Il ne reste plus que quatre équipes. Ces dernières n’étaient pas les favorites au début du tournoi, elles le sont devenus au fil des matchs et il n’y a pas eu de grosse surprise durant les quarts. Les stades sont pleins, les records de recettes sont tous battus. Le football a conquis le grand public.

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La presse est unanime. L’Auto en premier, évidemment, qui défend ce tournoi becs et ongles depuis plus d’un an, et dans lequel Lucien Gamblin écrit : « Le Football a conquis le grand public. Jusqu'ici, le football, quoique étant le sport réunissant en France le plus grand nombre d'adhérents ne remportait auprès du public qu'un accueil de sympathie. Seuls, les grands matches internationaux, tels France-Belgique et France-Angleterre, ou la finale de la Coupe de France attiraient autour de nos terrains plusieurs dizaines de milliers de spectateurs. Or, ces grandes rencontres n'ont lieu que trois ou quatre fois par saison et nos matches de championnat n'ont pas, jusqu'à maintenant, eu le don de retenir l'attention du public sportif. Et nous, les footballers de toujours, avions l'amertume de constater que notre beau sport, était relégué au deuxième plan et quelque peu le parent pauvre… Mais notre règne arrive, le Tournoi Olympique nous vaut un succès sans précédent dans les annales sportives de notre pays. Les gens les plus réfractaires sont attirés autour des grounds de la balle ronde et s'aperçoivent que le football est un sport incomparable, qui, lorsqu'il est pratiqué par des joueurs et des équipes de grande classe, est captivant au possible. La diversité des combinaisons, la finesse et la science démontrées arrachent aux spectateurs des cris d'admiration. J'ai vu dans les yeux de ceux qui applaudissaient les prouesses des Uruguayens, par exemple, le contentement et la joie d'assister à cette débauche superbe d'exploits individuels et collectifs. J'ai entendu crier les mérites du football par des gens qui, jusqu'ici, étaient ses détracteurs. Aussi, nous devons nous féliciter de posséder chez nous, cette année, le Tournoi des Jeux Olympiques. Notre sport y gagnera d'une façon formidable ».

La surprise est plus grande concernant le suivi du tournoi fait par la presse généraliste, qui montre bien l’engouement du public pour ces matchs. La presse grand public se fait échos de chaque résultat, tout comme la presse « politique », même si les limites entre les deux sont très fines à l’époque. L’Action Française en fait des comptes rendus laudateurs, saluant sans limite le magnifique tournoi et s’en servant pour valider ses théories nationalistes, xénophobes et racistes, comme lorsqu’ils analysent un match suisse : « Cet esprit national, à ce degré, chez une collectivité composée de trois races, voilà un bel exemple à l'appui de ceux qui soutiennent, comme on l’a toujours fait ici, que les patries sont forgées par l'histoire ». De l’autre côté du spectre, L’Humanité est franchement hostile au tournoi, une hostilité politique face à ce tournoi bourgeois. Au début, le journal critique l’absence de spectateurs dans les tribunes et ne laisse au tournoi que quelques lignes. Puis les comptes-rendus de match s’allongent. La critique envers le pseudo « inoubliable tournoi », expression utilisée pour moquer L’Auto, passe au second rang. La critique existe toujours, celle qui fait passer les Uruguayens pour des professionnels parce qu’ils sont absents trop longtemps de leur pays, celle aussi qui regrette l’absence des Britanniques et des Russes. Mais les derniers matchs se font, selon le journal communiste, « autour de la plus nombreuse assistance qu’on ait vue jusqu’à présent autour d’un terrain de sport ».

À l’étranger, dans les pays concernés, l’émotion est aussi au rendez-vous. En Uruguay, des milliers de personne se pressent devant les locaux de la presse, notamment El Día, ou un haut-parleur annonce les buts marqués. Même chose en Suisse, où le correspondant de L’Auto écrit : « Lorsqu'on apprit la victoire Suisse, une formidable acclamation salua la victoire du team national. Les éditions spéciales des grands journaux furent littéralement arrachées. Lorsque les joueurs suisses arriveront à la gare de Bâle, ils seront officiellement reçus par le gouvernement bâlois. La population leur réserve un accueil enthousiaste ». 

Suisse 2 – 1 Suède
Stade Olympique de Colombes
Arbitrage du Hongrois Mihály Iváncsics

Suisse, maillot rouge, culotte blanche, bas noirs : Gardien - Pulver ; Arrières - Reymond et Ramseyer ; Demis - Oberhauser, Schmiedlin et Pollitz ; Avants - Ehrenbolger, Pache, Dietrich, Abegglen et Fassler.

