Alors que le tournoi a commencé il y a une semaine, Paris est emporté par la vague du football. Chaque stade accueille un quart de finale, le stade Olympique de Colombes étant réservé pour le choc entre l’équipe qui est maintenant favorite, l’Uruguay, et l’hôte français. Le tout Paris ne parle plus que de cela.

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Il ne reste plus que huit équipes dans le tournoi de football, les huit meilleurs. Comme ce sera également le cas quatre ans plus tard à Amsterdam, tous les continents participants sont encore représentés avec une équipe africaine, une équipe américaine et, évidemment, de nombreux européens. Les quarts se jouent sur deux jours, avec Suède – Égypte en même temps que France – Uruguay et Suisse – Italie en même temps que Pays-Bas – Irlande. Pour le France – Uruguay, déjà, le stade est trop petit. Gauthier-Chaumet écrit dans L’Auto : « L'essentiel est de faire un beau match. Mais, si nous gagnions... Quelle formidable clameur s'élèverait des 50 000 poitrines groupées sur les gradins du stade immense ! Et quelle gloire pour le football français ! Il n'y a qu'une seule méthode pour cela, mes amis de l'équipe tricolore : ayez une volonté unanime et sans défaillance. Battez-vous comme des poilus, et, comme eux, triomphez ! ».

France 1 – 5 Uruguay

Stade Olympique de Colombes
Arbitrage du Norvégien Peder Christian Andersen

France (maillot rouge, culotte blanche, bas bleus) - Gardien : Chayriguès ; arrières : Domergue et Gravier ; demis : Parachini, Batmale et Bonnardel ; avants : Dewaquez, Boyer, Nicolas, Crut et Dubly.

Uruguay (maillot et culotte bleus, bas noirs) - Gardien : Mazali ; arrières : Nasazzi et Arispe ; demis : Andrade, Zibecchi et Ghierra ; avants : Naya, Scarone, Petrone, Cea et Romano.

« Nos footballeurs sont éliminés par les plus redoutables adversaires qu'ils aient jamais rencontrés », indique L’Auto sur sa première page au lendemain de la confrontation. Pourtant, l’équipe de France résiste plutôt bien en première mi-temps, ne perdant que par un but d’écart, mais la deuxième mi-temps est à sens unique avec le troisième but uruguayen sur une attaque ou Petrone dribble toute la défense avant de tromper Chayrigues. Deux derniers buts en fin de match viennent sceller la victoire 5-1 de l’Uruguay. Rapidement, Le Miroir des sports indique la raison de la défaite : « la fatigue n'aurait pas été accablante si tous nos représentants avaient suivi, au préalable, un entraînement raisonné et sérieux. Si Boyer, Crut, Parachini ont été aussi décevants qu'on peut l'imaginer, il faut mettre cela sur le compte d'une existence remplie d'excès de toute sorte. Que le sort de 500 000 footballeurs soit confié à des hommes privés complètement du sens de l'honneur sportif, voilà qui est désolant, voilà ce qu'il convient d'éviter dorénavant ! La Fédération et son Comité de sélection ont élaboré et appliqué un programme fort bien établi de préparation progressive : ils ont logé les joueurs habitant la province dans un hôtel confortable et cet hôtel fut le théâtre de discussions, de disputes, de scènes qu'il est préférable de ne pas relater ici. Il est vraiment dommage que Nicolas, Bonnardel, Dubly, par exemple, s'appliquent de toutes leurs forces à l'entraînement, pour trouver, à côté d'eux, le jour du match, des partenaires indignes et dont le tournoi de football est le moindre souci. La tâche d'assainissement du football français est besogne nécessaire et urgente ». La critique vient de Gabriel Hanot, qui était encore international cinq ans auparavant et qui est très introduit au sein de l’équipe.

Le Sport Universel indique quant à lui une autre raison : « La morale de cette rencontre est facile à tirer. Les dirigeants de notre Fédération de football ne doivent plus se laisser hypnotiser par les réputations acquises. Place aux jeunes ! Les vieilles gloires qui, en 1921, ont réussi à vaincre l’équipe amateur d’Angleterre ne sont plus à la page. Elles ont fait leur temps, ont eu leur part de gloire. Il faut savoir se retirer à temps, si l’on ne veut sombrer dans le ridicule. Mais n’est-ce pas tout un art que de savoir partir à temps ? ».

Concernant les Uruguayens, Le Miroir des Sports leur trouve le plus beau des défauts : « Je reconnais la valeur extrême de l'équipe uruguayenne ; je pense, toutefois, qu'elle aime trop le ballon et qu'elle ne s'en débarrasse qu'avec regret pour shooter ». Leur jeu rapide et scientifique en fait, pour la presse, les favoris du tournoi avec les Suédois.

Suède 5 – 0 Égypte

Stade de Persing
Arbitrage du Belge Henri Christophe

Suède - Gardien : Lindberg ; Arrières : Alfredsson et Hillen ;  Demis : Friberg, Carlson et Sundberg ; Avants : Brommesson, Kaufeldt, Svensson, Rydell et Kock.

Égypte - Gardien : Taha ; Arrières : Salem et El Gamil; Demis : Shawky, Henain et El Hassani ; Avants : M. Ismaïl, Reyadh, Hegazi, Yakan et S. Ismaïl.

