sportives des matches joués, en déduire la philosophie et pour examiner les possibilités des journées à venir. C'est une vie intense mais merveilleuse, c'est une tache énorme mais légère, puisque nous assistons à la splendide apothéose du Football, puisque nous prouvons enfin aux yeux de tous la vitalité de notre sport favori, sa beauté, son universalité. »

Italie 1 – 0 Espagne
Au stade olympique de Colombes
Arbitrage du Français Marcel Slawick

Espagne - Gardien : Zamora ; arrières : Vallana et Pasarin ; demis : Gamborena, Larraza et Peña ; avants : Piera, Samitier, Monjardin, Carmelo, Aguirrezabala.

Italie - Gardien : de Pra ; arrières : Rosetta et Caligaris ; demis : Barbieri, Burlando et Aliberti ; avants : Conti, Baloncieri, Della Valle, Magnozzi et Levratto.

Le score est vierge à la mi-temps dans un match très haché. Les Espagnols trouvent le poteau au retour des vestiaires sur un tir d’Aguirrezabala. Dans la foulée, l’Espagnol Larraza est exclu quand, après un choc avec Della Valle, il marche sur celui-ci en se relevant. La presse quotidienne écrit que l’exclusion est très sévère et qu’elle a conditionné le match. Comme nous le verrons dans l’analyse de Gabriel Hanot, le carton rouge semble logique même si le match dans son ensemble a été assez violent. Dans les dernières minutes intervient « l'incident qui décida du sort de la partie. Burlando lance Conti qui file et au lieu de centrer, passe à Baloncieri qui débordé Pasarin et shoote, la balle semble devoir sortir lorsque survient Vallana qui touche le ballon et le fait dévier dans le coin droit du but. Zamora s'arrache les cheveux pendant que le capitaine espagnol s'écroule dans le but et pleure comme un enfant. » Malgré une domination espagnole, un but sur un tir contré (à priori un but contre son camp car le tir sortait des limites du terrain selon les journalistes) offre la victoire aux transalpins. C’est la première surprise du tournoi.

Selon Gabriel Hanot dans Le Miroir des Sports :

« Les caractéristiques du match furent les suivantes :

1° Les deux équipes usèrent et abusèrent de la charge, voire des coups de pied et des crocs-en-jambe. On vit trop qu'elles n'étaient pas décidées à se ménager ; l'exclusion de Larraza fut justifiée, mais son adversaire Della Valle méritait aussi d'être mis hors du terrain ;

2° Les Espagnols donnèrent l'impression de jouer en dessous de leur valeur et de leur forme ; ils réussirent des exploits individuels, sans parvenir au football lié, cohérent, total, si l'on peut ainsi s'exprimer. À cet égard, les Italiens, et surtout leur ligne d'attaque, fournirent une belle démonstration de passes excellentes d'homme à homme, d'aile à aile. En résumé, meilleure technique chez les Espagnols, meilleure tactique et plus d'esprit de corps chez les Italiens ;

3° Dans l'ensemble de la partie, les Espagnols eurent un léger avantage. De Pra, le gardien italien, eut beaucoup plus d'ouvrage et fut exposé à des dangers bien plus grands que Zamora. Les corners furent presque tous en faveur des Espagnols ;

4° En corollaire de la proposition précédente, on peut dire, sans vouloir le moins du monde diminuer leur mérite, que ce ne sont pas les Italiens qui ont marqué le but de la victoire, mais que les Transalpins doivent leur succès à l'arrière espagnol Vallana. Celui-ci, le meilleur joueur sur le terrain, eut le malheur de détourner dans ses propres filets un shot de Baloncieri qui passait à côté du but. »

Tchécoslovaquie 5 – 2 Turquie
Stade Bergeyre
Arbitrage du Norvégien Andersen, juges de touche M Mazio (Yougoslavie) et M. Obrudansky (Pologne)

Tchécoslovaquie - Gardien : J. Sloup; arrières :A. Hojer et F.Hojer; demis : Krompholz, Pleticha et Mahrer; avants : Sedlacek, R. Sloup, Novak, Čapek et Jelinek.

Turquie - Gardien : Nedim Kaleci ; arrières : Ali Gençay et Cafer Cagatay; demis : Ulug, Bedkik et Göktulga; avants : Leblebi, Baydar, Riza Sporel, Refet et Gürsoy.