Suède, maillot jaune, culotte bleue, bas noirs : Gardien - Lindberg ; Arrières - Alfredsson et Hillén ; Demis - Friberg, Carlson et Sundberg ; Avants - Brommesson, Rydell, Kaufeldt, Dahl et Kock.

Les Scandinaves étaient pourtant « grands favoris » de ce match, eux qui avaient impressionné la France du football notamment lors du match contre la Belgique. Gautier-Chaumet écrit dans L’Auto la veille du match : « Quelles sont les chances de nos amis Suisses dans le match qu'ils joueront demain contre les sympathiques Suédois ? Je répondrai de suite que j'estime ces chances très minimes, mais non pas inexistantes. La Suède possède une ligne d’avants comparable à celle de l'Uruguay, tant pour la technique et l'esprit tactique que pour l'efficacité. À mon sens, même, sur ce dernier point les Scandinaves auraient un certain avantage, parce que moins artistes, moins fignoleurs, plus froids, plus implacablement précis. Il faut noter, fait curieux, que l’as de la ligne uruguayenne, comme celui de la ligne suédoise, est l'inter-droit, ici Scarone, là, Rydell. Mais revenons à Suisse-Suède. Cette fameuse ligne d'avants Scandinave serait à elle seule capable de donner la victoire aux bleu et or, mais le reste de l'équipe doit, en outre, être supérieur à l'ensemble des demis, arrières et gardiens de buts. Toutefois, la magnifique ardeur des Suisses, leur ténacité, leur volonté de vaincre leur permettent d'escompter quand même un succès. Abegglen est un redoutable shooteur et Pulver tient une meilleure forme que jamais ». L’inter-droit est un joueur de la ligne offensive, un terme « avants » qui ne veut pas dire « attaquants ». Sven Rydell, comme Hector Scarone, seraient aujourd’hui considérés comme des milieux offensifs.

Las, le lendemain, L’Auto, toujours, titre « Pends-toi, Pronostiqueur… ! ». Les Suisses ouvrent le score dès le quart d’heure de jeu par Max Abegglen sur une frappe après avoir dribblé deux Suédois. Les Suisses continuent de pousser notamment par Rudolf Ramseyer, mais les Suédois égalisent avant la mi-temps sur un coup-franc direct de Rudolf Kock, des dix-huit mètres. Les Suisses continuent de dominer et se procurent de nombreuses occasions. À la 77e, « Abegglen, après une série de passés entre Dietrich, Pache et lui, marque un autre superbe but. Les arrières suédois ont d'ailleurs à ce moment beaucoup hésité, et ont commis quelques maladresses. Suisse : 2 ; Suède : 1… On a l'impression que la Suisse ne peut plus perdre le match, ses joueurs continuent d’ailleurs à foncer avec un bel entrain. Raymond et Ramsever sont impeccables. Dans les dernières minutes, la Suède fait un magnifique effort : les buts de Pulver sont en danger, mais grâce à son brio et à celui de ses arrières la situation restera inchangée. C’est la fin, les plus ardents, ceux qui voulaient la victoire, ont gagné. Bravo les Suisses ! ».

Les Suisses sont finalistes et représentent le jeu « dur et décidé » comme le décrit la presse. L’arbitrage est mis en cause, l’arbitre hongrois étant le même que pour le Tchécoslovaquie - Suisse durant lequel il avait déjà été mauvais. Plus le tournoi passe et plus les arbitres deviennent un sujet. Lucien Gamblin écrit : « Il suit le jeu de loin et ne paraît pas s’intéresser à la partie qu’il est chargé de diriger ». De l’autre côté, les Suédois étaient en dedans physiquement. Le président de la Fédération suédoise déclare dans Le Ballon Rond : « L'entraînement préolympique n'a pas existé chez nous du fait que, comme le football n'est pratiqué qu'après la fonte des neiges, la saison n'a été ouverte que le 14 mai. Un match seulement a été disputé par certains de nos joueurs, mais la plupart n'ont commencé leur saison que... contre la Belgique, la semaine dernière, à Paris. Mais les qualités athlétiques de chacun, la discipline consentie, la volonté de vaincre ont fait, que, dès ses débuts, l'équipe de Suède s'est révélée magnifique ».

Uruguay 2 – 1 Pays-Bas
Stade Olympique de Colombes
Arbitrage du Français Gaston Vallat

Uruguay : Gardien - Mazali ; Arrières - Nasazzi et Arispe ; Demis - Andrade, Vidal et Ghierra ; Avants - Urdinarán, Scarone, Petrone, Cea et Romano.

Pays-Bas : Gardien - van der Meulen ; Arrières - Dénis et Tetzner ; Demis - Le Fèvre, van Linge et Horsten ; Avants - Snouck Hurgronje, Groosjohan, Pijl, Visser et de Natris.