Le match est un peu plus serré que le résultat ne le laisse penser. Durant la première demi-heure, l’Égypte s’est montrée menaçante a de nombreuses reprises, mais n’a pas su concrétiser ses actions. Ce n’est pas le cas de la Suède qui en marque trois dans cette période, ce qui tue le match. L’Auto écrit concernant les Égyptiens : « Leur jeu est, par contre, plus nerveux, plus français. Ils ont, hier, raté des occasions superbes que la nervosité seule explique. Ils n'eurent pas de chance en première mi-temps, et leur gardien de but fit une exhibition au-dessous de la moyenne. Mais les Suédois shootent précis et fort et vraiment il eût fallu être près du but pour juger sans appel le gardien égyptien. Plus souples, plus de détente que les Suédois, ils réalisèrent moins et furent dominés assez nettement en seconde mi-temps, Les Suédois, aux qualités différentes, sont plus « anciens » dans le football, connaissent mieux le jeu ».

Suisse 2 – 1 Italie

Stage Bergeyre
Arbitrage du Néerlandais Johannes Mutters

Suisse - Gardien : Pulver; Arrières : Reymond, Ramseyetr; Demis : Oberhauser, Schmiedlin, Pollitz; Avants : Ehrenbolger, Sturzenegger, Dietrich, Abegglen et Fassler.

Italie - Gardien : De Pra ; Arrières : Rosetta, Caligaris; Demis : Barbieri, Burlando, Aliberti ; Avants : Conti, Baloncieri, Della Valle, Magnozzi et Levratto.

Un match très serré dans lequel un des acteurs est mis en avant : l’arbitre. Ainsi, L’Auto écrit au sujet du Néerlandais : « M. Mutters fut un arbitre non pas seulement moyen, mais médiocre, et qui sembla ne pas pouvoir contrôler la partie qu'il avait mission de diriger. Il ne siffla pas nombre de hors-jeu, qui, pourtant, lui furent signalés par les juges de touche. Le deuxième but marqué par la Suisse vint à la suite d'un offside d'Ehrenbolger, et Abegglen, qui marqua le « goal » était, lui aussi, hors-jeu. Les Suisses se permirent tout ce qu'ils voulurent : « fouls » de bras, charges irrégulières, etc... M. Mutters ne siffla rien. Il parut, à différentes reprises, complètement débordé. On parle de confier l'arbitrage de la finale à M. Mutters, espérons qu'il n'en sera rien. »

Malgré le fait que les deux équipes soient des équipes appréciées, « Le football pratiqué hier à Bergeyre fut d'une qualité moyenne et il est évident que le public s'intéresse plutôt du fait de l'âpreté de la lutte que des rares phases de la partie où le football se hisse à un niveau supérieur. Le jeu le meilleur fut celui de la ligne d'avants italienne, qui, par moments, combina d'excellentes façon. Pourtant, on constata chez les joueurs au maillot bleu le même défaut que celui qu'ils démontrèrent contre l'Espagne, l'insuffisance de shot. Le football heurté et décousu était imposé par la façon de faire des demis et arrières helvètes, qui, par leur jeu à travers tout, bousculèrent leurs opposants ».

Pays-Bas 2 – 1 Irlande (après prolongation)

Stade de Saint Ouen
Arbitrage de l’autrichien Heinrich Retschury

Pays Bas - Gardien : van der Meulen ; Arrières : Denis, Tetzner ; Demis : Le Fèvre, van Linge, Krom ; Avants : Groosjohan, Formenoij, ter Beek, Visser et de Natris.

Irlande - Gardien : O’Reilly ; Arrières : Kerr et McCarthy ; Demis : MacKay, Dykes, Muldoon ; Avants : Farrell, Hannon, Duncan, Ghent et Murray.

Les Néerlandais ouvre le score très rapidement par Formenoij qui dribble la défense et s’en va marquer dès la 7e minute de jeu. Mais les Irlandais dominent ensuite la première mi-temps et égalisent à la suite d’un corner sur une frappe de l’inter-gauche Ghent. La deuxième mi-temps est nerveuse avec de nombreuses interventions de l’arbitre. Une prolongation est jouée avec deux mi-temps de quinze minutes. « Pendant la 1ère mi-temps, les Irlandais dominent constamment, le gardien hollandais sauve maintes fois avec adresse, et, d'autres fois, c'est la chance qui l'aide à garder son but vierge. Un coup franc est accordé à la Hollande. Le Fèvre botte et Formenoij, qui fait un joli bond, reprend de la tête et marque. Le dernier quart d'heure. Les Irlandais se montrent toujours plus accrocheurs, meilleurs dribbleurs ; le but hollandais est encore en grand péril et sauvé toujours très adroitement et de façon classique. Les Hollandais reprennent un moment l'avantage, leurs attaques sont assez facilement arrêtées par les deux petits arrières irlandais, qui firent une excellente partie. La fin arrive sans changement ».

Le tirage au sort est ensuite effectué et l’Uruguay et la Suède ne s’affrontent pas en demi-finales puisque les premiers croiseront les Pays-Bas quand les seconds affronteront la Suisse. C’est désormais le match qui est pronostiqué pour la finale : « Les deux favoris ne sont pas opposés l'un à l'autre et, sauf les surprises toujours possibles, nous aurons une finale Suède-Uruguay, qui constituera la plus sensationnelle partie de football qui ait jamais été organisée en France, tant par la qualité des participants que par l'enjeu de la rencontre ».

Jérôme Lecigne
Jérôme Lecigne
Spécialiste du football uruguayen, Suisse de l'Amérique du Sud, Patrie des poètes Jules Supervielle, Juan Carlos Onetti et Alvaro Recoba