Les Tchèques se savaient favoris au point de faire tourner l’effectif dans un tournoi qui va voir les équipes jouer tous les deux jours dans sa partie finale. Et ces derniers dominent en effet, avec un penalty obtenu dès le début de la rencontre mais frappé sur le poteau, quelques minutes avant que Sloup n’ouvre la marque. Le score est déjà de 3-0 à la mi-temps. Au retour des vestiaires, « les Turcs semblent s'être ressaisis et amorcent des attaques dangereuses. Peu veinards, leur inter-droit, puis le centre-avant, mettent très fort à côté, alors que les buts semblaient tout faits. À la 70e minute de cette reprise, Bekir, inter-gauche, marque enfin d'un botté superbe. » Bekir, c’est Bekir Refet, attaquant qui marquera aussi en 1928. Mais les Tchèques marquent à nouveau deux fois, avant que le même Refet viennent clôturer le score.

Selon le Le Miroir des sports : « Les Tchèques, malgré leur victoire de 5 buts à 2, déçurent quelque peu leurs partisans. On s'attendait à mieux des joueurs que certains comparent à des pros anglais. Bâtis en force, possédant des shots très puissants, les Tchèques ne se servent de ces avantages que lorsqu'ils ne peuvent plus passer ou dribbler. En défense, leur tactique est la même : les arrières passent aux demis, lesquels transmettent rapidement aux avants. Comme cela, c'est parfait, c'est du football clair, logique et agréable. Mais nous trouvons superflu que le ballon refasse en arrière le chemin qu'il a si brillamment parcouru vers les buts adverses. Si l'équipe de la Turquie possède une technique de jeu rudimentaire, en revanche, elle possède quelques qualités. Celle qui domine est, certes, le courage. En outre, elle comprend quelques individualités que bien des nations pourraient lui envier. Le meilleur équipier du Croissant est l'intérieur droit Alaeddine [Baydar] ». Le public a semble-t’il penché du côté des Turcs, dont un joueur n’avait que seize ans. Ils avaient annoncé qu’ils étaient là pour apprendre et ils semblent l’avoir fait avec courage.

Suisse 9 – 0 Lituanie
Stade Pershing
Arbitrage de l’Italien Antonio Scamoni

Suisse - Gardien : Pulver ; arrières : Reymond et Ramseyer ; demis : Oberhauser, Schmiedlin et Pollitz ; avants : Ehrenbolger, Sturzenegger, Dietrich, Abegglen et Fässler.

Lituanie - Gardien : Balciunas ; arrières : Janusauskas et Hardingsonas ; demis : Razma, Bartuska et Juozapaitis ; avants : Mikuciauskas, Sabaliauskas, Garbaciauskas, Gecas et Zebrauskas.

Que dire d’un match dont le premier but est arrivé à la quatrième minute et qui s’est terminé par un 9 à 0 ? Un monde d’écart sépare les professionnels suisses qui ont campé dans les dix-huit mètres adverses des footballeurs lituaniens. Le match suivant intéresse déjà entre Tchécoslovaques et Suisse comme indiqué dans L’Auto : « Pour en revenir aux Tchécoslovaques, ils auront besoin de leur toute première équipe et de jouer brillamment pour passer le prochain tour qui les opposera aux Suisses. Ces derniers ont, en effet, une équipe de grande valeur où des joueurs comme Oberhauser et Abegglen sont d'une classe supérieure. Nos vainqueurs de Genève ont battu sèchement les Lituaniens qui ne pratiquent qu'un jeu primitif et lent. Le match ne fut cependant pas joli et trop fréquemment les Suisses se laissèrent imposer un football de mauvaise facture par leurs adversaires. Ils devront jouer autrement devant les Tchèques pour gagner. »

États-Unis 1 – 0 Estonie
Stade Pershing
Arbitrage du Belge Paul Putz

États-Unis - Gardien : Douglas; arrières : Rudd, Davis; demis : O'Connor, Hornberger, Jones ; Avants : Dalrymple, Farrel, Straden, Brix, Findlay.

Estonie - Gardien: Lass ; arrières : Pihlak, Sillapere; Demis : Kaljot, Rein, Kaarma; Avants : Paal, Väli, Eelma, Upraus, Joll.