Pour ce match, le favori est l’Uruguay. Jamais, tout au long du tournoi, la presse n’a émis un écho très favorable sur les Néerlandais. Alors que les Uruguayens sont considérés depuis leur tournée en Espagne et leurs premiers matchs à Paris comme des magiciens, « supérieurs aux professionnels anglais ». Pourtant, d’entrée, les « Hollandais » comme ils sont appelés s’attaquent au but uruguayen. Le ballon va d’un camp à l’autre pendant la première demi-heure de jeu, jusqu’à ce que, à la 32e, « De Natris, bien servi par Horstein, file à toute vitesse et centre par-dessus Nazazzi et la balle vient à Pijl qui a bien suivi et n'a aucune peine à rentrer dans le but avec le ballon. Hollande : 1 ; Uruguay : 0. Les joueurs Sud-Américains sont stupéfiés. Pourtant leur moral n'est pas affaibli et ils attaquent sans arrêt. Mais la mi-temps arrive sans que le score soit changé ». Au retour des vestiaires, les Uruguayens sont de plus en plus pressants et égalisent rapidement sur une frappe de Scarone repoussée par van der Meulen sur Céa. Il reste douze minutes à jouer quand l’arbitre siffle faute pour une main « qu’il fut le seul à voir ». Scarone marque, 2-1 pour l’Uruguay. Nasazzi, qui s’était couché face contre terre pour ne pas voir, fait un bond dans les airs pour célébrer le but.

Dans la presse, à nouveau, tout le monde parle d’arbitrage. L’Humanité, qui cherche dans tous les cas à délégitimer le tournoi, le descend : « Lent, hésitant et possesseur d'une vue si basse qu'on eût pu croire qu'il était myope, il ne siffla pas à plusieurs reprises des off-sides et des fouls flagrantes. Il eut par contre à la fin de la seconde mi-temps, alors que les deux équipes étaient à égalité, l'idée invraisemblable d'accorder un penalty à l'Uruguay à la suite d'un hand absolument involontaire (le ballon tiré à bout portant surprenant un Hollandais et rebondissant sur la main d'un autre ». Dans la même veine, Le Ballon Rond écrit : « Les yeux de l’arbitre était vraiment ceux du lynx… car lui seul vit cette faute ». Bien plus tard, en Uruguay, une explication apparaît pour ces faits de jeu, donnée dans les Cien Años de Futbol. Georges Vallat est déjà l’arbitre de l’Uruguay contre la Yougoslavie lors de son premier match. Il est admiratif des Uruguayens, et demande à la fin de ce match à Mazali, qui comprend bien le français, une photo de l'équipe, il salue le gardien « Mazali, champion ! ». Mazali lui promet une photo. Vient la demi-finale contre les Pays-Bas, et, surprise, en entrant sur le terrain, c'est ce même Georges Vallat qui arbitre la rencontre. Mazali est dépité, retourne dans les vestiaires, remue tous les effets personnels des joueurs et trouve finalement une photo. Il la fait signer par l'équipe à la mi-temps, alors que l'Uruguay est en grande difficulté, perdant un à zéro. En rentrant en premier sur le terrain, il vient grand-seigneur vers l'arbitre et lui remet, comme promis évidemment, la photo de l'équipe autographié en bonus par toute la délégation. Quand Vallat siffle le penalty, toute l’équipe des Pays-Bas proteste, mais le défenseur Pedro Arispe se retourne vers son gardien tout sourire et lui crie hilare « c'est la photo Mazali, la photo ! ».

Pour en revenir au terrain, « les meilleurs chez les vainqueurs furent : Nazazzi, l'arrière droit, dont le petit bonnet blanc fut partout dans les circonstances difficiles et dont l'intervention énergique sauva maintes fois son team ; Andrade, le sombre joueur, qui est l'enfant chéri du public et le footballeur le plus populaire du tournoi, fut le meilleur demi, et, sans doute, le meilleur des 22 joueurs ; Vidal joua moins bien au demi-centre que ne fit Zibecchi, Ce fut l'avant le plus utile ; Petrone et Scarone, dont on connaît les éminentes qualités, se montrèrent outrageusement personnels et furent moins heureux que de coutume dans leurs shots. Les deux ailiers furent peu utilisés, Urdinaran doit être supérieur à Naya qui joua contre la France. Romano est un très grand joueur qui fut peu servi, sauf sur la fin, ou il fit merveille ».

Deux jours plus tard, la Suède et les Pays-Bas s’affrontent pour la troisième place. Le lendemain, l’Uruguay et la Suisse s’opposent pour déterminer la meilleure équipe du monde.

 

Jérôme Lecigne
Jérôme Lecigne
Spécialiste du football uruguayen, Suisse de l'Amérique du Sud, Patrie des poètes Jules Supervielle, Juan Carlos Onetti et Alvaro Recoba