C’est sans doute le match qui a le plus agréablement surpris du tournoi. Les Français s’attendaient à voir des américains supérieurs physiquement, ils n’ont pas été déçu. Ils ne s’attendaient pas, par contre, à voir le jeu de passe et la science du jeu des Estoniens. Les Américains ouvrent le score sur un penalty à la 15e minute par Straden mais L’Auto indique : « La balle voyage d'un camp à l'autre, chacun rivalise d'habileté et les coups de tête succèdent aux coups de pied de volée. Les Américains jouent presque continuellement off-side et de ce fait font souvent avorter des attaques dangereuses ».  Durant la deuxième mi-temps, les Estoniens campent devant le but américain. Peu avant la fin du match, une charge irrégulière d’un joueur américain fait obtenir aux Estoniens un penalty. La balle passe au-dessus de la barre… Mais devant la stupeur du public, l’arbitre fait à nouveau tiré le penalty, des joueurs se trouvant dans la surface au moment du premier tir. Le nouveau tir est renvoyé par la barre puis sur le terrain, à la joie des américains. « Dans cette mi-temps les Estoniens ont été le plus souvent dangereux, mais soit l'excellente défense américaine, soit le peu d'efficacité de leurs avants, la marque reste la même et la partie se termine sur le résultat : États-Unis, 1 but ; Estonie, 0. » Dans L’Auto, toujours, « Au contraire des Lituaniens, les Estoniens connaissent parfaitement le jeu. Ils le démontrèrent en surclassant les Américains au centre du terrain. Mais... ils ignorent la manière de réaliser. Ils furent certes malchanceux hier, ils ont droit à quelques excuses ; mais... ils manquèrent, par deux fois un penalty et cela n'est guère pardonnable dans une rencontre de cette importance ».

Uruguay 7 – 0 Yougoslavie
Stade Olympique de Colombes
Arbitrage du Français Georges Vallat, arbitres de touche M. Richard et M. Balvay

Uruguay - Gardien : Mazali ; arrières : Tomassina et Nasazzi ; demis : Ghierra, Vidal et Andrade ; avants : Romano, Céa, Pétrone, Scarone, Urdinaran.

Yougoslavie - gardien : Vrdjuka ; arrières :Vrbancic et Dasovic ; demis : Rodin, Rupec et  Marjanovic ; avants : Babic, Petkovic, Perska, Vinek, Placeriano.

Comme pour la Suisse, il n’y a pas eu match, l’Uruguay menant déjà 3-0 à la demi-heure de jeu. Mais contrairement à la Suisse, l’adversaire de l’Uruguay est connu et reconnu : la Yougoslavie. C’est donc une surprise que de voir l’Uruguay marcher sur un adversaire respecté en ce lundi après-midi de mai. L’Humanité indique que le gardien uruguayen, Mazali, est assis tranquillement dans ses cages (d’une manière un peu trop ostensible) quand est sifflé la mi-temps. À l’issu du match, L’Auto écrit : « Les Américains du Sud nous ont littéralement stupéfiés. Nous leur accordions un certain crédit du fait des performances qu'ils avaient accomplies en Espagne tout récemment. Mais nous étions loin de nous attendre à les voir évoluer avec une telle virtuosité. Dribblings remarquables, démarquages, passes redoublées et science comparable à celle des pros anglais, tout ceci constitue le bagage des joueurs de l'Uruguay. D'ores et déjà il faut les considérer comme favoris dans le Tournoi. »

Hongrie 5 – 0 Pologne
Stade Bergeyre
Arbitrage du Néerlandais Johannes Mutters

Hongrie - Gardien : Biri ; arrières : Fogl, Mandi ; demis : Orth, Guttman, Obitz; avants: Braun, Eisenhoffer. Opata, Hirzer et Jenny.

Pologne - Gardien : Wisniewski ; arrières : Cyl, Fryc ; demis : Styczen, Cikowski, Spojda; avants : Kuchar, Batsch. Kaluza, Reyman, Sperling.

Cela devait être un choc comme Espagne – Italie, cela a rapidement a tourné à l’avantage des Hongrois qui ont ouvert le score dès le quart d’heure de jeu. Pourtant la Pologne résiste et repart à l’offensive notamment par l’aile droite. La mi-temps arrive sur ce score de 1-0. En deuxième mi-temps, le jeu polonais commence à être compris par la Hongrie qui arrive à bien les prendre de vitesse. Les Hongrois marquent à nouveau dès le retour des vestiaires et déroulent ensuite, score final 5-0. Concernant les Polonais, « leur première mi-temps nous montra qu'ils sont adroits sur la balle et, qu'en meilleure condition physique, ils auraient pu éviter, en partie, la pression des joueurs hongrois en seconde mi-temps. Un gros défaut, remarqué d'ailleurs chez eux lors de leur première visite à Paris, c'est qu'ils jouent sur place et partent même en arrière avec la balle. Les Hongrois ont paru être, dans l'ensemble, plus rapides que les Tchèques, aussi adroits et effectifs. C’est une grande équipe, que l'on peut classer dès aujourd'hui dans les favoris du Tournoi. Une impression très agréable se dégage de cette partie, c'est la correction parfaite des joueurs des deux équipes. Pas un mouvement méchant, pas un geste de colère, du vrai « fair plav », sans défaillance ; c'est une chose assez rare pour être soulignée ».

 

Jérôme Lecigne
Jérôme Lecigne
Spécialiste du football uruguayen, Suisse de l'Amérique du Sud, Patrie des poètes Jules Supervielle, Juan Carlos Onetti et Alvaro Recoba